traduit par Mar­i­lyne Bertoncini

One/Another

One sighs heav­i­ly down the telephone
Anoth­er pours the assassin’s quicksand

One leaves the gar­ri­son lone­ly as a bullet
Anoth­er fills white tubs with kerosene

One is sur­veyed from the bor­der glass
Anoth­er guards against the dark­ness of trees

One clinks to the enemy’s thimble
Anoth­er fan­ta­sizes death in a flyway

One slugs the sit­ter at his pianoforte 
Anoth­er takes shade under a fig tree

One dis­cerns blood­i­ness from the siren
Anoth­er bran­dish­es the manacles

One jug­gles dust between his hands
Anoth­er com­busts the basecamp

 

Post­cards

All night the Commander,
With a high, baro­nial laugh,
Peels a scent of sweet mandarin
From the waist of a waitress.

*

They will heap mud over her eyes. 

*

The boy sol­diers entered the house
And round­ed up the mar­ket gardener,
His two sons, his fiery old grandfather, 
And shot them where they crouched
In their shadows.

*

A moth­er counts pen­i­tence in her rosary.
The baby in her stom­ach grows eyes.

*

At the tri­bunal, the army secretariat
Blamed Moth­er Nature herself—
A great and sud­den simoom that caused
The sor­ry fire. And nobody can condemn
The amne­si­ac his­to­ry of the wind,
Or the amne­si­ac his­to­ry of fire.
They did not men­tion the bolt­ed doors,
Or the gaso­line tanks strewn like tooth stumps.
The frost-bound face of a gov­ern­ment judge 
Deemed the new­ly-wid­owed witnesses
Over-emo­tion­al. Unreliable.

*

The vil­lage has been stripped to a wound. 
Two scor­pi­ons scrap in a cru­cible of sand— 
The ques­tion mark of their tails singe­ing the air.

*

The boys have made a giant playhouse 
From the rub­bled stan­chions of the razed compound.
Two kid Gen­er­als line up teams
For a game of Guns vs. Swords.
And then the swashbuckle
And then the rat-tat-tat from their mouths
To make the guns seem real
For the onlook­ing father’s of the Revolution
Who pick sides, shout and cheer.

*

At the far wall of the bombed-out mosque,
A prayer tan­noys back the Prophet’s take
On for­give­ness dur­ing times of anger. 
But the muezzin dragged in the dust by his collar
Now cracks and cracks again
Against the tremo­lo in his voice. 

*

These are two of the post­cards that could not be sent.
Bee­tle-nib eyes under the sliv­ery sheet of a moon
That quakes over her sea-wrin­kled face.
The pro­file of the skeleton
Who vis­its her by night,
His mechan­i­cal arms
Upraised, still
Pleading
Mer­cy.

*

At the mil­i­tary moun­tain base,
Five men are led down its steep side
Then deep into the shal­lows of a grove.
Nobody will tell the sto­ry here. 
The moun­tain is qui­et and infinite.
The buz­zards silent in their appetites,
Only the olive leaves hiss back to the sky.

 

***********

 

L’Un/L’Autre

L’un soupire pro­fondé­ment au téléphone
L’autre verse les sables mou­vants de l’assassin

L’un quitte la gar­ni­son seul comme une balle
L’autre emplit les tubes blancs de kérosène

L’un est observé de la vit­re en frontière
Un autre défend de la noirceur des arbres

L’un trinque avec l’ennemi
Un autre imag­ine la mort sur une route migratoire

L’un s’acharne sur celui qui est  assis au piano
Un autre s’abrite à l’om­bre d’un figuier

L’un devine le car­nage au son des sirènes
Un autre bran­dit les menottes

L’un jon­gle avec la pous­sière entre ses mains
Un autre brûle le camp de base

 

Cartes Postales

Toute la nuit le Commandant,
Avec un rire baro­nial et haut perché,
Ecorce un par­fum de douce mandarine
De la taille d’une serveuse.

*

Ils amasseront la boue sur ses yeux.

*

Les enfants-sol­dats sont entrés dans la maison
Et ils ont entouré le maraîcher,
Ses deux fils, son fier aïeul,
Et les ont abat­tus quand ils se sont accroupis
Dans leurs ombres.

*

Une mère égrène son chapelet.
L’en­fant dans ses entrailles a les yeux qui grandissent.

