S’il m’arrive d’expliquer aux élèves,
dans les class­es où l’on m’invite,
ce para­doxe d’une poésie qui naît et s’épanouit
quand les mots nous manquent
pour partager le ver­tige, la joie ou la peine
qu’on ne peut garder pour soi,

si je suis prompt à leur chanter la louange
de toute langue qui magnifie
aus­si bien qu’elle explique,
de toute langue qui suggère,
détaille, célèbre et caresse
autant qu’elle inspire,
je ne sais plus que leur dire
à l’heure des dis­cours politiques
quand la vin­dicte chas­se l’argument,
quand les mots qui abondent
lâchent le men­songe et la démagogie
avec le flot des for­mules convenues,
le vomi du mépris.

Je ne sais plus com­ment leur expliquer
qu’on s’augmente avec la langue,
que les mots peu­vent contribuer
à nour­rir le silence de patience et de ferveur,
nous aider à inter­roger la vie,
à douter, en êtres de parole.
Je ne sais plus que dire des chances du poème
quand la bonne con­science s’acquiert à si bon compte
au prix de quelques injures,
d’une sur­dité consentie,
d’une volée d’anathèmes.
 

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