Elle est là depuis quelques jours à deux doigts d’un écritoire en cuir vert et je ne l’avais pas remarquée.
Masquant jalouse­ment ses trans­for­ma­teurs et ses tran­sis­tors, elle est grise, plus grise qu’une forter­esse  : une cotte de maille sans Lancelot ni Guenièvre.
Un pre­mier cof­frage de den­telle blanche se devine là où le récep­teur n’a pas à laiss­er pass­er le son. Partout où on l’am­pli­fie,  rien qu’un bistre tis­su d’alvéoles uniformes 
plus affreux que le plus fade soupirail.
Son antenne: une mèche en zinc mal découpée, pointant vers un hori­zon incertain.
En noir, la zone réservée aux bass­es et hautes fréquences en forme d’é­tui à lunettes : pas un seul nom de sta­tion, rien que des chiffres.

Il aura fal­lu tant de laideur pour assur­er à l’or­eille la dif­fu­sion de tant de splendeurs.
Quelles musiques ne l’au­ront-elles pas recou­verte et fait oubli­er, quelles voix chaudes et quelles con­ver­sa­tions pas­sion­nées n’au­ront-elles pas sub­jugué sa bouche d’inc­inéra­teur d’hospice !
Et toi, le vieil incon­nu dont j’oc­cupe pas­sagère­ment la cham­bre, n’aie pas honte de garder encore quelque temps en bonne place les reliques de ce  pau­vre poste. S’il ne fonc­tionne plus, il vit encore par une aura de stèle sur ton  auguste secré­taire quand les ondes ont déjà noyé tous les chants repro­duits à l’antenne.
 

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