En hom­mage à Blaise Cendrars

 

 

À tra­vers la vitre
De-ton-train-à-six-temps
Voyageuses Voyageurs
Sur le quai, alignés
Dans leurs bagages
S’entassent, s’emmêlent puis glissent

Adieu
Les derniers pié­tons des rues désertes
Adieu
La ville dans les dernières lumières du jour

Adieu retire tout sur son passage

Et Amour s’éloigne
à tra­vers la vitre
Bien­tôt un monde vous sépare
Et la glace s’aiguise et t’épuise et épris tu te brises
Tu entends encore ses rires
Qui défi­lent comme les gares

Ta tristesse est immense

Dans un vieux wag­on vide
Vrom­bis­sante solitude
Pour le ver­tige voyage
À tra­vers l’Amérique
Cinq mille cent vingt-trois kilomètres
Ici on dit trois milles deux cents deux miles

Tu es seul et tu pens­es à Cendrars
La prose du Transsi­bérien a un siècle
Petite Jehanne de France est morte depuis longtemps

 

Et le train file toujours
M’entraine à l’essence du voyage
Là où je suis né
Où du haut de mon enfance je ressen­tais la pro­fondeur de mon âme
Où le rêve était ma vie
Où je por­tais la beauté en coffret
Et tout était encore possible
Et tout à présent n’est plus grand chose

Dehors la nuit colonise le ciel
Ther­momètres et sabliers basculent
Et dans mon cœur, moins quinze

Pre­mière nuit et pre­mière fièvre
Tu n’as vu de la Côte Est que des lumières blanch­es, jaunes, con­jonc­tives, et du noir, beau­coup de noir
La terre tourne sur elle-même plusieurs fois par heure
Et sur ton gramo­phone, Bon Dia­ble branche le disque rayé de Tes Rêves :

Te sou­viens-tu du lieu de ta nais­sance ? Sur la place prin­ci­pale tu jouais. Le soleil tombant rendait le vis­age des pas­sants rouge et chaque sec­onde éter­nelle. Les sec­on­des pas­saient ren­dant les soleils rouges éter­nels et chaque vis­age tombant. L’Eternel pas­sant rendait les soleils tombants rouges et chaque vis­age seconde.

Les mon­tres dégouli­nent, les aigu­illes se tor­dent, les cad­rans fondent
Ça fait des heures que l’on roule
Des jours peut-être
Tes cheveux grison­nent à vue d’œil
Le con­trôleur te demande « tu ren­tres à la maison ? »
Tu n’as plus de Maison
Quelques rumeurs de Famille, tout au plus
Et tu as peur des e‑mails
Ils n’annoncent pas de bonnes nouvelles
Et Amour te regarde par la fenêtre chaque fois
Que les sabots de ta mémoire tremblent
Sur le cimetière de tes souvenirs
Ce cheval sent la mort
Plus que Ton Rêve pour t’aider :

Et je voy­age dans ton voy­age, revis mille fois chaque sec­onde. Je chante dans ton silence, mon songe, ton rêve, plus réel que le monde.

Tu es en Moscovie et tu es saoul. Tu as vingt ans et tu montes un traineau à six chevaux au galop. La tem­pête ivre t’envoie de la neige à la figure.

 

 

 

Et les sabots de ma mémoire tremblent
Amour me regarde par la fenêtre
Le disque s’enraye
« Me haces reír »
Qu’elle dis­ait comme un éclat
Fille d’Amazonie au sourire d’Espagne
Si seule­ment tu savais m’aimer
Si seule­ment j’étais aimable

Et le soleil pour­suit la lune et sem­ble ne jamais l’atteindre
Les éclipses sont si rares

Et je voy­age dans ton voy­age, revis mille fois chaque sec­onde. Je chante dans ton silence, mon songe, ton rêve, plus réel que le monde

