traduit de l’anglais par Nathanaël 

 

Le télé­phone. C’est Mesaponia. Karl Mesaponia, mon édi­teur. Il veut savoir si on peut déje­uner ensem­ble. J’ai per­du l’appétit, je lui dis. Il rit et me dit qu’il passera me chercher à qua­torze heures. Je lui dis que je ne serai pas là. Il entame un dis­cours sur la respon­s­abil­ité. Je raccroche.

1.21 pm

Dans mon som­meil j’entends un bruit étrange. Un train à l’intérieur de ma tête. Dimanche. Sang. Yeux ouverts. Vis­age face au mur. Dans le miroir, le sang se répar­tit entre deux ter­ri­toires dis­tincts. Le côté gauche est inca­pable de recon­naître ce qui reste du côté droit. Mon esprit vague de l’image à Prague. Trot­toir. M’asseoir ten­ter de ter­min­er une cig­a­rette ter­minée il y a plusieurs heures déjà. Chloé est par­tie. De l’autre côté de la rue, un mec se déplace sur les mains, il rampe, une main ensuite l’autre. S’arrête, pas de mots. Il salue son copain en frot­tant sa joue droite sur le jean de son cama­rade. De sa bouche émane un son c’est tout. Il ne regarde pas l’œil humain. Son point focal est les géni­taux. Son autre.

 

Il y a cinq ans j’ai démé­nagé à Peanut­Po­lis, cou­ru à vrai dire, m’ennuyais telle­ment que je provo­quais des crises de panique afin de ressen­tir quelque chose. Je voulais me débar­rass­er de la famil­iar­ité. J’avais quelques dol­lars dans mon compte en banque et aucune idée de quoi faire de mon corps. Puisque je ne pou­vais pas l’enterrer j’ai décidé de le démé­nag­er dans un autre pays.

 

 1.45 p.m.

Le sang engour­dit mon sein, se dirige vers mes géni­taux. J’enlève ma chemise, mon pan­talon. Organe géni­tal pal­pite. Je baisse les yeux sur un paysage étranger, une forme plus struc­turée, qui ressem­ble beau­coup à un cerveau humain, couché là, fixé. La peau est un peu plus épaisse que celle de mon pouce. Haute­ment ridée. Cer­taines par­ties je désire con­naître. Je touche. Je ne sens rien. Je cours chercher un livre sur le cerveau humain que m’ont offert mes par­ents il y a quelques années. Il doit être dans une des boîtes que je garde sous mon lit. À poil je me dirige vers la cham­bre, le sang fuit mon corps coule par terre. Si inten­sé­ment rouge qu’il a l’air noir au moment où il atteint le gran­it. Je ne sais même pas d’où il provient. Peu importe. Main­tenant ça presse.

 

Je trou­ve le livre sous une anci­enne raque­tte de ten­nis: “Struc­ture of the Human Brain: A Pho­to­graph­ic Atlas.” Reli­ure en spi­rale. Je l’emmène dans la salle de bains et tente d’assimiler images. Le sang se dirige, main­tenant à tra­vers les pages. Je mets le livre sur le siège WC, m’assieds sur l’évier et rap­proche mes géni­taux du miroir. Déplace hanch­es. Ouvre jambes. Les images que j’avais croisées sur papi­er parais­sent main­tenant sous mes yeux. En gros-plan. Je tente de déchiffr­er ce que je vois. L’hémisphère gauche, habituelle­ment asso­cié à l’aptitude logique a été décon­nec­tée de mon sys­tème lim­bique. À présent il rem­plit les cav­ités de mes génitaux.

