« Je n’ai pas peur des morts », dis­ait l’homme,  « Du néant,
du locuste qui bon­dit sur la chair de l’été, d’une pluie soudaine,
du cirque des four­mis rouges à l’om­bre d’une pierre.
L’ab­sence de mots m’ef­fraie bien davantage.
Alors j’écris. Sans fin j’écris. J’écris de la même façon que je con­stru­is cette tour
à la place du vieux puits. Ce damné puits
où mon père est tombé et s’est brisé la nuque. »

C’é­tait l’hiv­er. Un train longeait les ter­res bass­es telle une
gaze d’un blanc neige dans une lampe à huile noir­cie. Les sol­dats amenés
au front étaient penchés aux fenêtres du wag­on et saluaient
de leurs casques le trou­peau de chevaux sauvages courant le long du train.
Des enfants tail­lant du bois dans la cour. Un char­i­ot à provisions
enfon­cé dans la neige et l’en­nui dans la voix de cette femme
étreignant l’homme sur le bal­con de la tour, et dis­ant « Tu dois partir. »
Je veux dire les rou­tines de l’hiver.

Le lende­main l’homme tombait de la tour et se bri­sait la nuque.
La femme frap­pa à plusieurs repris­es à la porte de la tour à l’heure habituelle,
une lanterne dans une main, un para­pluie dans l’autre,
le man­u­scrit des poèmes de l’homme qu’elle n’ar­rivait pas à garder au sec
entre ses dents.

Der­rière le vent se cachait la peur, qui reni­flait la femme.

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