Brûlée, j’ai vu ma grand-mère brûlée.
Août. Chi­huahua, 1963. Elle brûla,
au dehors et au dedans, elle brûla 1004 rue Mina.
Je vis mon père l’en­velop­per dans un drap, le mate­las brûlait ;
les rideaux, le tapis, sa robe
noir­cis. Il ramas­sa tout.
« Ne faites pas de bruit, votre mère est fatiguée».
En août, cet après-midi là, je le vis vêtu de deuil avec sa cra­vate noire.
Il la ramas­sa. Ramas­sa cen­dre et pleurs.

La fumée de la grand-mère dans le patio, les tantes
buvotant, âpres, les grumeaux du café.
Il fal­lait effac­er l’om­bre douloureuse,
dis­soudre le sel, les pleurs, se ser­rer fort,
étouf­fer les con­vul­sions du voy­age, écouter
Paul Anka, par exem­ple et, tremblante,
ray­er le disque à 45 tours par minute.

En quelques instants, elle ces­sa de vivre,
tout devint pour­pre : la femme, la
fatigue, les frondaisons des peu­pli­ers. Et puis
la vit­re, la vit­re sur le cèdre,
le vis­age embrasé sous la fumée.

Ma mère aus­si brûla. En larmes, le sourire éteint :
« Peigne-moi, me dit-elle, laisse-moi sortir
voir si le linge est sec».

J’ai pris peur. Que ses pas lents ne la ramè­nent pas, de la douceur
de la feuille, de la déli­cate décomposition,
du poids sec du lierre, arraché du mur, du
vase de la cui­sine, sans fleurs. Peur de cette cham­bre aveuglée par sa mort.
De moi-même et du courant d’air
empor­tant la pous­sière des sycomores.

 

 

Tra­duc­tion Olivi­er Tafoiry

image_pdfimage_print