*

Au tri­bunal, le secré­taire aux armées
A blamé Mère Nature elle-même -
Un bru­tal et grand simoun responsable
Du triste incendie. Et per­son­ne ne peut condamner
L’his­toire amnésique du vent,
Ou l’his­toire amnésique du feu.
Ils n’ont pas men­tion­né les portes verrouillées,
Ni les bidons d’essence épars comme des chicots de dents.
Le vis­age glacial d’un juge du gouvernement
A estimé que les veuves récentes qui témoignaient
Etaient trop émo­tives. Pas fiables.

*

Le vil­lage a été réduit à une blessure.
Deux scor­pi­ons batail­lent dans un creuset de sable -
Le point d’in­ter­ro­ga­tion de leurs queues cin­gle l’air.

*

Les garçons ont fait un immense ter­rain de jeux
Des décom­bres du camp mis à sac.
Deux Généraux enfants alig­nent des équipes
Pour un jeu de Fusils con­tre Epées.
Puis c’est le fer­raille­ment des armes
Et les tac-tac de leurs bouches
Pour que les fusils aient l’air vrai
Aux yeux des pères de la Révo­lu­tion, spectateurs
Qui pren­nent par­ti, cri­ent, applaudissent.

*

Au loin, sur le mur en ruine de la mosquée bombardée,
Une prière par haut-par­leur retrans­met les paroles du Prophète
Sur le par­don dans les temps de colère.
Mais le muezzin trainé dans la pous­sière par son col
Se brise et craque encore
con­tre le tré­mo­lo de sa voix.

*

Voici une paire des cartes postales qui n’ont pu être envoyées.
Yeux dévorés d’in­sectes sous la lame d’ar­gent d’une lune
Qui frémit au-dessus de son vis­age buriné.
Cette sil­hou­ette de squelette
Qui lui rend vis­ite la nuit,
Ses bras mécaniques
Dressés, toujours
Implorant
Pitié.

*

De la base mil­i­taire en montagne,
Cinq hommes sont menés sur la pente la plus raide
Puis loin dans les pro­fondeurs d’un bosquet.
Nul ne dira ce qui s’est passé là.
La mon­tagne est pais­i­ble et infinie.
Les busards silen­cieux dans leur appétit,
Seules les feuilles d’o­livi­er sif­flent con­tre le ciel.

Tra­duc­tion Mar­i­lyne Bertoncini

 

