à Yves Martin

 

Paris
La nuit du solitaire
Dont le regard
Brûle des images de femmes qu’il n’aura jamais

Sa car­casse est trop grande
« Il est énorme pour qu’on ne le remar­que pas
Cette chose, c’est moi.
Je n’ai plus qu’un min­i­mum de vis­age » dit-il

Paris
La nuit du solitaire
Son regard pos­sède déjà tout l’espace
Le café coule dans la Seine
Les aca­cias ont des jambes en tabac blond
Le réel n’a plus rien à dire
Et joue aux cartes avec la pluie
Un bal musette en poche

Paris
La nuit du solitaire
Le bruit de son pas est rond comme la valse des jours
Entraîne des hiron­delles dans son sillage
Vers la rue Frochot
Et ses petits bars de soli­tudes premières

Du côté de Pigalle
La vérité
Se des­sine sur les paupières des naufragés
Le bistrot a les yeux mouil­lés de rhum agricole
La neige a un goût d’anis

Paris
La nuit du solitaire
La mer trébuche dans l’escalier
Le vin n’est pas plus ivre que lui
Et sa démarche de manilleur du vieux port

Paris pollen des pas perdus
Les escales de l’oubli
Sont ses souvenirs
Par­fumés de quetsches et de mirabelles
Que le ciel fume con­tre un réverbère

Sur les quais imaginaires
Les loco­mo­tives flam­bent des champs de glaïeuls

Dehors
Les cou­ples sont des nuages comestibles
La poésie apprête le comp­toir et boit son vin
Les pla­tanes ont des yeux invisibles

Paris
La nuit du solitaire

Pari­er sur le dés­espoir cru
Pass­er la tête par-dessus les étoiles
Charg­er son regard comme un appareil Kodak
Pen­dre les mots dans les étals du soir
Gifler le vent rue de la Grande Truanderie

La poésie cui­sine la pluie
Le beau­jo­lais se met à rire

Le soli­taire s’enfonce dans la nuit moleskine
Et les comètes dis­parais­sent dans ses manches.

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