 

Je ne suis pas un bon écrivain. Je m’en tire. J’utilise les mots, je les manip­ule. Je n’accorde pas aux mots, aux pen­sées suff­isam­ment de lib­erté pour qu’ils puis­sent se débrouiller tout seul. J’ai trop peur de ce qui se passerait. Il y a sans doute un rap­port à la façon dont j’ai gran­di ou dont j’ai accep­té de grandir. Je sais que j’ai été enfant unique pen­dant six ans. Je sais que lorsque j’avais six ans j’ai com­pris que si mes par­ents mouraient je serai seul au monde. Je sais que j’ai pleuré toutes les nuits une sorte de deuil a pri­ori. Je sais que mes par­ents se sont aimés. Je sais qu’un jour ils ne s’aimaient plus. Je sais qu’ils se sont par­lé. Mais un jour à l’éveil je suf­fo­quais en silence. Je sais que lorsque j’avais sept ans j’enfilais des chaus­settes sur les pieds de ma mère qui venait de faire une fausse couche. Elle trem­blait et ses pieds étaient froids, incon­fort­able­ment froids. Très dif­férent de cette chute de tem­péra­ture provo­quée par une crème glacée. Les chaus­settes étaient blanch­es. J’avais telle­ment la trouille que la seule paire que j’ai pu trou­ver avait un petit trou. J’étais en colère. Ma mère s’en foutait des trous dans ces chaus­settes blanches.

 

2.15 p.m.

Je ferme mes jambes. Me déplace de l’évier, marre d’aspirer à la clarté. Je plonge mes doigts dans du sang, les ramène aux nar­ines. Odeur d’éther. M’é. Vanouit. Retrou­ve mes sens. Musique forte. Opéra. Le Siegfried de Wagner

 

émerge de mon corps. Je n’arrive pas à situer où pré­cisé­ment. Je me lève et lave vis­age pour me voir plus claire­ment. Miroir. Sur mon sein engour­di: Tra­duc­tions. Suum cuique [cha­cun ses goûts]. Flêch­es qui pointent dans tous les sens. Je mets mon corps sous l’eau. Je n’ose pas le touch­er. Sang coule l’écouloir. L’écouloir se bouche. Peu importe, peu importe, peu importe. Je décide de me taire à ce sujet.

 

8.03p.m.

Ma main gauche sèche, mince et recou­verte de petites coupures, n’a aucun sou­venir de douleur. Alors que le reste de mon corps perd sa couleur je me rends compte que mes mains acquièrent un aspect vio­let. J’ai peur que mes mains meurent avant le reste de moi. J’attends. Le train dans le sens opposé arrive. Je me déplace pour ten­ter de faire de la place dans mon corps pour autre chose que l’anxiété. Je con­tin­ue d’attendre. Rien, je veux dire, rien que je n’aie pas déjà vu ou éprou­vé. Des gens debout. Des gens assis. Mains. Café. Mains. Poches. Mains. Télé­phones. Têtes bais­sées. Yeux bais­sés. Le train arrive. Têtes tou­jours bais­sées. Les yeux se dépla­cent au ralen­ti pour ren­con­tr­er des portes. Elles se fer­ment. Encore. Comme elles l’ont fait hier. Comme elles le fer­ont demain. Automa­tiques, comme le souf­fle. Comme ma machine à laver. Répon­deur. Ascenseur. Porte d’appartement. Chas­se tirée. Je monte dans la voiture du train. Décide de me tenir debout. La ville passe à tra­vers la porte de verre épais. Debout je me con­fronte à une image: Soi. Devant: mes yeux. Main­tenant: ma tête. Vis­age se fond aux bâti­ments: hau­teur, béton. Mes géni­taux pal­pi­tent. Je regarde autour. Urgence. Appuy­er sur le bou­ton pour par­ler au con­duc­teur du train. Appuy­er. Pas de réponse. Le train s’arrête. Je sors. L’air froid tran­quil­lise la pal­pi­ta­tion géni­tale. Je marche vers North Wells. Après ce qui m’est arrivé aujourd’hui j’ai pen­sé que ce serait une bonne idée de pren­dre ren­dez-vous avec Mesaponia. Je ne voulais pas être seul.