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Marilyne Bertoncini

Biogra­phie Enseignante, poète et tra­duc­trice (français, ital­ien), codi­rec­trice de la revue numérique Recours au Poème, à laque­lle elle par­ticipe depuis 2012, mem­bre du comité de rédac­tion de la revue Phoenix, col­lab­o­ra­trice des revues Poésie/Première et la revue ital­i­enne Le Ortiche, où elle tient une rubrique, “Musarder“, con­sacrée aux femmes invis­i­bil­isées de la lit­téra­ture, elle, ani­me à Nice des ren­con­tres lit­téraires men­su­elles con­sacrées à la poésie, Les Jeud­is des mots dont elle tient le site jeudidesmots.com. Tit­u­laire d’un doc­tor­at sur l’oeu­vre de Jean Giono, autrice d’une thèse, La Ruse d’I­sis, de la Femme dans l’oeu­vre de Jean Giono, a été mem­bre du comité de rédac­tion de la revue lit­téraire RSH “Revue des Sci­ences Humaines”, Uni­ver­sité de Lille III, et pub­lié de nom­breux essais et arti­cles dans divers­es revues uni­ver­si­taires et lit­téraires français­es et inter­na­tionales : Amer­i­can Book Review, (New-York), Lit­téra­tures (Uni­ver­sité de Toulouse), Bul­letin Jean Giono, Recherch­es, Cahiers Péd­a­gogiques… mais aus­si Europe, Arpa, La Cause Lit­téraire… Un temps vice-prési­dente de l’association I Fioret­ti, chargée de la pro­mo­tion des man­i­fes­ta­tions cul­turelles de la Rési­dence d’écrivains du Monastère de Saorge, (Alpes-Mar­itimes), a mon­té des spec­ta­cles poé­tiques avec la classe de jazz du con­ser­va­toire et la mairie de Men­ton dans le cadre du Print­emps des Poètes, invité dans ses class­es de nom­breux auteurs et édi­teurs (Bar­ry Wal­len­stein, Michael Glück…), organ­isé des ate­liers de cal­ligra­phie et d’écriture (travaux pub­liés dans Poet­ry in Per­for­mance NYC Uni­ver­si­ty) , Ses poèmes (dont cer­tains ont été traduits et pub­liés dans une dizaine de langues) en recueils ou dans des antholo­gies se trou­vent aus­si en ligne et dans divers­es revues, et elle a elle-même traduit et présen­té des auteurs du monde entier. Par­al­lèle­ment à l’écri­t­ure, elle s’in­téresse à la pho­togra­phie, et col­la­bore avec des artistes, plas­ti­ciens et musi­ciens. Site : Minotaur/A, http://minotaura.unblog.fr * pub­li­ca­tions récentes : Son Corps d’om­bre, avec des col­lages de Ghis­laine Lejard, éd. Zin­zo­line, mai 2021 La Noyée d’On­a­gawa, éd. Jacques André, févri­er 2020 (1er prix Quai en poésie, 2021) Sable, pho­tos et gravures de Wan­da Mihuleac, éd. Bilingue français-alle­mand par Eva-Maria Berg, éd. Tran­signum, mars 2019 (NISIP, édi­tion bilingue français-roumain, tra­duc­tion de Sonia Elvire­anu, éd. Ars Lon­ga, 2019) Memo­ria viva delle pieghe, ed. bilingue, trad. de l’autrice, ed. PVST. Mars 2019 (pre­mio A.S.A.S 2021 — asso­ci­azione sicil­iana arte e scien­za) Mémoire vive des replis, texte et pho­tos de l’auteure, éd. Pourquoi viens-tu si tard – novem­bre 2018 L’Anneau de Chill­i­da, Ate­lier du Grand Tétras, mars 2018 (man­u­scrit lau­réat du Prix Lit­téraire Naji Naa­man 2017) Le Silence tinte comme l’angélus d’un vil­lage englouti, éd. Imprévues, mars 2017 La Dernière Oeu­vre de Phidias, suivi de L’In­ven­tion de l’ab­sence, Jacques André édi­teur, mars 2017. Aeonde, éd. La Porte, mars 2017 La dernière œuvre de Phidias – 453ème Encres vives, avril 2016 Labyrinthe des Nuits, suite poé­tique – Recours au Poème édi­teurs, mars 2015 Ouvrages col­lec­tifs — Antolo­gia Par­ma, Omag­gio in ver­si, Bertoni ed. 2021 — Mains, avec Chris­tine Durif-Bruck­ert, Daniel Rég­nier-Roux et les pho­tos de Pas­cal Durif, éd. du Petit Véhicule, juin 2021 — “Re-Cer­vo”, in Trans­es, ouvrage col­lec­tif sous la direc­tion de Chris­tine Durif-Bruck­ert, éd. Clas­siques Gar­nier, 2021 -Je dis désirS, textes rassem­blés par Mar­i­lyne Bertonci­ni et Franck Berthoux, éd. Pourquoi viens-tu si tard ? Mars 2021 — Voix de femmes, éd. Pli­may, 2020 — Le Courage des vivants, antholo­gie, Jacques André édi­teur, mars 2020 — Sidér­er le silence, antholo­gie sur l’exil – édi­tions Hen­ry, 5 novem­bre 2018 — L’Esprit des arbres, édi­tions « Pourquoi viens-tu si tard » — à paraître, novem­bre 2018 — L’eau