… oui, la vie dans cette maison
est ter­minée… il n’y en aura plus…
     A. P. Tchekov, La Ceri­saie

Je suis éter­nelle­ment en train de démé­nag­er d’une mai­son à l’autre.
Mon dos est relié à chaque paroi par un fais­ceau de fils vivants.
À chaque fois je m’assieds dans un coin et les coupe.
À chaque fois le fil est blanc et résistant.
Les gens afflu­ent comme une volée d’oiseaux vers mon occupation.
Il sem­ble qu’avec chaque fil, je sauve une vie.

Les gens qui m’observent se bat­tent tous de mon côté
pour que notre chien reste ici, à chaque fois près de la maison
qui pèle en zestes de lune devant mes yeux. 
Mais l’Etat lutte con­tre nous, il veut garder les jeunes chiots,
ils peu­vent servir pour les com­péti­tions canines.
Nous sommes les seuls à aimer le chien et on nous inter­dit d’aimer.

Dans une grande salle en verre, lisant des doigts sur les murs modernistes,
je recon­nais des frag­ments de l’ancien. La vis­ite dure
des années entières. Tous les démé­nage­ments font par­tie de cette promenade

dans un couloir incon­nu. Soudain, depuis le seuil, nous voyons notre chien noir
qui passe, avec sa voi­sine blanche de la mai­son d’en face,
roulant dans une calèche de fils vivants, et ils dis­parais­sent de vue.

Soudain les deux, le noir et la blanche, le grand et la petite,
le poil ras et la très poilue, dans leur calèche lacry­male, ils se ressemblent
comme deux gouttes d’eau.

 

 

Tra­duc­tion Stéphane Bou­quet et l’auteur

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