Le long du Danube, un vent frais sif­fle la joyeuse bucol­ique. Des enfants jouent dans les bottes de foin. Tu n’as rien à crain­dre. Tu appré­cies la tran­quil­lité du paysage. Tu respires le par­fum de la terre. Tu en goutes les fruits, les dégustes. De ta main fatiguée tu caress­es le bois de ta vieille bar­que. Tu vois ces collines qui défi­lent, cha­cune plus escarpée. Et tu entends les vio­lons voyageurs berçant le paysage bercé par les vio­lons voyageurs berçant le paysage bercé par les vio­lons voyageurs berçant le paysage qui se déroule à tra­vers la vit­re du train gris. Tu as vu la nuit glaciale de fin du monde au Nebras­ka, les plaines enneigées de l’Iowa, le lac Michi­gan comme une grande mer du Nord et Chica­go en ori­flamme dans les écumes sauvages
              U

T

 

 

M
A
R
C
H
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S

 

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                              V

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                              L

                              L

                              E

 

 

Je m’en sou­viens, c’était il y a quelques heures, quelques jours peut-être
Et la riv­ière du Col­orado nous devance, nous suit, nous devance encore
La nuit océane en pays mormon
La loco­mo­tive éclaire les récifs dans les fonds bleus infinis
Et peu à peu Amour som­bre dans
Les sou­venirs et ses sou­venirs som­brent dans
La douleur et ma douleur som­bre dans
L’oubli, pour ne laiss­er que les éten­dues immenses du Nevada

Et au bout de l’inconfort, vain­cu par la fatigue, rebuté par l’odeur des corps enfer­més, dans ton demi-som­meil, les rideaux vont et vien­nent, se gon­flent et se dégon­flent, dans la res­pi­ra­tion du monde. Et les fau­teuils aus­si, et le wag­on, et le train respirent, la nature, les éléments…

Et je voy­age dans ton voy­age, revis mille fois chaque sec­onde. Je chante dans ton silence, mon songe, ton rêve, plus réel que le monde

Tu es à Sara­je­vo. Tu es vieux à présent. Et la mort te fait un peu peur. Tu crois en Dieu. Soudain con­va­in­cu de son exis­tence. Juste au cas où.

Et les cloches son­nent, appel­lent à la messe. Les paroissiens ortho­dox­es prient déjà à la fumée de l’encensoir. Du haut d’un minaret le Mu’ad­hd­hin chante à la gloire d’Allah. Age­nouil­lé dans la marée de fidèles, à quelques pas à peine tu entends la Ami­da réc­itée par un rab­bin bar­bu à la pénom­bre d’une méno­rah. Et tout se mélange dans ta tête : « Baroukh ata Adon­aï… Pater Nos­ter, qui es in caelis … Allahu Akbar… Gospode Isuse Hriste, Sine Boži­ji, pomiluj me grešnog ».

Et dans l’antre du néant
Tu entends encore la sym­phonie immé­mo­ri­ale des religions
Ortho­dox­es, juives, musul­manes, catholiques,
Entre­coupée du rythme sac­cadé de nos mécaniques modernes :
« Tchouk­outchouk­ou Tchouk­outchouk­ou Tchoukoutchoukou… »
Et les voix susurrent « Baroukh ata Adonaï…Allahu Akbar… Pater Nos­ter, qui es in caelis… Gospode Isuse Hriste, Sine Boži­ji, pomiluj me grešnog ».
Et plus douce­ment, et plus douce­ment encore
Et les mécaniques mod­ernes déton­nent et déton­nent plus fort
« Tchouk­outchouk­ou Tchouk­outchouk­ou Tchoukoutchoukou…»
Annon­cent la fin d’un rêve.

Vagabonds des étoiles dans ce train aux mille promess­es inachevées nous sommes arrivés à San Fran­cis­co. Sur Pacif­ic Avenue j’ai vécu ma vie à l’envers. Dans une cel­lule j’ai voulu être prisme de lumière entre les murs de mon ver­tige, et j’ai vu la mer. J’ai fini entre les dents du dia­ble : mille chevaux d’écumes que le vent pleut au ciel. C’était la fin de mon voy­age et une voix m’a dit qu’il était temps de ren­tr­er main­tenant. J’ai revu une dernière fois la ville dans les éclats de lumières, miettes de mon souvenir.