 

J’arrive chez Cyrano’s. Le seul restau­rant dans toute la région de Riv­er North qui puisse encore me pro­cur­er du con­fort. Nad­ja, la serveuse russe, m’informe que Karl est arrivé. Il m’attend au bar. Je fais un signe de la tête. Je retire mon étui de cig­a­rettes de ma poche et lui tends ma veste. J’aime Nad­ja. Elle n’est pas belle. Mais j’aime la façon dont l’anglais passe à tra­vers sa bouche. La pre­mière nuit que je l’ai ren­con­trée elle m’a dit qu’elle était pho­tographe. “Des nus surtout,” elle a dit. Je lui ai dit que j’étais écrivain et que moi aus­si je fai­sait surtout des nus. Elle a souri. M’a offert un vers de vin. “Aux frais de la mai­son,” elle a dit. Au frais de la mai­son, j’ai con­tin­ué à boire. Plus tard, elle m’a dit qu’elle voulait mon­ter chez moi me pho­togra­phi­er. J’ai dit non. Ce serait trop fatiguant et elle ne me fai­sait aucun effet. Karl me voit. Se lève. Je lui dis qu’on peut se pass­er de ce genre de for­mal­ité. Je con­nais le mec depuis qua­tre ans. Il touche mon épaule, heureux que j’aie accep­té de le voir. Je demande une bouteille de rouge à Nad­ja. Il me dit que j’ai l’air en forme. Je sais qu’il ment. J’ai une sale tronche. Il sait qu’il ment et pour une sec­onde il voudrait pou­voir retir­er ce qu’il vient de dire. Il a peur que je fasse tout un plat de son faux com­pli­ment. Je me décide de me taire. Il me demande com­ment je vais.

 

                                                                        Dia­logues de morts

“Obsédé­ment crevé”, je dis

“Ils sont de retour? Je veux dire les démons”

“Si tu veux; moitié moitié”

“Tu réfléchis trop. Il faut que tu apprennes à sim­pli­fi­er les choses. Ça t’aiderait peut-être à écrire aus­si. Au fait, ça avance?”

“Quoi?”

“Ton livre, ‘Instinct de troupeau’?”

“Ris­i­ble”

“Com­ment ça?”

“Ça ne passe pas, c’est tout”

“Les gens chez Phelps me met­tent la pres­sion. Robert est venu me voir la semaine dernière”

“C’est une bête misérable”

“Oui, mais c’est lui qui décide”

“Quelle amélio­ra­tion d’ordre historique”

“Arrête. Prive-toi de la honte et ter­mine le putain de livre. Il faut que tu apprennes à met­tre fin à tes pensées.”

“Je veux bien mais c’est impos­si­ble de niquer la raison.”

“Com­ment?”

“Tu niques ta rai­son, toi?”

“Non, je nique, tout court”

“Voilà la dif­férence entre toi et moi. Moi pas”

“J’aimerais beau­coup pou­voir faire quelque chose pour taire ton esprit”

“Donne-moi ta col­lec­tion Coltrane”

“Je ne blague pas”

“Moi non plus”

 

Je voudrais pou­voir détester Karl. Mais je ne peux pas. Je voudrais pou­voir lui expli­quer que tout à l’intérieur de moi est main­tenant une réal­ité physique. Bas­ta! Je ne peux pas. Karl me dit qu’il a faim. Il demande la carte à Nad­ja. Elle nous informe qu’il y a une nou­velle sélec­tion de crêpes. La nou­veauté a l’air de plaire à Karl.

 

                                                                        Crêpes 

 

Au féminin, mag­nifique­ment envelop­pées. Recettes: clas­siques, flam­bées, exo­tiques

 

Crêpe Rata­touille $8.25

Ren­con­tre sor­dide d’un enfant capricieux et d’un homme frigide macérée dans une réduc­tion de vin sanglant aux herbes fraîches

Crêpe pomme can­nelle $99.99

Pute prosaïque avec fon­du d’aspirations et noix. Révéla­tion d’une vérité possible

Crêpe Nutel­la $299.19

Impos­si­bil­ité servie avec mys­ti­fi­ca­tions crémeuses du dis­cours fer­lées par la ras­sur­ance et l’oubli. Choco­lat et noisette rajoutée afin d’étouffer le désir de mort. Faux mais faisable.

