1. Le trente-huit juillet
(la nuit dernière j’ai brûlé tous les dic­tio­n­naires sur le balcon,
aucun d’eux ne con­te­nait ton nom)

il a écrit que juil­let est plus long que l’été
même la pluie d’été est plus longue que juillet
ton nom est plus long que tes cheveux

je n’écrirai pas ton nom ici

 

2. Juil­let est plus long que l’été
(si c’est le mois où tu eus ta coupe de cheveux la plus courte)

nous avons dit « émon­dons la vigne »,  nous avons émondé
« glo­ri­fions l’om­bre de la vigne »,  nous avons glorifié

le ciel transpire
et par­le de la mort
cela seul suffisait
à puri­fi­er tout le sens

midi cher­chait sa place
dans les phrases
comme une pré­po­si­tion anxieuse

nous avons émondé les noms de midi et la pierre humide
(nous le fîmes pour qu’ils vivent à jamais)

nous avons dit « enroulons les feuilles de vigne », nous avons enroulé
et cuisiné

nous avons fait l’amour
mais ce que nous n’avons pas dit était
« faisons l’amour sous la vigne »

 

3. L’été est un rat mouil­lé, juil­let est un vil­lage en quarantaine
(la pluie s’é­tend comme une phrase sans fin d’un livre intitulé
« Ne pas pou­voir aller dans une ville »…)

ma ville est un haiku
à qua­tre vers
et se tient au milieu de la plaine

Je t’ai écrit cet été-là « J’ai dû quit­ter l’école,
ils nous for­cent à chang­er nos noms »
Cet été-là je t’ai écrit « On va m’en­rôler pour le ser­vice militaire
mes études de théâtre inachevées, fini de jouer sur scène »

Cet été-là je t’ai écrit trois haïkus de plus

Cet été-là je t’ai écrit sur l’aza­lée en fleur, et comment
nous cam­pi­ons sur le plateau de pruniers pour la pre­mière fois sans toi
et com­ment un édi­teur a refusé mon livre
j’ai écrit « les jours sont ordi­naires, tout est folie
mais nous sommes en train de nous y habituer »

J’ai écrit « Nous avons ouvert une bouteille de vin sur le brise-lames,
et célébré l’an­niver­saire de la décou­verte de la pre­mière édi­tion de
« L’In­sti­tut d’a­justage des horloges »
et le rhu­ma­tisme d’au­tomne du chat de ma tante s’ag­grave et
ils nous for­cent à quit­ter nos maisons »

J’ai écrit « partout mon pays s’écroule, mais toutes mes pen­sées sont pour toi »

Je n’ai pas pu écrire « ils ont emmené ton frère à l’asile »

Le lan­gage est un camp de con­cen­tra­tion, mon pays est une mine vide
Ma classe de théâtre restera inachevée jusqu’à la fin des temps

 

4. Trois haïkus
(l’été est une parade moite dans un débit de bois­sons, l’au­tomne est une petite fille
qui se masse les pieds et répète ses répliques en atten­dant son tour)

lait de juillet
à l’om­bre des figues
l’abeille s’ac­cou­ple avec le criquet

j’ai bu trois tasses
un haïku dans la deuxième
l’eau est vivante

tes yeux noisette
cet été ne sera pas paisible
mur­murent les mar­ronniers d’Inde et le vent

 

5. Lutenit­sa
(le lan­gage mord juil­let, des chameaux bleus traversent
la nuit de désert enragée de tes cheveux)

lutenit­sa, lutenitsa
ton nom sig­ni­fie sauce papri­ka avec du miel
mais je l’ai appris trop tard
 

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