Je voudrais, je voudrais que ce voy­age ne s’arrête jamais. Fuir la réal­ité pour tou­jours. Au delà du Paci­fique, de l’horizon, jusqu’à ce que tout disparaisse.

Et le Japon fleuri les cerisiers
La Chine gong
Le Brésil carnaval
Tombent les masques à Venise
Et les entre­pre­neurs marchent
Sur Sin­gapour, Moscou, New-York
Sous les tropiques

Les salseros
Havanent
Des pro­ces­sions andines
Où le chaman sacrifie
Où les Hougans, les Péristils
Et partout les chansonniers
Chantent mon agonie-naissance

Un jour j’ai aimé Amour
Et Amour est morte.

Maman, le monde est si cru­el et tu ne m’as rien dit. Par­fois je préfèr­erais ne pas exis­ter, ou à peine. Et pour seule once de présence un regard, et tout raconter :

Les cinq mille cent vingt trois kilo­mètres de rails
Les mon­tagnes enneigées de l’Utah,
Le désert triste et ses buis­sons prêts à mourir,
Les val­lées oranges du Colorado,
Presque aus­si belles que sa peau,
Son soleil rouge-à-lèvre de Californie
Et le vent de l’Ohio qui fait frémir
Comme sa démarche d’enfant,
Le vide de son absence per­du dans les val­lées du Nevada,
Rem­ballez, rem­ballez tout et rangez dans un coin, car c’est la fin de mon voy­age et demain je ren­tre seul, dans l’immense nulle part du monde.

 

 

 

Trav­els Notebook

 

Trans­la­tion by the Author
Cor­rec­tions in Eng­lish pro­vid­ed by Farahn Morgan

 

A trib­ute to Blaise Cendrars

 

Through the window
Of your six-sound rhythm train
Travellers
Along the plat­form, aligned
In their luggage
Pile-in, entan­gle and slide

Good­bye,
The last walk­ers in the desert­ed streets
Goodbye
The city in the last daylights

Good­bye takes every­thing away

And Love stays behind
Through the window
Soon a world sep­a­rates you
And the glass sharp­ens and wears you out and in love you are smashed
You can still hear her laughs
Cat-walk­ing like the train stations

Your sad­ness is immense

In an old emp­ty coach
Throb­bing loneliness
For the ver­ti­go travels
Across America
Five thou­sand, a hun­dred and twen­ty three kilometers,
Here we say three thou­sand two hun­dred and two miles
You are alone and you think of Cendrars
The prose of the Trassi­ber­ian is a cen­tu­ry old
Lit­tle Jehanne of France is long gone

 

And the train still dashes,
Takes me to the essence of the journey
Where I was born
Where from the high of my child­hood I could feel the deep­ness of my soul
Where the dream was my life
Where I held beau­ty in a box
And Every­thing was still possible
And Every­thing is not much anymore

Out­side the night col­o­nizes the sky
Ther­mome­ters and hour­glass­es tip over
And in my heart, minus fifteen

First night and first fever
You have seen of the East Coast only white, yel­low, con­nec­tive lights, and a lot of black
The earth turns around itself sev­er­al times per hour
And on your gramo­phone, Good Dev­il plugs the scratched record of Your Dreams:

Do you remem­ber your place of birth? You were play­ing on the main square. The falling sun turned passers-by faces red and every sec­ond eter­nal. The sec­onds pass­ing by turned suns red eter­nal and every face falling. The Eter­nal pass­ing by turned the suns falling red and every face seconds.

Watch drips, its hands bend, dials melt
We have been on the road for hours
Maybe days
Your hair turn­ing gray
The tick­et inspec­tor asks you « are you going home ? »
You don’t have a home
Some rumors of a Fam­i­ly, at most
And you are scared of e‑mails
They don’t bring good news
And Love watch­es you through the win­dow every time
That your memory’s hoofs shake
On the ceme­tery of your reminiscences
This horse smells like death
Only Your Dreams to help you:

And I trav­el in your trav­el, live each sec­ond a thou­sand times. I sing in your silence, my day­dream, your dream, more real than the world.

