en vingt-qua­tre tenues

 

 

En pas­sant

 

 

     La notion de mort est une inven­tion spec­tac­u­laire de l’être humain qui, de sa langue, l’a parée pour con­tin­uer d’être le seul sur la terre. Elle est un terme au point de vue exclusif de l’être qu’elle définit dans sa ces­sa­tion même. Sa mise en scène est un boucli­er con­tre la pos­si­bil­ité d’autres natures, une con­ces­sion, presque une mau­vaise con­science devant une intu­ition matée: la vie est un con­tin­u­um et ne s’oppose pas à la mort. De même la chair ne s’oppose pas à la viande. N’est cadavre que ce qui n’est plus recon­nu par le point de vue unique de l’intéressé. Or la moin­dre cel­lule dite morte est aux pris­es avec un organ­isme dit vivant, con­nu, invis­i­ble ou inconnu.

 

     De même que le regard de Magritte nous a appris, tout enfant, que d’un bec de théière et d’un bord de cha­peau pou­vait sail­lir une tierce nature – brouil­lant les pré­ten­tions util­i­taires des découpes exclu­sives du lan­gage – de même on peut met­tre en doute aus­si bien les fron­tières qui assig­nent à chaque exis­tence une nature que la per­ti­nence d’un partage entre le vivant et le mort. Du grotesque au trag­ique, du léger au grave, il n’est qu’une seule mem­brane qui fait vibr­er les nerfs d’un corps pro­téi­forme : l’index d’un enfant se pro­longerait dans la pat­te d’une araignée et l’arrêt du tic tac de celle-ci son­nerait l’heure d’un fes­tin pour tout un tas d’animalcules gour­mands d’arthropodes. La désig­na­tion insti­tu­tion­nelle du non­sense car­rol­lien est l’alibi lâche de la seule et inex­tin­guible ardeur imag­i­na­tive, la planque con­sen­suelle du sens vierge. Suis-je mort ou vivant, sen­sé ou insen­sé ? Van­ités. Explorons plutôt, expéri­men­tons, nouons et dénouons des formes. Le fou est celui qui dit qu’il ne l’est pas.

 

     Le désir de mort ou la mise à mort pour d’autres raisons appar­entes que celles de la survie – mais, comme le rire au spec­ta­cle de la douleur de l’autre, la jouis­sance sadique ne doit-elle sa gra­tu­ité à la très obscure vio­lence qui pré­side au proces­sus de lutte con­tre son pro­pre anéan­tisse­ment ? – serait fondé, crois-je, sur la con­vic­tion que la mort ter­mine, qu’elle rend au néant. Cette for­mi­da­ble erreur panique, cette con­vic­tion – que nous pen­sons attachée à la per­ver­sion ou au para­doxe con­sti­tu­tifs du lan­gage – est plus pro­fonde que la foi en un dieu et la croy­ance en un au-delà qui en résulte. Celles-ci mêmes, qui échap­pent à toute logique, et se vivent dans l’ivresse, la transe, l’exultation d’un sac­ri­fice, l’embaumement, l’incantation mag­ique ou le silence mys­tique, sont sans doute des ten­ta­tives de renouer avec ce dont le lan­gage nous prive, à savoir l’immersion et l’entraînement dans un flux pro­vi­soire­ment inin­ter­rompu de ce qu’on appelle la vie, dans une transe exis­ten­tielle – fût-elle sur le mode de l’immobilité ou de la sus­pen­sion. Mais pourquoi ces pra­tiques passent-elles encore par la mort ? Les can­ni­bales, en dépit de la migra­tion effec­tive de la chair, tien­nent à la mise à mort, tout comme les réduc­teurs de têtes. Comme si la nature humaine, indé­fectible­ment attachée à sa dis­tinc­tion par le lan­gage, ne pou­vait qu’user d’un anti­dote à la ten­ta­tion du grand tout vivant, pro­gram­mant une mort – la fameuse con­ces­sion -, son seul recours con­tre la dis­per­sion dans l’indistinct, dans ce qui n’a pas de terme. Si je me tue, c’est pour ne pas mourir éter­nelle­ment ; si l’on me met au monde, c’est pour ne pas vivre éternellement.

 

     Le géotrupe ou le géoas­tre hygrométrique pro­gressent dans la bouse et la pous­sière sans deman­der leur reste.

 

 Paris, étés 2008–2009

 

 

 

 

 

 

 

 

Ce qui ne se voit revient à l’abandon, une friche sans défense, mangée de brume. Comme lire de dos un homme obèse, de face une femme bossue, l’avers à l’invisible offert, sans fard que le poids de la route, où les prunes bleues ont con­fit le goudron. Ils se por­tent seuls à deux, tarots dépareil­lés entre les herbes. Nulle gamme qu’ahan de pente, mod­ulé par une buse haute. Ils s’en vont de la vue et vien­nent, feuilles trou­bles dans l’eau jusqu’à ce que leur encre ait per­du sens. Leurs moitiés siamoi­ses se déga­gent de l’arche mince de mes épaules, faire corps avec leur nu de lumière. Ils ne sont à per­son­ne tant qu’ensemble ils dansent une noce de coques inversées.