Crêpe Fos­ter aux bananes $1.99

Corps baro­ques tor­turés caramélisés à la langue étrangère envelop­pant des feuilles de con­som­ma­tion. AVERTISSEMENT : mau­vais après-goût. Sert 2.

Crêpe aux champignons New York Strip $101.99

Salle de jeu encadrée par un soupçon de con­fu­sion amère appar­ente. Cognac et crème fou­et­tée asphyx­iée sur demande.

! Par­ti­c­ulière­ment conçu pour ceux qui vien­nent de subir une réduc­tion de l’estomac.

*On deman­dera aux groupes de six ou plus de quit­ter les lieux.

**Bon Appétit!

 

“La crêpe pomme can­nelle a l’air bonne,” il sourit.

“Je ne veux pas de sucreries”

“Moi, je vais pren­dre ça. J’adore les noix”

“Je le sais”

“Qu’est-ce que tu veux dire par là?”

“Arrête de faire du bruit”

“Tu ferais bien de manger une sucrerie aus­si. Il se trou­ve que ça éveillera ton sens du plaisir”

“C’est ça le seau de ta libéra­tion? Le plaisir?”

“Oui, tant qu’à faire”

“Je vois. Je vais pren­dre le champignons New York Strip”.

  

10:54 p.m.

Je tourne le dos à Cyrano’s. Marche à quelques coins de rue de North Wells. Un homme essaie de marcher en même temps que son corps est en train de tir­er une char­rette. Habits délabrés. Con­tu­sion­né. Je lui offre une cig­a­rette. “Je suis Trey,” me dit-il. Je lui serre la main et pour­su­is ma marche. Je m’arrête devant White Hen à State Street. Je me demande qui joue chez Andy’s ce soir. Je ne veux pas ren­tr­er chez moi. Pas encore. Je ne suis pas encore saoul. Mon fri­go est vide.

 

J’achète encore deux paque­ts de cig­a­rettes et me fraye un pas­sage dehors. Si je me sou­viens bien Andy’s est à un coin de rue d’ici, à l’angle de East Hub­bard. J’ai froid aux mains. Demain il me fau­dra pass­er chez CVS m’acheter une paire de ces faux-gants. En espérant qu’ils aient tou­jours du noir. La dernière fois que Chloe et moi en avons acheté, il a fal­lu se con­tenter de bleu vio­let. On n’avait pas le choix. Je me demande où elle est main­tenant. La dernière fois qu’on s’est par­lé j’étais trop saoul et tout ce que j’ai pu faire c’était crier: VA TE FAIRE FOUTRE! VA TE FAIRE FOUTRE! Elle a rac­croché après le qua­trième “foutre”.

 

11:10 p.m.

Je ren­tre chez Andy’s. Char­lene est à la porte. C’est par Karl que je l’ai ren­con­trée. Ils ont été amants pen­dant huit ans. Il y a deux ans, Karl a décidé qu’il voulait la pren­dre par der­rière. Elle était d’accord. Ils ont baisé inten­sé­ment pen­dant trois heures. Le lende­main matin elle est par­tie. Un mot lais­sé dans son slip: “Plan­té dans le courant dominant.”

 

Char­lene tra­vaille comme hôtesse dans trois dif­férentes boîtes. Andy’s le week­end, Kingston Blues le mer­cre­di soir et le Red Hair Piano Bar le mar­di et jeu­di. Elle est née à Round Top, Texas, un vil­lage qui comp­tait 81 per­son­nes (80 après son départ), à 77 miles à l’est d’Austin. Son père était pro­prié­taire d’une pompe à essence sur l’autoroute 237 et sa mère enseignait l’économie domes­tique à l’école pri­maire Carmine. Le jour où sa mère s’est mise à lui faire des dis­cours sur les usages mul­ti­ples de la farine, elle a fait du stop jusqu’à Bren­ham, s’est acheté un mag­né­to­phone d’occasion, a ter­miné sa demande sur cas­sette, l’a postée à Berkley et s’est endormie en se mas­tur­bant sous la Créa­tion de Haydn. Char­lene a eu son diplôme en 1980. En 1981 elle a décidé de suiv­re un bat­teur de jazz jusqu’à Peanut­Po­lis. Il est par­ti pour New York en 1982. Elle est restée.