You are in Moscovia and you are drunk. You are twen­ty and you dri­ve a gal­lop­ing six-horse sledge. The stone storm throw­ing snow to your face.

 

 

And your memory’s hoofs shake
Love still watch­es you through the window
The record skips
« Me haces reír »
She was say­ing like a sparkle
Daugh­ter of Ama­zo­nia with a Span­ish smile
If only you knew how to love me
If only I was lovable.

And the sun pur­sues the moon and nev­er seems to reach it
Eclipses are so rare

And I trav­el in your trav­el, live each sec­ond a thou­sand times. I sing in your silence, my day­dream, your dream, more real than the world

Along the Danube Riv­er, a fresh breeze whis­tles the joy­ful bucol­ic. Chil­dren play in the sheaves. You have noth­ing to fear. You enjoy the landscape’s tran­quil­i­ty. You smell the land’ smell. You taste its fruits, delight­ed. Your tired hand caress­es the wood of your old small boat. You see hills pass­ing by, each one steep­er. And you hear the trav­el­ing vio­lins cradling the land­scape cra­dled by the trav­el­ing vio­lins cradling the land­scape cra­dled by the trav­el­ing vio­lins cradling the land­scape unrolling across the win­dow of the gray train. You have seen the frozen night of Nebras­ka and the end of times, the snowy plains of Iowa, Lake Michi­gan as a big North­ern Sea and Chica­go as an ori­flamme in the sav­age spume.

                                                                                                                                    V
                                                                                                                                    E
                                          W                                                                                      R
                                           A                                                                                       T
                                           L                                                                                        I                                   C
              Y                           K                                                   T                                 C                                   I
              O                          E                       I                           H                                 A                                   T
              U                          D                      N                          E                                 L                                   Y

 

 

I remem­ber now, it was a cou­ple of hours ago, maybe days
And the Col­orado Riv­er pre­cedes us, fol­lows us, and pre­cedes us again
The night oceans in the Mor­mon country
The loco­mo­tive lights the reefs in the infi­nite blue depths
And slow­ly Love sinks into
Mem­o­ries and mem­o­ries of her sink into
Pain and my pain sinks into
Obliv­ion, to leave but only the immense stretch­es of Nevada

And at the end of dis­com­fort, defeat­ed by tired­ness, put off by the smell of bod­ies locked in for too long, in your half-sleep, the cur­tains come and go, inflate and deflate, in the world’s breathe. And the seats also, and the car, and the train breath, the nature, the elements…

And I trav­el in your trav­el, live each sec­ond a thou­sand times. I sing in your silence, my day­dream, your dream, more real than the world

You are in Sara­je­vo. You are old now. And death fright­ens you a lit­tle. You believe in God. Sud­den­ly con­vinced of its exis­tence. Just in case.

And the bells ring, call for the mass. The Ortho­dox parish­ioners are already pray­ing at the censer smoke. From the top of a minaret the Mu’adhdhin sings to the glo­ry of Allah. Kneel­ing down on your prayer rug, a few steps away you hear the Ami­da recit­ed by a beard­ed rab­bi in the dim light of a meno­rah. And every­thing blends in your head: « Baroukh ata Adon­aï… Pater Nos­ter, qui es in caelis … Allahu Akbar… Gospode Isuse Hriste, Sine Boži­ji, pomiluj me grešnog ».

And in the noth­ing­ness den
You still hear the immemo­r­i­al reli­gions’ symphony
Ortho­dox, Jew­ish, Mus­lim, Catholic,
Halt­ing with the bro­ken rhythm of our mod­ern mechanicals
« Tchouk­outchouk­ou Tchouk­outchouk­ou Tchoukoutchoukou… »
And the voic­es whis­per « Baroukh ata Adon­aï… Pater Nos­ter, qui es in caelis … Allahu Akbar… Gospode Isuse Hriste, Sine Boži­ji, pomiluj me grešnog ».
And slow­ly, and slow­er still
« Tchouk­outchouk­ou Tchouk­outchouk­ou Tchoukoutchoukou…»
Announc­ing the end of a dream.

