Née au Viet­nam en mille neuf cent soix­ante douze,
j’ai été élevée en France depuis mille neuf cent soix­ante seize.
Née à Hong-Kong en mille neuf cent qua­tre-vingt deux,
tu as été élevée à Boston depuis l’âge de trois ans.
Et toi, Diêu, qui perdis ton nom sur la route en venant
du Viet­nam, tu es née en mille neuf cent quatre-vingt
trois dans un endroit qui a existé jadis en Thaïlande.
Il n’y avait pas de lits d’en­fant dans ce camp, détru­it depuis.
Tes par­ents ont fui un des­tin mau­dit par la guerre,
fui leur ville natale pour un lieu de transit.

Nous voici aujour­d’hui, toutes trois ensemble,
moi, assise à cette table de café, vous, vautrées
dans de pro­fonds fau­teuils, mêlant nos longs cheveux soyeux,
partageant des morceaux de cook­ies à l’avoine assaison­nés d’histoires,
sirotant du moka étoilé dans l’Amérique des Starbucks
Je me sou­viens de douch­es froides, je me sou­viens de marchés populeux,
je me sou­viens de plages blanch­es, de Cap Saint-Jacques en jeep.
Je me sou­viens d’his­toires de four­mis rouges dans lesquelles mouraient les bébés.
Je me sou­viens du lit de Grand-Mère sous lequel nous devions nous cacher.
Je me sou­viens du bruit des héli­cop­tères, je me sou­viens des alertes à la bombe.

Mes par­ents ont atter­ri à Paris avec trois enfants,
les tiens ont atter­ri à New-York le cœur gonflé
de haine con­tre la Chine. Et toi, Diêu, qui perdis
ton nom, tes par­ents arrivèrent en Amérique
avec un bil­let d’e­spoir valant trois dol­lars. Combien
d’an­nées a‑t-il fal­lu pour qu’ils remontent
de la clarté lunaire à la lumière du soleil ? D’une vie
brisée à une vie mod­este ? Deux fois cinq, deux vies en une.

Il y a aus­si cette autre amie, née Zhen Zhu Wong
dans la chaude Hong-Kong, qui a vécu un moment dans le lugubre Londres,
avant d’aller en Floride où elle changea son prénom en
Emmy et son surnom en Chip­munk, avant
de dis­paraître pour de bon, petit ravi­o­li à ressort.
Après l’ex­ode de la guerre com­ment peut-il y avoir encore
des per­les blanch­es? Qui a une couleur, de toute façon ?
Pas éton­nant, que nous, étoiles vives, soyons toutes rayées aujourd’hui,
Pas éton­nant que je dise à mes amis qu’en mai, je pars en Israël
où des Viet­namiens trou­vèrent refuge dans les années soixante-dix.

 

 

Traduit de l’anglais par Mar­i­lyne Bertonci­ni, avec l’aide de l’auteur.

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