 

11:13 p.m.

Je m’arrête près d’elle. Elle pose ses mains gan­tées sur mes épaules, m’embrasse la joue et me présente au bassiste suant à côté d’elle. Dan­nie Byard. Un mec lourd et pâteux, les cheveux coupés trop courts avec de gross­es ton­sures blanch­es intro­duit à son vis­age une forme sûre. Il me tend la main. Je prends sans ser­rer. Ils poursuivent.

 

11:16:06 p.m.

“Comme je le dis­ais, j’ai appris à boire à l’armée, comme Gainsbourg”.

Char­lene impro­vise un rire euphorique. Bang géni­tal. B‑angst. Je le regarde et aurait voulu qu’il se la ferme. Je suis sûr que Char­lene a déjà enten­du cette phrase mille fois. Moi si. Mais au moins, c’était une phrase vom­ie par des vagabonds ivres, pronon­cée par des corps musi­caux, peu remar­quables, et souf­frant de stig­mates men­taux. Dan­nie ne valait aucune nota­tion, son corps non-menaçant aus­si silen­cieux qu’une “baise mis­sion­naire”; encore un poseur néo-Warholien avec une for­ma­tion musi­cale espérant sa mythol­o­gi­sa­tion. Prob­lème c’est qu’il était tout sim­ple­ment trop pale pour s’en tir­er. Dégoûté, j’essaie, muet­te­ment, de dis­tanci­er mon corps des siens. Char­lene entend le remue­ment sub­til de mes pieds et déplace sa main de mon épaule au cou. J’arrête de bouger, la fuite n’étant plus une option et j’essaie sci­em­ment de ne pas regarder. Mais cela ne m’empêche pas de par­ticiper à leur réver­béra­tion bla­farde. Je sais qu’elle croit à peine un mot de ce qu’il dit, mais elle est tout de même capa­ble de se met­tre à l’ancre et de lancer des bruits de jubi­la­tion. J’aimerais bien croire que c’est sa façon d’aérer la médi­ocrité. Mais alors son rire est de plus en plus ton­nant et suivi d’un coup de la main sur son épaule. Je devrais ne pas m’en faire. Mais c’est le con­traire. Alors qu’ils con­tin­u­ent l’un dans la bouche de l’autre, je me mets à me laiss­er dis­traire par son corps. Ver­nis à ongles noir se déplace de gauche à droite. Rouge à lèvres mar­ron s’ouvre et se ferme à tra­vers fumée en écho.

 

Rim­mel sur­veille l’impact de son swing big-band. Dan­nie s’assujettit à tous ses élé­ments. Char­lene est riche, pré­cise. Con­stru­it, organ­ise et ter­mine sa cam­pagne grâce à une appli­ca­tion païenne con­sid­érée de couleurs fortes et d’un jeu dis­sout de contours.

 

11:34

Mes yeux se gar­ent dans l’arrière-fond de sa jupe. Là où le corps se trou­ve à court d’espace, je n’entends plus leurs voix. Heureux, je hip-hop jusqu’à son cul. Et puis rapi­de­ment à son anus. Là le flux d’abstraction se rend enfin à une idée con­crète. Un ter­ri­er. Je rampe dans la con­duite fixe. Abrité, je réus­sis à dégager de la rigid­ité dans son tis­su. C’est si défi­ni, si peu sacré que je suis sûr qu’un prêtre serait par­faite­ment à l’aise à y enter­rer son foutre. Pour une sec­onde, j’excave mon exis­tence entière dans cette fini­tude char­nelle. Tout en trou, mes lèvres pèchent à gauche émer­veil­lées, imi­tant un sourire abrupte­ment arrêté par une éjec­tion soudaine de salive. Je bal­ance ma main droite à ma bouche. Char­lene et Dan­nie me regar­dent avec hor­reur, s’avancent vers moi. Inca­pable de pronon­cer des mots, je dis­tan­cie mon corps en m’amenant au trottoir. 