Stars’ vagabonds, in this train of thou­sand unful­filled promis­es, we arrived in San Fran­cis­co. On Pacif­ic Avenue I lived my life in reverse. In a cell I desired being a prism of light between the walls of my ver­ti­go, and I saw the sea. I end­ed in the Devil’s jaw: a thou­sand hors­es of spume that the wind rains to the sky. It was the end of my jour­ney and a voice told me « it is time to go back now ». I had one last look at the city in its sparkles of light, the crumbs of my memory.

I would like, I would like this jour­ney nev­er to end. Escape real­i­ty for­ev­er. Beyond the pacif­ic, the hori­zon, until every­thing disappears

And Japan cher­ry blossoms
Chi­na gongs
Brazil carnival
Fall the masks in Venice
And the Entre­pre­neurs walk
In Sin­ga­pore, Moscow, New-York
Under the tropics
Sal­sa dancers Havana
Andean proclamations
Where the Shaman sacrifices
Where the Hougans, the Presitils
And every­where the singers
Sing my agony-birth

One day I loved Love
And Love died.

Moth­er, the world is so cru­el and you told me noth­ing. Some­times I would rather not exist, or bare­ly. A glance as the only ounce of pres­ence, and tell everything:

The five thou­sand one hun­dred and twen­ty three kilo­me­ters of rail
The snowy moun­tains of Utah
The sad desert and its dying bushes
Col­orado orange valleys
Near­ly as beau­ti­ful as her skin
Her Cal­i­for­nia lip­stick sun
And the Ohio wind that makes you quiver
Just like her child­ish walk
The empti­ness of her absence lost in the Neva­da valleys
Wrap-up, wrap-up every­thing and store it in a cor­ner, because it is the end of my jour­ney and tomor­row I will return alone, in the immense nowhere of the world.

 

 

 

Diario de Viajes

 

 

Tra­duc­ción por el Autor
Cor­rec­ciones en Español por Alexan­dra González

 

Hom­e­na­je a Blaise Cendrars

 

A través de la ventana
De tu tren de seis tiempos
Via­jeras Viajeros
En el andén, alineados
En sus equipajes
Se api­lan, se enredan y deslizan

Adiós,
Los últi­mos peatones de las calles desiertas
Adiós
La ciu­dad con las últi­mas luces del día

Adiós reti­ra todo en su paso

El Amor se aleja
A través de la ventana
Pron­to un mun­do los separará
Y la ven­tanil­la se afi­la y te ago­ta y aman­do te rompes
Todavía oyes sus risas
Que des­fi­lan como las estaciones

Tu tris­teza es inmensa

En un viejo coche vacío
Soledad abrumadora
Para el vér­ti­go viaje
A través de América
Cin­co mil cien­to vein­titrés kilómetros
Aquí se dice tres mil doscien­tas y dos millas

Estás solo y pien­sas en Cendrars
La Prosa del Tran­si­beri­ano tiene un siglo
Pequeña Jehanne de Fran­cia murió hace tiempo

Y el tren todavía vuela
Me lle­va a la esen­cia del viaje
Donde yo nací
Donde de la altura de mi infan­cia sen­tía la pro­fun­di­dad de mi alma
Donde el sueño era mi vida
Donde llev­a­ba la belleza en un joyero
Y todo era todavía posible
Y todo aho­ra es poca cosa

Afuera la noche col­o­niza el cielo
Ter­mómet­ros y relo­jes de are­na basculan
Y en mi corazón, bajo quince

Primera noche y primera fiebre
Has vis­to la Cos­ta Este, solo luces blan­cas, amar­il­las, con­jun­ti­vas y negro, mucho negro
La tier­ra gira sobre sí mis­ma varias veces por hora
Y en tu gramó­fono, el Buen Dia­blo pone el dis­co raya­do de Tus Sueños:

¿Te recuer­das del lugar donde naciste? En la plaza prin­ci­pal jugabas. El sol cayén­dose ponien­do el ros­tro de los transeúntes rojo y cada segun­do era eter­no. Los segun­dos pasa­ban ponien­do los soles rojos eter­nos y cada ros­tro cayén­dose. El Eter­no pasa­ba ponien­do los soles rojos cayén­dose y cada ros­tro segundo.

