(…)
Maintenant
je suis une réplique dans ton monde
mes yeux voient
crève-les
tu ver­ras tomber une eau salée

 

Depuis le lait béni du sein maternel
depuis les saisons reculées des ombres épaisses
depuis la vie qui con­fusé­ment s’éveille
je n’ai cessé de vider mes veines encom­brées d’universaux

aujourd’hui
par­fois dans mes rêves
je souf­fle à l’oreille d’un enfant :
On ne me ver­ra pas
on ne m’entendra pas
la vie est une rumeur
je m’en irai comme un rêve
je quit­terai ce monde qu’un souf­fle à peine effeuille

 

J’ai mis la Méditer­ranée dans mes yeux
les plus beaux poèmes des sans continents
pour faire escale au milieu de ta splen­dide obscénité
crev­er ta démesure
Ô prince des convertis
auto­proclamé Éclaireur du monde et de sur­croît incompétent !

Je suis Jonas recraché par la bête immonde
dont la foi en l’homme est restée intacte

 

Mon exis­tence se pour­suit au niveau des frémissements
de la vie cachée
vie cachée au sens de célébration
de mémoire
de devenir qui com­mence là où finit ta vision habituelle et util­i­taire des êtres
des objets
de la nature

Si mon vis­age frappe aux portes de maintenant
si je m’adresse à ton intelligence
c’est sans bruit
mon silence je le place à hau­teur d’arbre
de son éloquence
pour que tu te chauffes au feu
que mon audace allume

 

Si mon vis­age frappe aux portes de maintenant
c’est parce que tu es mon ombre
‑je marche et c’est  ton ombre qui appa­raît sur le mur courbé-
ma rai­son dans ce monde si petit
si aléa­toire où la déser­tion se généralise
au prof­it d’un nar­cis­sisme sans exemple
c’est parce que j’ai tou­jours chéri la liberté
mal­gré les épines de tes ros­es qui s’effeuillent

Ô mon arbre aux per­les égarées
si je m’adresse à ton intelligence
c’est sans bruit
c’est parce que tu es ce corps
zone de tous les dangers
lieu de toutes les confusions
de tant d’espoirs avortés

 

Il m’appartient de bris­er le silence
pour que la réal­ité par-delà le secret
devi­enne un jardin où transparais­sent nos empreintes

Nous regar­dons dans la même direction
mais nous ne voyons pas la même chose
nous sommes devenus des incon­nus qui s’ignorent

 

En voilà un joli pied-de-nez à ta cer­ti­tude verrouillée

La lâcheté a dérobé le face à face
sans doute
le courage n’est plus le même depuis très longtemps
on se com­bat de très loin
sans s’être jamais vus

 

Phasmes et ombres qui se dévorent sans apparition
et d’une lib­erté brandie comme étendard
à un devenir d’expert en l’art du soupçon
il n’y a qu’un pas
Les vile­nies et les bassess­es insup­port­a­bles glis­sent entre les doigts et tes phras­es-épines qui ne valent pas un brin d’herbe
pour te croire
il te faut des argu­ments aus­si solides
que les men­songes en lesquels tu as cru
en lesquels tu voulais nous faire croire

J’ai cessé de faire con­fi­ance à tes mots
ils ont inventé
la police secrète
les prisons
et moi je doute que tu sois sincère 

 

Je vis­ite ton présent
là où ton désert s’installe
là où tes incohérences
te con­damnent sans pitié
tu aurais pu être utile ‑bien que tu ne sois pas nécessaire-
sem­blable état est désolant

Main­tenant comme les chiens
‑On dit comme les chiens on est méchant-
tu ne flaires que pour éparpiller le doute
et quand tu aboies
Ah ! Quand tu aboies
non
non ce n’est pas pour mordre
c’est pour dire : J’arrive Maître !

 

Mais viens
je porte des fruits que l’été a balancés
tu me ver­ras passer
bercé de toi
là où ton igno­rance seule règne
et peut-être même
je partagerais avec toi
quelques travaux évadés de mes mains
quelques peines
depuis mes rêveries
depuis mon sang

Saurais-tu inven­ter des mers prolixes ?

 

Tu veux chang­er le monde
bâtir un devenir à hau­teur d’Homme ?
c’est fort bien
pour cela
pour toi
je ne vois qu’une voie :
Recon­naître tes mots fous qui sont le can­cer de notre tragédie
sen­tir l’odeur des heures de ta vie ratée
avis­er tes paroles voilées et poten­tielle­ment meurtrières
pren­dre con­science de cette rançon de la joie
de cette lumière en nous
que tu as délibéré­ment étouffée
ignorée
éteinte

Tu veux chang­er le monde
pren­dre en main les rênes de notre devenir ?
c’est fort bien 
pour cela je con­nais une autre voie :
se taire
ne pas col­la­bor­er et là où tes pas
sem­blent sou­vent per­dre la raison
garde-toi à l’écart des nébuleuses paroles
fausse­ment drapées
où tout com­mence comme dit l’autre
en con­com­bre et se ter­mine en ni ni

 

Quelques let­tres me suff­isent pour te dire mon voca­ble préféré :
Dans un monde où tu as jeté sous ses traits
un sourire borgne
ton brin de jugeote a volé en éclats
s’est fra­cassé comme un verre de cristal
et l’homme libre que tu étais
est main­tenant défini­tive­ment condamné

Dans les con­cours du plus plat
du poli­tique­ment correct
là où on esquive les con­tred­its ‑fielleux commentaires-
par une sophis­tique aus­si mal employée qu’imbécile
ton out­re­cuid­ance s’accomplit dans toute sa radicalité
la poésie qui saigne tou­jours à point
et cela
nul ne te le pardonnera

 

Demande-moi d’où est venue cette lumière aveuglante
juchée sur la fenêtre de ma parole
et je te guiderais dans le sen­tier des vérités dissimulées

demande-moi le sens du poème mien
et je te dirais quelle amer­tume croît
enfle entre ses mots

 

dans ma tasse de café
vis­i­ble est l’ombre de la lune
fait paraître les points de suture de tes promesses

Il se peut que dans une jeunesse
où toutes les puis­sances de l’être s’ébranlent
tu n’as pu dans ta vie
loin de toi
chas­s­er les nuées d’ombres
l’ange gris des neurasthénies
(…)

 

 

Frag­ment de : La danse du cha­cal, éd. Alfabarre, col­lec­tion paroles nomade 2012, en cours de réédi­tions aux édi­tions Polyglotte‑C.i.c.c.a.t, col­lec­tion Veilleurs de Nuit 2013

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