 

Près d’une four­gonnette rouge je posi­tionne tête en-dessous de hanch­es. Après une, deux con­trac­tions brusques je réus­sis à expulser la mucus blanc d’œuf qui obstrue les mus­cle striés de mon phar­ynx, de mon palais et de ma langue. Étour­di, je me repose sur mon cul ren­ver­sé afin de retrou­ver ma conscience.

 

Putain, qu’est-ce qui s’est passé? Je n’ai rien mangé ce soir qui por­tait cette tex­ture. Bizarrement, si ce n’était pas la prox­im­ité de Char­lene et de Dan­nie j’aurais même cru m’être rap­proché de l’extase, chose que je n’avais pas fait depuis des mois. Par la bouche? Le ques­tions sont suiv­ies de près par une bru­lure vive dans la cav­ité pelvi­enne. Je mets mes mains là, appuie, en espérant qu’un sens de sta­bil­ité extérieure amoin­dri­ra le deuil. Char­lene arrive avec une bouteille d’eau. Je déplace mes mains jusqu’à mon ven­tre. Elle demande si je veux qu’elle me rac­com­pa­gne. Je dis non et lui dit que si elle veut vrai­ment m’aider elle n’a qu’à m’apporter un verre de téquila pour me dés­in­fecter la bouche. Elle sourit, dit “ok” et ren­tre de nou­veau. Je repo­si­tionne ma main gauche et con­tin­ue à appuy­er en atten­dant que la douleur s’atténue. En me ser­vant de ma bouche et de ma main droite, j’ouvre la bouteille d’eau, ensuite mon pan­talon, je regarde autour de moi pour m’assurer que per­son­ne ne regarde et la décharge, petit à petit. Très con­scient du fait d’être sous l’emprise d’un sort dont je n’ai aucun con­trôle, je regarde de plus près mon géni­tal. Main­tenant une pupille dilatée. À ma sur­prise, elle absorbe l’eau presqu’instantanément.

 

La bru­lure relâche petit à petit d’intensité. Char­lene revient avec un verre en plas­tique et une cig­a­rette. Sur le trot­toir, elle s’assied à côté de moi.

 

“Voici ton téquila, Chéri. Jus­tine vient de m’offrir une de ses cig­a­rettes, prends-là.”

 

“Mer­ci. Justine?”

“Oui. Tu ne te sou­viens pas de la sœur de Chloe? 

“Oui”

“Mais bien sûr, je te demande par­don. Elle est là en train de tourn­er un film indépendant”

“Je vois”

“Alors, que s’est-il passé? Ça va?”

“Oui, ça va. C’était sans doute quelque chose que j’ai mangé”

“Tu es sûr que tu ne veux pas que je te ramène chez toi ou à l’hôpital? North­west­ern Memo­r­i­al est à seule­ment deux pas d’ici”

“Non. Pas d’hôpital, pas de chez moi. Sérieux, Char­lene, ne t’en fais pas. Tout ce qu’il me faut en ce moment c’est du jazz et du vin rouge”

“D’accord, on ren­tre ensem­ble? Dan­nie va entamer la deux­ième par­tie de la soirée et Jus­tine m’a fait promet­tre qu’on s’arrêterait à sa table”

 

Je fais oui de la tête. Elle se lève. Je me lève. Il n’y a plus rien à dire. Dan­nie joue: c’est un fait, Jus­tine est à l’intérieur: c’est un fait, et je suis soudain la cen­dre de son anus.

