tra­duc­tion Rose­lyne Sibille

Pierre Hen­ry à la Grande Arche / 4 août 2007 : impressions

 

I. Ouver­ture : le soleil

Dés­in­tè­gre-moi douce­ment : étends-moi
sur le bord de ce crâne de géant gelé
que les ter­riens appel­lent ciel ; restau­re mes anneaux, récure
le boucli­er ; alors liqué­fie mon cœur, Odin,
avec les notes sis­miques, pri­males, que tes corbeaux-
Pen­sée et Mémoire — ont sor­ti du Temps.
D’abord, laisse-moi égout­ter des fioles de crépuscule
chro­ma­tique pour tamiser le par­adis de toute couleur
douce­ment , désintègre
les bleus, le cramoisi et le crème. Il est temps :
pro­jette cette lance infail­li­ble. Laisse la musique
com­mencer ; laisse le sang doré se répan­dre sur la terre
tach­er l’au­tel car­ré cam­bré vers le ciel, effacer
les colonnes de foules rassem­blées pour me regarder
douce­ment me désintégrer.

 

 

II. Le com­man­de­ment de la Terre

Je te glisse ceci à l’or­eille pour ton réveil :
une corde d’am­bre — extraite de la crête du Sol ;
des par­ti­tions de mes neuf mon­des sur un palimpseste :
Asgard, Midgard, Nifl­heim… tous anéan­tis pour assouvir
la colère d’Odin à l’a­vid­ité mortelle ; un copeau
de désir intact ; un  legs de plus-
des vari­a­tions de cette pul­sa­tion qui s’estompe, de peur qu’
aucune légende ne dérive sur le lac de l’oubli.
Porte-les toutes : accroche les per­les sur des tress­es livides,
sus­pends les tri­ades d’une oreille désespérée,
des accords sur ton bras pour un habit de deuil.
Joue-les forte afin que d’autres planètes entendent,
les comètes s’im­mo­bilisent bruyam­ment, et les étoiles se dépouil­lent des rochers
quand je m’irise en feu de joie sonore.

 

III. Pos­tude : traces dissonantes

Imag­ine une forêt.
Non, un écosys­tème, tout entier
en lui-même, avec des grat­te-ciels chétifs et des ado­ra­teurs du soleil
cou­vrant le sol comme des arbrisseaux,
sopra­nos de grenat et saphir
entre­laçant des flèch­es chromées, une étrange espèce de charmilles.

Ajoute une foule de bêtes : des mantes religieuses sur de hauts talons de métal
aspi­rant, échan­til­lon­nant un son avec  leurs cages tho­raciques, leurs lar­ynx, leurs langues.
Soix­ante et dix-huit dans une sphère, j’ai comp­té tous les carillons
de notes con­crètes déver­sées par ces poumons d’aci­er géants :

arrachés d’une musique loin­taine ‑échos d’une terre perdue,
le rythme anar­chique de sa vie, un souf­fle instable,
des échard­es de tonal­ités cha­toy­antes ayant illu­miné chaque foyer
— escal­adant l’u­nique son ampli­fié de la mort.

Aucun dieu, aucune déesse, aucun grand prêtre ni aucun empire ne dure-
ils ont dis­paru, cha­cun d’eux,  dans le blanc sans fin du ciel.
Sous des feuilles incan­des­centes, la vie s’ou­vre dans un refrain grêle.

 

riffs sur trois lignes d’ou­ver­ture de W.S. Graham
07/10/2007

 

 

En 2007, le com­pos­i­teur Pierre Hen­ry a créé l’o­pus Objec­tif Terre — œuvre retraçant les orig­ines de la terre et prédis­ant sa dis­pari­tion — pour le fes­ti­val d’Av­i­gnon, com­mande reprise ensuite ‑le 4 août de la même année- à l’E­s­planade de la Défense pour le fes­ti­val Paris Quarti­er d’été.

