On trouve dans le recueil Mais qui lira le dernier poème ? suivi de C’est encore l’hiver et Radiographie d’Éric Dubois paru aux Editions Publie.net (collection Publie Papier) en 2012, la volonté de ” circonscrire sa pensée à son quartier”.
Le lecteur partage la familiarité du cadre de vie du poète. Dans cette proximité, il y a autant l’humilité de se montrer tel qu’on est que d’inscrire l’écriture dans une temporalité du quotidien qui s’égrène jour après jour. Le poète énonce son b.a. –ba qui ne s’encombre pas d’effets de style :
On ne veut ni métaphore
ni comparaison
Mais quelques mots simples.
Qui parle de lyrisme ?
Un été provisoire
Et des bribes
La radiographie des années d’enfance en banlieue ressemble aux teintes surannées des vieilles cartes de géographie. Les mots sont des frontières dessinées dans leurs moindres détails pour ne pas se perdre. Une main patiente trace les méandres des fleuves comme on apprend à écrire en ajustant ses lettres au format de la feuille de papier. « Pleine page à vivre » qu’il faut apprivoiser pour trouver dans la « Grammaire de la vie » ses repères avec « Des mots frères des phrases familières ».
On retrouve ce fil d’Ariane de l’écriture entre un défunt et ceux qui lui survivent, le passé et le présent, l’enfant qui récite son poème au tableau, l’adolescent qui découvre la fulgurance des mots et l’adulte qui vit le paradoxe d’être poète sans pouvoir en vivre. Tandis qu’on taille le bois pour former ses premières cursives, grisé par « un flux à maîtriser dans le corset de la langue », la jeunesse s’enivre de sensations fortes :
Les mots ont un goût de sang et de menthe
dans la ponctuation du temps
Plus tard, chaque mot chauffé à blanc est martelé plusieurs fois sur le clavier et à force d’épuiser toutes les alternatives possibles, arraché au néant par sa forme définitive :
Écrire est une mise à jour
une signature de l’oubli
Une dénonciation du temps
Le poème est un aveu
L’écrivain regarde la ville de son enfance, le quai du RER, sa rue, son quartier, la Marne pour y tracer les phrases de sa poésie qu’il emprunte chaque jour pour se déplacer :
La rue est pavée des jours
multiples
La fuite du temps s’inscrit physiquement dans le paysage et s’imprime matériellement sur l’étendue du papier. Étrange disposition des textes qui se blottissent dans le coin gauche de la feuille et laisse le champ libre à notre imagination pour poursuivre le poème jusqu’en bas. Pas de point qui conclue le texte. Les mots oscillent entre la nécessité de recommencer à chaque fois à écrire, à lire, à tourner les pages et cette sédimentation inévitable du langage qui fige les choses.
Un des recueils s’intitule Radiographie. Soit une image prise à un instant T pour aller fouiller à l’intérieur et mettre des mots sur un mal-être. Pour trouver une réponse qui nous éclaire sur l’avenir, le texte se tourne vers le passé en déroulant le fil de la généalogie familiale. Toutes les anecdotes, les détails insignifiants, les paroles prises au cœur du quotidien s’emmagasinent et forment les contours d’un territoire de l’intime. Une répétition des mois et des années qui constitue la somme de l’être. Un artisanat qui s’emploie à faire de la matière de la langue un objet qu’on transmet aux autres à travers ses écrits. Il y a dans cette voix une difficulté à concilier le poids du passé et la nécessité de s’en libérer pour être plus réceptif au présent en se détachant des autres pour créer en toute solitude. Alors l’écriture retourne à ses débuts, sage et appliquée. Pas d’effets ni de grands bouleversements dans cette langue. Juste la liste des images qui reviennent à la mémoire pour se fabriquer une histoire à léguer :
Aussi un temps
construire du passé
Pour recomposer
un présent présentable
Cette mélancolie du temps qui passe exige de se mettre à nu et de ne rien cacher des troubles et des angoisses qui parfois nous assaillent :
Je suis un homme
qui ne protège aucune pensée
C’est tout à l’honneur de l’auteur ne pas chercher à nous attendrir et de faire du lecteur un compagnon de route plutôt qu’un simple visiteur qu’on dorlote et qu’on ménage.
L’hiver invite à l’introspection et ce recueil de poèmes est à mettre entre les mains de ceux qui n’auront pas peur de fouiller en eux, pour trouver les mots qui donnent jour après jour, du sens à la vie :
Il faut une certaine lenteur
pour voir les choses apparaître
Pourtant cette poésie n’est pas réductible à sa mélancolie. Il y aussi dans les multiples activités de cet écrivain, un appétit insatiable de l’instant qui se façonne dans la fulgurance de ses aphorismes et dans son obstination à vivre le présent, avec son activité de blogueur ou sa générosité à partager – sur le site collaboratif Le Capital des mots dont il est responsable – une poésie de tous les jours. Si la vie est parfois pavée d’embûches, Éric Dubois choisit délibérément d’être dehors et de partager, avec ses lecteurs de passage, une poésie décomplexée qui s’affirme autant par sa propre écriture que par la parole qu’il donne aux autres, une écriture qui oblige à sortir de soi, à mettre un mot devant l’autre, à rendre le chemin plus accessible à tous ceux qui empruntent sa voix.
- Eric DUBOIS : Mais qui lira le dernier poème? - 8 février 2016