 

0:01

 

Je com­mence à sur-stim­uler anci­enne crasse. La pièce prend feu avec un par­fum de sous-vête­ment. Chloe, une vie trans­for­mée en une note sonore, ponctue des pores qui ne peu­vent être écrits. J’aspire ma bouche moite en forme de cor­tex dans une de ses ais­selles. Silence émerge, ni comme « stop » ni comme point final, juste une tache où des trous pren­nent des lam­pées d’air.

 

Il s’agit de léchage et d’impatience. La bouche, là, doit être employé. Au lit, je des­sine des lignes imag­i­naires à mon corps. La lat­i­tude est 0 par déf­i­ni­tion. Sou­vent, lorsque la chair est catéchisée, com­pressée à la mémoire, à une méthodolo­gie du passé, même l’époque la plus humide de l’année sera la plus fraîche. Elle répé­tait sans cesse : « Je ne sais pas com­ment te touch­er, je ne sais pas com­ment te touch­er. » Jouis­sance, pus débor­dant, ont eu lieu, aride. C’était un fait, pas une fiction.

 

0:00

Pour quelques sec­on­des immuables je voulais tomber hors la langue man­u­fac­turée et devenir amphi­bi­en ou rep­tile. En tant qu’enfant non-né, sus­pendu entre grav­ité et corps je pou­vais à peine manger et bais­er en faisant sem­blant de dormir. Je sup­pose, à présent, avec ori­fices enfer­més dans un ter­ri­toire encadré, qu’il serait plus sim­ple de m’acheter une pipe, en faire un mélange d’opium et de Cap­tain Black plutôt que d’admirer la pos­si­bil­ité d’un anus solaire qui ne fait que manger et baiser. 

 

0:02

De petits furon­cles sim­ples suin­tent là où Chloe a touché. Points d’excès com­pactés, se refu­sant une man­i­fes­ta­tion immé­di­ate. Après son départ, afin de main­tenir une hygiène, j’ai décidé de manger moins de nour­ri­t­ures solides. J’ai lu quelque part qu’on peut prévenir la majorité des prob­lèmes épi­der­miques en main­tenant la peau pro­pre. Je me con­serve donc stérile, de la tête aux pieds. En dépit de cette cau­tion, son absence me donne ter­ri­ble­ment soif, et fait en sorte qu’il m’est impos­si­ble d’exorciser la matière une fois pour toutes. Ain­si, j’ai com­mencé à me servir d’une com­bi­nai­son de vin, de bais­es nulles et de lan­gage afin de recon­stituer la faib­lesse, de retenir l’odeur et toutes les autres impres­sions de couleur et de forme qu’elle pro­duit. De temps en temps je l’appelle afin d’augmenter la sen­sa­tion cutanée. Le moin­dre stim­u­lus de sa voix fab­rique des accès, une sorte d’anesthésie phys­i­ologique expul­sant – supérieure­ment, inférieure­ment et latérale­ment – des années de civil­i­sa­tion ; con­ver­tis­sant la source humaine en une tonal­ité intesti­nale limpi­de de sens-de-mots. Je suis con­va­in­cu que cette pul­sion nutri­tive a une orig­ine plus anci­enne que celle du jazz.

 

0:00

Famil­iar­ité exerce effet de dénudage, stim­ule une pro­duc­tion d’urine nuageuse, non trans­par­ente. Sang jaunâtre dégage artères, étend les por­tions cir­cu­laires de pen­sées à tra­vers une struc­ture sem­blable à l’urètre. On peut pré­sumer sans crainte que le corps est devenu un pro­longe­ment de tor­ture chronologique et que le pre­mier bou­ton en direc­tion de la dis­pari­tion c’est Chloe. Une coquille vide d’insecte, avec tête, sans queue, ni exten­sions, elle savait com­bi­en d’émotion met­tre au monde afin de ne rien génér­er de désagréable. Appuyé con­tre son dos, je ferme yeux, admet­tant le retrait des sens.

07:11 a.m.

Je me réveille dans un vent de pisse qui souffle.

Des textes de Nathanaël sont à lire ici :

https://www.recoursaupoeme.fr/po%C3%A8tes/nathana%C3%ABl

image_pdfimage_print