entre nos doigts, Antholo­gie sur l’eau, édi­tions Hen­ry, mai 2018 — Trans-Tzara-Dada – L’Homme Approx­i­matif , 2016 — Antholo­gie du haiku en France, sous la direc­tion de Jean Antoni­ni, édi­tions Aleas, Lyon, 2003 Tra­duc­tions de recueils de poésie — Aujour­d’hui j’embrasse un arbre, de Gio­van­na Iorio, éd. Imprévues, juil­let 2021 — Soleil hési­tant, de Gili Haimovich, éd. Jacques André , avril 2021 — Un Instant d’é­ter­nité, Nel­lo Spazio d’un istante, Anne-Marie Zuc­chel­li (tra­duc­tion en ital­ien) éd ; PVST, octo­bre 2020 — Labir­in­to delle Not­ti (ined­i­to — nom­iné au Con­cor­so Nazionale Luciano Ser­ra, Ital­ie, sep­tem­bre 2019) — Tony’s blues, de Bar­ry Wal­len­stein, avec des gravures d’Hélène Baut­tista, éd. Pourquoi viens-tu si tard ?, mars 2020 — Instan­ta­nés, d‘Eva-Maria Berg, traduit avec l’auteure, édi­tions Imprévues, 2018 — Ennu­age-moi, a bilin­gual col­lec­tion , de Car­ol Jenk­ins, tra­duc­tion Mar­i­lyne Bertonci­ni, Riv­er road Poet­ry Series, 2016 — Ear­ly in the Morn­ing, Tôt le matin, de Peter Boyle, Mar­i­lyne Bertonci­ni & alii. Recours au Poème édi­tions, 2015 — Livre des sept vies, Ming Di, Recours au Poème édi­tions, 2015 — His­toire de Famille, Ming Di, édi­tions Tran­signum, avec des illus­tra­tions de Wan­da Mihuleac, juin 2015 — Rain­bow Snake, Ser­pent Arc-en-ciel, de Mar­tin Har­ri­son Recours au Poème édi­tions, 2015 — Secan­je Svile, Mémoire de Soie, de Tan­ja Kragu­je­vic, édi­tion trilingue, Beograd 2015 — Tony’s Blues de Bar­ry Wal­len­stein, Recours au Poème édi­tions, 2014 Livres d’artistes (extraits) La Petite Rose de rien, avec les pein­tures d’Isol­de Wavrin, « Bande d’artiste », Ger­main Roesch ed. Aeonde, livre unique de Mari­no Ros­set­ti, 2018 Æncre de Chine, in col­lec­tion Livres Ardois­es de Wan­da Mihuleac, 2016 Pen­sées d’Eury­dice, avec les dessins de Pierre Rosin : http://www.cequireste.fr/marilyne-bertoncini-pierre-rosin/ Île, livre pau­vre avec un col­lage de Ghis­laine Lejard (2016) Pae­sine, poème , sur un col­lage de Ghis­laine Lejard (2016) Villes en chantier, Livre unique par Anne Poupard (2015) A Fleur d’é­tang, livre-objet avec Brigitte Marcer­ou (2015) Genèse du lan­gage, livre unique, avec Brigitte Marcer­ou (2015) Dae­mon Fail­ure deliv­ery, Livre d’artiste, avec les burins de Dominique Crog­nier, artiste graveuse d’Amiens – 2013. Col­lab­o­ra­tions artis­tiques visuelles ou sonores (extraits) — Damna­tion Memo­ri­ae, la Damna­tion de l’ou­bli, lec­ture-per­for­mance mise en musique par Damien Char­ron, présen­tée pour la pre­mière fois le 6 mars 2020 avec le sax­o­phon­iste David di Bet­ta, à l’am­bas­sade de Roumanie, à Paris. — Sable, per­for­mance, avec Wan­da Mihuleac, 2019 Galerie Racine, Paris et galerie Depar­dieu, Nice. — L’En­vers de la Riv­iera mis en musique par le com­pos­i­teur Man­soor Mani Hos­sei­ni, pour FESTRAD, fes­ti­val Fran­co-anglais de poésie juin 2016 : « The Far Side of the Riv­er » — Per­for­mance chan­tée et dan­sée Sodade au print­emps des poètes Vil­la 111 à Ivry : sur un poème de Mar­i­lyne Bertonci­ni, « L’homme approx­i­matif », décor voile peint et dess­iné, 6 x3 m par Emi­ly Wal­ck­er : L’Envers de la Riv­iera mis en image par la vidéaste Clé­mence Pogu – Festrad juin 2016 sous le titre « Proche Ban­lieue» Là où trem­blent encore des ombres d’un vert ten­dre – Toile sonore de Sophie Bras­sard : http://www.toilesonore.com/#!marilyne-bertoncini/uknyf La Rouille du temps, poèmes et tableaux tex­tiles de Bérénice Mollet(2015) – en par­tie pub­liés sur la revue Ce qui reste : http://www.cequireste.fr/marilyne-bertoncini-berenice-mollet/ Pré­faces Appel du large par Rome Deguer­gue, chez Alcy­one – 2016 Erra­tiques, d’ Angèle Casano­va, éd. Pourquoi viens-tu si tard, sep­tem­bre 2018 L’esprit des arbres, antholo­gie, éd. Pourquoi viens-tu si tard, novem­bre 2018 Chant de plein ciel, antholo­gie de poésie québé­coise, PVST et Recours au Poème, 2019 Une brèche dans l’eau, d’E­va-Maria Berg, éd. PVST, 2020 Soleil hési­tant, de Gili Haimovich, ed Jacques André, 2021 Un Souf­fle de vie, de Clau­dine Ross, ed. Pro­lé­gomènes, 2021