Autre­fois le feu
  sur la pierre-autel libérait la peau des tambours
  de leurs rides sèches
et bri­sait la danse l’osier des reins la soûlerie
  aujourd’hui la race
regarde la mer retourne la pierre sans le savoir
  et le sable boit
le reste du feu se brisent les dernières amarres
  l’île est investie
un sort anonyme guette sûr les derniers danseurs
  un arbre de plus
rouge flam­boy­ant rouge couleur du nou­v­el an
  attend le cyclone
comme j’attends la mort après la houle cardinale
  cette plaine bougeuse
gar­di­enne du sang entre les saisons apocryphes
  un arbre de moins
fatigué de vent de févri­er le meurtrier
  de mars le complice
un temps de furie le seul qui ne soit pas solaire
car on dit soleil sans savoir son poids de tendresse

au pays des nais­sances il veille sur les taudis
sur le château de pierre sur les toits cannelés
son fam­i­li­er voy­age est un signe de chance
une bête nourri­cière dont on ne sait pourquoi
elle rampe dans le pain tra­verse l’épiderme
comme un cri non coupable seul soleil du soleil
couleur de la can­nelle de l’écorce couleur
douleur de la racine de noc­turne douleur
poivre et pous­sière de pierre couleur de n’importe où
douleur de la dis­pute trop de sangs s’interpellent
la peau la peau la peau les tropiques se réveillent
aveu­gle dans la ville témoin aux jeux de braise
le soleil inno­cent exige la part du cœur
ren­dez-moi ma couronne ma rai­son première
mon roy­aume métis com­mence au point du jour
et ses orfèvreries hantent les fonds de chair
je prophé­tise le sang mêlé comme une langue de feu

 

[ce poème a paru dans Les manèges de la mer, Présence Africaine, 1964]
 

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