Pierre Hen­ry intè­gre de la géolo­gie, des thèmes bibliques et des sons phys­i­ologiques dans la pièce mais la représen­ta­tion, avec le com­pos­i­teur /chef d’orchestre s’im­posant aux con­soles, m’a amené à l’e­sprit quelque chose de prim­i­tif, et ma réponse est en rac­inée dans la mytholo­gie scandinave.
A ce moment-là, je tra­vail­lais à l’écri­t­ure de riffs sur des poèmes existants.
Cha­cun des mou­ve­ments de ce poème com­mence par la phrase d’ou­ver­ture d’une œuvre de W.S. Gra­ham : “Gen­tly dis­in­te­grate me” de “Enter a Cloud” (1977) ; ” I leave this at your ear for when you wake” de “I Leave This at Your Ear” (1970) ; et “Imag­ine a for­est” de “Imag­ine a For­est” (1977).

 

 

***

 

 

Dis­tant Music
(Pierre Hen­ry at the Grande Arche/4 August 2007: impressions)

I. Over­ture: The Sun
Gen­tly dis­in­te­grate me: lay me down
on the edge of that frost giant’s skull
earth­lings call the sky; restore my rings, scour
the shield; then del­i­quesce my core, Odin,
with the seis­mic, pri­mal notes your ravens—
Thought and Memory—have retrieved from Time.
First, let me drain phials of chromatic
twi­light to sieve heav­en of all colour
gen­tly; disintegrate
the blues, the crim­son and cream. It is time:
hurl that unerr­ing spear. Let the music
begin; let aurous blood suf­fuse the earth,
stain the square altar arched sky­wards, and blot
the columns of crowds gath­ered to watch me
gen­tly disintegrate.

 

II. The Earth’s Behest
I leave this at your ear for when you wake:
a string of amber—carved out from Sol’s crest;
scores from my nine worlds on a palimpsest:
Asgard, Midgard, Nifl­heim … all wrecked to slake
Odin’s ire at mor­tal greed; a flake
of unde­stroyed desire; one more bequest—
vari­a­tions from this fad­ing pulse, lest
no leg­ends float on oblivion’s lake.
Wear them all: pin the beads on livid locks,
dan­gle the tri­ads from a griev­ing ear,
chords on your arm for funer­al attire.
Play them forte so oth­er plan­ets shall hear,
comets screech to a halt, and stars shed rocks
when I ’ridesce into son­ic bonfire.

 

III. Postlude: Dis­so­nant Remains
Imag­ine a forest.
No, an ecosys­tem, entire
in itself, with stunt­ed sky­scrap­ers and sun-worshippers
shrub­bing the floor,
tre­bles in gar­net and sapphire
inter­twin­ing chrome spires, a strange breed of bowers.
Add a throng of beasts: man­tids on high met­al heels
suck­ing and sam­pling sound with ribcages, larynxes,
tongues.
Sev­en­ty-eight in a sphere, I count­ed all the peals
of con­crete notes spewed by those giant iron lungs:
snatch­es of dis­tant music—echoes from lost earth,
the anar­chic rhythm of its life, an unsteady breath,
splin­ters of lus­trous tones that had lit up each hearth
—scal­ing the ampli­fied monopho­ny of death.
No gods, no god­dess­es, no high priests nor empires remain—
they van­ished, each one, into the end­less white of the sky.
Beneath smoul­der­ing leaves, life opens in spindly refrain.

 

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In 2007, com­pos­er Pierre Hen­ry cre­at­ed a com­mis­sioned piece Objectif
Terre, a three-part ‘con­cert-man­i­festo’ retrac­ing the ori­gins of the earth
and pre­sag­ing its dis­ap­pear­ance. After Avi­gnon, it was per­formed at the
Esplanade de la Défense near Paris on 4 August the same year. Pierre
Hen­ry incor­po­rates geol­o­gy, Bib­li­cal themes and phys­i­o­log­i­cal sounds
into the piece but the per­for­mance, with the composer/conductor
tow­er­ing over the venue, brought to mind some­thing more primeval to
this view­er-lis­ten­er, and my response is ground­ed in Norse mythology.
At that time, I was work­ing on a writ­ing exer­cise on riff­ing from
exist­ing poems. Each move­ment here begins with the open­ing phrase
of a W.S. Gra­ham piece: ‘Gen­tly dis­in­te­grate me’ from ‘Enter a Cloud’
(1977); ‘I leave this at your ear for when you wake’ from ‘I Leave This at
Your Ear’ (1970); and ‘Imag­ine a for­est’ from ‘Imag­ine a For­est’ (1977).
 

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