Reine d’automne
 
 
 
Je longe une forêt qui n’en finit pas.
Forêt d’automne, rougie au fer 
pour­pre de l’aurore, semée
de glands morts, de physalis,
de champignons, de fougères 
dont  la rouille me souille déjà les doigts.
 
Je longe la mer couleur d’orange,
lorsqu’en novem­bre, le soleil 
se couche, repu sur son lit d’eau pâle.
Le sable rouge clig­note comme 
un phare dans sa nuit blême.
 
La grève que bor­de la mer
a un par­fum de soli­tude salée
et d’eau tiède presque chaude.
J’y cueille quelques coquillages
trem­pés de nuit que 
l’or du soir échafaude.
 
Je les porte à ma chevelure
pour en faire 
une couronne de lauriers 
presque de lau­ri­ers roses, 
Je les porte sur ma tête,
ces coquilles moirées,
avec des herbes rousses
cueil­lies tout à l’heure
dans ma rouge forêt 
de brous­saille et de rouille.
 
Elle scin­tille ma couronne
comme un bijou, un collier
de den­telle et de nacre
dans ce soir de poix.
 
Elle scin­tille ma couronne
comme un diadème
dans cette nuit de novembre
où je serai sacrée reine
près de mon roi.
 
 
 
 
 
***
 
 
 
 
 
Rouge à lèvres
 
 
 
 
 
Lorsque le bais­er de la lune
a touché l’inflorescence 
de tes lèvres pourpres,
du même rouge 
que le baume de l’aurore
 
dont tu t’es servie, mer, 
pour mac­uler ta bouche 
pleine du fiel de ce jour
où tu m’as vu émerger,
algue soli­taire, de tes reins;
 
Lorsque le bais­er de la nuit
a effleuré l’incandescence
de ta braise, comme une cigarette
que tu tiendrais, nuit marine,
dans tes flancs aqueux,
 
comme un phare à l’horizon
qui clig­noterait de plus belle
pour te mon­tr­er le chemin
de ma frêle, infime destinée,
 
pour m’égarer loin de tes flancs
siru­peux et salés, 
pour me per­dre infiniment;
 
Lorsque le bais­er de l’aube,
mer, t’a frôlée pour te redonner
ta robe d’apparat 
pleine de l’or du soleil
et du rouge du jour naissant,
 
j’ai vu tes lèvres cruelles
blessées par l’incandescence
du ciel me faire la moue
et me dire de te quitter.
 
 
 
 
 
***
 
 
 
 
 
Le grand soir
 
 
 
 
 
Je toque à la porte du soir
encore silen­cieux de cigognes
encore bleu solitaire, 
déjà inouï de recueillement, 
dans l’entonnoir de notre nuit
qui rugit, qui jouit 
de l’hiver encore noir.
 
Je toque à la porte du soir
déjà vibratile 
des noc­tules bleues
et de notre nuit,
déjà pul­satile du rythme infini
du désert nocturne
et de ses fruits d’or ensevelis :
 
Crois­sant lunaire, étoiles
blondes et tremblantes,
bijoux évanes­cents que je porte
en col­lier comme une sirène,
une princesse promise
à la suie perpétuelle
qui renaî­trait de ses cendres.
 
 
 
 
 
***
 
 
 
 
 
L’oiseau lyre
 
 
 
 
 
J’arpente les sen­tiers de rocaille, 
la tête dans les étoiles et les débris de lune. 
Mes oreilles bour­don­nent dans l’immensité
des champs de blé et de lavande.
 
Je foule les orties blessées, 
les fétus de paille sèche et d’herbe calcinée.
Un mer­le bleu me regarde, me tend une aile
et m’exhorte à vol­er comme une mère
qui prendrait, par la main, son enfant.
 
Je pleure de joie, de tant de sollicitude.
Cela fait si longtemps que je n’ai reçu
autant de  signes de tendresse :
traces infimes, caress­es de plumes…
 
Et cet oiseau m’en offre d’inestimables :
tré­sors d’aube, présents de l’aurore.
que je thésaurise intacts 
dans mon cof­fre-fort  plein de rêves.
 
Mon cœur s’est per­clus un jour de septembre
mais l’oiseau lyre, mer­le enchanteur, l’a réveillé,
ran­imé du désir de vivre par­mi les ros­es rouges,
de fouler, soli­taire, le sable bleu 
et ma douce, ma très douce folie,
ran­imé du désir de fendre la mer blême.
 
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