Los relo­jes gotean, sus agu­jas se retuercen, las esferas funden
Hace horas que andamos
Días quizás
Tus cabel­los se vuel­ven gris a sim­ple vista
El con­tro­lador te pre­gun­ta ” ¿Te vuelves a casa? ”
Tu ya no tienes casa
Algunos rumores de Famil­ia si acaso
Y tienes miedo a los e‑mails
No traen bue­nas noticias
Y el Amor te mira por la ven­tana cada vez
Que los cas­cos de tu memo­ria tiemblan
Sobre el cemente­rio de tus recuerdos
Este cabal­lo huele la muerte
Solo Tus Sueños para ayudarte:

Y via­jo en tu via­je, vuel­vo a vivir mil veces cada segun­do. Can­to en tu silen­cio, mi ensueño, tu sueño, más real que el mundo

Estás en Moscovia y estás bor­ra­cho. Tienes veinte años y mon­tas un tri­neo tira­do por seis cabal­los galo­pe­an­do. La tor­men­ta sal­va­je te envía nieve a la cara.

Y los cas­cos de mi memo­ria tiemblan
El Amor me mira por la ventana
El dis­co se raya
“Me haces reír”
Dijo Ella con una carcajada
Hija de Ama­zo­nia con la son­risa Española
Si solo supieras amarme
Si solo fuera amable

Y el sol sigue la luna y nun­ca parece alcanzarla
Los eclipses son tan raros

Y via­jo en tu via­je, vuel­vo a vivir mil veces cada segun­do. Can­to en tu silen­cio, mi ensueño, tu sueño, más real que el mundo

A lo largo del Danu­bio, un vien­to fres­co sopla la feliz bucóli­ca. Niños jue­gan en los pajares. No tienes nada que temer. Dis­fru­tas la tran­quil­i­dad del paisaje. Hue­les el per­fume de la tier­ra. Prue­bas sus fru­tas, las sabore­as. De tu mano cansa­da acari­cias la madera de tu bar­co viejo. Ves las col­i­nas des­fi­lan­do, cada una más pro­nun­ci­a­da. Y escuchas a los vio­lines via­jeros arrul­lan­do el paisaje arrul­la­do por los vio­lines via­jeros arrul­lan­do el paisaje arrul­la­do por los vio­lines via­jeros arrul­lan­do el paisaje que se desen­rol­la a través de la ven­tana del tren gris. Has vis­to la noche glacial del final del mun­do en Nebras­ka, las lla­nuras nevadas del Iowa, el lago Michi­gan como un gran mar del Norte y Chica­go como una ori­fla­ma den­tro de las espumas salvajes

                                                                                                                                                                 V
          A                                                                                                                                                     E
          N                                                                                                                    C                             R
          D                                                                                                                     I                              T
          A                                                                                                                     U                             I
          S                             P                                                                                     D                            C
          T                             O                                    L                                               A                             A
          E                             R                                    A                                               D                            L

 

Recuer­do, fue hace unas horas, unos días quizás
Y el río Col­orado nos ade­lan­ta, nos sigue, nos adelanta
La noche oceá­na en país Mormón
La loco­mo­to­ra alum­bra los arrecifes en los fon­dos azules infinitos
Y poco a poco el Amor se hunde en
Los recuer­dos y los recuer­dos se hun­den en
El dolor y el dolor se hunde en
El olvi­do, para dejar sólo las exten­siones inmen­sas de Nevada
Y al final de la inco­mo­di­dad, ven­ci­do por el can­san­cio, repela­do por el olor de los cuer­pos encer­ra­dos, en tu entre sueño, las corti­nas van y vienen, se inflan y desin­flan, en la res­piración del mun­do. Y tam­bién las sil­las, y el coche y el tren res­pi­ran, la nat­u­raleza, los elementos…

 

 

Y via­jo en tu via­je, vuel­vo a vivir mil veces cada segun­do. Can­to en tu silen­cio, mi ensueño, tu sueño, más real que el mundo

Estás en Sara­je­vo. Ya eres viejo. Y la muerte te da miedo. Crees en Dios. De repente estás con­ven­ci­do de su exis­ten­cia. Solo por si acaso.

