“On croit s’éloigner, on tend seulement la corde du retour.”, écrit Brigitte Giraud dans Seulement la vie, tu sais, sa dernière livraison poétique. Voilà qui illustre bien le chemin d’écriture de l’auteur. Comme dans ses précédents recueils, Brigitte Giraud nous offre une poésie de mouvements.
Un train venu des brumes du nord file vers Bordeaux. Dans la cité girondine, le tram de la ligne B sillonne la ville. “Mouvement dans le mouvement ” des rails ici et là-bas, un carrousel tourne sur son axe avec ses chevaux de bois, des cordes à linge ou à songe se pendent dans le vent, des oiseaux griffonnent le ciel de leurs signes improbables.
Mais ” aucun pédalier n’actionne jamais le monde, aucune horloge jamais n’a indiqué l’heure juste “. Le retour est déjà là, avant même que de partir, dans le temps comme dans l’espace. Le retour de l’être aimé qui aime une autre femme aux yeux verts et au corsage bleu, au ” sang jeune “. Le paysage ne tient plus debout. L’attente trébuche sur les corps lourds. Les mouvements mêmes du désir ne sont plus des lieux sûrs.
C’est que l’homme du train, qui revient sans être jamais parti, laisse deviner un autre homme, celui du tram, dans une géographie incertaine ” sur l’échangeur des sentiments “. La narratrice, car c’est bien, aussi, un récit qui agit tout au long de ces pages enrayées, sent [son corps tout entier glisser dans la fissure du désir ].
D’où, peut-être, la nécessité de retenir ce qui doit être retenu, des émotions comme des souvenirs, sur un calepin ou dans une boîte en métal. Mémoire et oubli, liés par le même souffle, se livrent un combat sans merci sur les berges de la fatigue. Le vide est à l’affût ; il ne faut pas tomber.
” Je rattrape tous les fragments de toi-même. “, écrit Brigitte Giraud. L’enfance, ce rivage où l’homme fourbu revient toujours, égrène ses litanies de courtilières, de silences et de chiens jaunes. Un cheval passe aussi. Qu’on retrouve inventé sur le carrousel bientôt immobile. Une petite fille s’accroche à lui, demande à son père si l’animal est mort par temps de pluie.
La plume de Brigitte Giraud, dans le transport des métaphores et le relevé des notations ordinaires, émarge une fois encore au registre des émotions qui troublent le visage de l’amour aussi bien que celui de la ville. De nombreuses images, celle notamment du manège aux chevaux de bois, pourraient faire penser à Léo Ferré pensant lui-même à Verlaine. Il y a de la musique dans la poésie giraldienne. Les mots tament-tament, rauques ou feutrés, les notes parfois bégaient, ” Pleut. Re-pleut. Pleut. Pleut. “, et l’alexandrin souvent, qui n’est pas invité, impose sa lenteur : ” L’ombre sauve toujours une part de mémoire “.
Parfois, dans une langue aux contours plus blancs, plus fragiles, c’est à Marguerite Duras que l’on songerait. ” Elle dit que les amants du tram souffrent et jouissent en même temps, que les livres ont toujours une longueur d’avance sur la mort. Elle dit que cette pensée est insupportable. ”
Seulement la vie, tu sais, publié par Paul Sanda aux éditions Rafaël de Surtis, confirme un talent récompensé en 2006 par le prix Jean-Follain et remarqué par Antoine Emaz dans la revue N4728 qui publia un extrait de ce recueil.