Y ya las cam­panas tocan, lla­man a la misa. Los par­ro­quianos orto­dox­os ya rezan al humo del incien­so. Des­de un minarete el Mu’adhdhin can­ta a la glo­ria de Allah. De rodil­las en la alfom­bra de fieles, a pocos pasos ape­nas oyes la Ami­da recita­da por un rabi­no bar­bu­do en la penum­bra de un meno­rah. Y todo se mez­cla en tu cabeza: “Baroukh ata Adon­aï… Pater Nos­ter, qui es in Caelis… Allahu Akbar… Gospode Isuse Hriste, Sine Boži­ji, pomiluj me grešnog. ”

Y en la guar­i­da de la nada
Todavía oyes la sin­fonía inmemo­r­i­al de las religiones
Orto­doxas, judías, musul­manas, católicas,
Inter­cal­a­da con el rit­mo entrecor­ta­do de nues­tras mecáni­cas modernas:
“Tchouk­outchouk­ou Tchouk­outchouk­ou Tchoukoutchoukou …”
Y las voces susurran “Baroukh ata Adon­aï… Pater Nos­ter, qui es in Caelis… Allahu Akbar… Gospode Isuse Hriste, Sine Boži­ji, pomiluj me grešnog. ”
Y más suave y más suave todavía
Y las mecáni­cas mod­er­nas desen­to­nan y desen­to­nan más fuerte
“Tchouk­outchouk­ou Tchouk­outchouk­ou Tchoukoutchoukou …”
Anun­cian­do el final de un sueño.

Vagabun­dos de las estrel­las en este tren con mil prome­sas incon­clusas hemos lle­ga­do a San Fran­cis­co. En Pacif­ic Avenue viví mi vida al revés. En una célu­la quería ser pris­ma de luz entre las pare­des de mi vér­ti­go, y vi el mar. Ter­miné entre los dientes del dia­blo: mil cabal­los de espuma que el vien­to llueve al cielo. Era el final de mi via­je, y una voz me dijo que ya era hora de regre­sar. Vi una últi­ma vez la ciu­dad en los res­p­lan­dores de luces, miga­jas de mi recuerdo.

Deseo, deseo que este via­je no se pare nun­ca. Escapar de la real­i­dad para siem­pre. Más allá del Pací­fi­co, del hor­i­zonte, has­ta que todo desaparezca.

Y el Japón flo­rece los cerezos
Chi­na gong
Brasil carnaval
Se caen las más­caras en Venecia
Y los empre­sar­ios marchan
Sobre Sin­ga­pur, Moscú, Nue­va York
Bajo los trópicos
Los Salseros
Havanan
Pro­ce­siones andinas
Donde el chamán sacrifica
Donde los Hounganos, los Péristiles
Y todos los cantantes
Can­tan mi agonía-nacimiento

Un día amé el Amor
Y el Amor murió.

Mamá, el mun­do es tan cru­el y no me dijiste nada. A veces preferiría no exi­s­tir, o ape­nas. Y por úni­ca onda de pres­en­cia una mira­da, y con­tar­lo todo :

Los cin­co mil cien­to vein­titrés kilómet­ros de rieles
Las mon­tañas nevadas del Utah,
El desier­to triste y sus arbus­tos dis­puestos a morir,
Los valles anaran­ja­dos del Colorado,
Casi tan her­mosos como su piel,
Su sol rojo, bar­ra de labios de California
Y el vien­to de Ohio que emociona
Como sus andares de niña
El vacío de su ausen­cia per­di­do en los valles de Nevada,
Despachan, despachan todo y guardan en un rincón, porque es el final de mi via­je, y mañana regre­so solo, en la inmen­sa ningu­na parte del mundo.

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