 

dedans la noix sèche une cervelle de poulet

8/8/2007

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Où la riv­ière fai­sait un coude, le héron était donc un fût cal­ciné ! cou brisé, qui voy­ait le chevaine sans gêne fil­er entre ses pattes chaussées de vase. Sa forme de pas­sage fai­sait l’oiseau pour­tant, insis­tante et grise, à l’intérieur du bois foudroyé. Il s’envolerait, soule­vant l’air trop lourd de ses ailes. Toute une cen­dre à la suite, déposée dans l’urne d’un aulne. Jamais on ne sut s’il fut là, pêcheur de songes, cré­d­ule ou menteur, à sec­on­der l’onde, en veilleur d’ombre. Il réap­parut dans la val­lée, bagué d’un autre pêcheur d’âme. Son col­lier de plumes entre mes seins tombe, fumantes et noires d’un feu d’orage qui jadis cal­ci­na la cage où dor­mait une reine.

 

les seins de la morte bat­tent de l’aile

9/8/2007

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Naguère, boudé par une bête noble, il aima se noy­er, mais le pont lui fit un croche-pattes et le chaus­sa de pierre. Bien que sans relâche il guette, sous l’arc ten­du au point de rup­ture de ses grands os, la riv­ière char­rie puis dis­sout le trou­ble de filles rétives au jeune mort. Les pois­sons mai­gres entre leurs cheveux filent. Il décoche sa rage incol­ore dans le cœur du cin­cle ; il serre en secret le col­lier des couleu­vres. Un nageur vient à gliss­er sous l’espèce trans­par­ente d’un enfant mais ses doigts fol­lets, qui croient à un jeu d’onde, bleuis­sent. Il ne sait d’où lui pousse soudain une flèche dans le dos et les jambes du pont se mar­brent de délice. Un cerf vite emporte l’enfant sur ses bois qui raclent l’arche au pas­sage, ébran­lant fémurs et tibias.

 

les morts jouent aux Indi­ens et aux osselets

27/8/2007

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Entre l’angle mort et le champ de la vision passent, comme sur la tranche indé­cise de l’être, des objets de l’air mou­vant, qui appa­rais­sent afin de dis­paraître, jou­ets d’un pres­tidig­i­ta­teur au clou dont la pas­sion de l’escamotage aurait con­tin­ué de hanter le frac. L’œil, d’une griffe de chat capte ces berlues latérales, mais le dia­ble effon­dre les corps étreints et Faust épous­sette la cen­dre en pluie sur la livrée de son désir. Longtemps après il marche et lar­moie, la rétine piquée par ce courant d’air froid. Qu’il tende un piège à l’invisible. L’œil en crabe il avance, fila­ture détachée jusqu’au bord de la falaise. Il tombe dans les bras d’une sirène coupée en deux qu’il n’a pas vue.

 

les mouch­es voient par­faite­ment la viande

31/8/2007

 

 

 

 

 

 

 

 

A flanc de butte, les racines du chêne et du lierre qui le tue jusqu’en bas soulèvent la pierre tombale, mues par une force que la curiosité noua plus que le poids. L’entrelacs ligneux, obscène depuis qu’il enfle de dur­er, s’offre le clos frais d’une ombre où gît, toute flo­rale aux rêves aban­don­née, une belle. Il y puise ce qui l’enfonce à la vitesse de l’éternité. La morte éveil­lée par l’aubaine d’un jour infil­tré, glis­sée preste hors l’écrin, goûte le sere­in et, con­tre l’écorce, accoudée fume. Tout à la peine lente de sur­pren­dre une corolle, il ne voit qu’elle n’est plus. L’aubier craque, imper­cep­ti­ble à l’ouïe la plus fine. Plus tard autour de l’arbre, elle danse pêle-mêle une ronde effron­tée avec un grand duc poivré.

 

les oiseaux de nuit ont du goût

31/8/2007
à Philippe

 

 

 

 

 

 

 

 

Vieille et déjà plus sur les lèvres qu’un dou­ble pli de sons – maman. L’empreinte d’un  bais­er rare con­tre le front inso­lite d’un enfant muché dans ses pier­res. Au jardin piqué de têtes de chats, on voy­agera, à bord de longues tiges pelues qui tanguent les soirs de rage. On fouira dans sa chair un reste d’aveu ten­dre pour une souche qui rejette un paria, vif par­mi les cernes et presque à hau­teur des gout­tières. Viens sauter hors de ta robe grise avec les fils de la vierge. Ils ne col­lent plus qu’aux cornes des vach­es oubliées dans la rosée, pleine de leur ven­tre. Depuis, toutes elles aiment à frot­ter leurs jambes con­tre les chicots d’arbre. Il en sort des champignons qui respirent comme les morts.

 

les vach­es sont à moitié champignons

2/9/2007

 

 

 

 

 

 

 

 

 

A peine tirée sa révérence que chas­sée de la scène, se rha­biller d’ombre ; alors que ses amies de bal l’eussent bien longtemps veil­lée en talons aigu­ille, tout en sueur encore assis­es sur leur soie frois­sée. Nuls ten­ture ou rideau qu’elles ne palpent ou hument, nul fla­con qu’elles ne ren­versent, orphe­lines de mort, pour rat­trap­er celle dont traîne le par­fum sur l’échelle qui grimpe aux jas­mins. Vous repren­drez bien un bis­cuit à l’effigie d’Alice, défig­urée dans le marc de café ? Mais qui, dans l’ovale de la main, retient les traits de l’en allée ? Ne reste que le ton le plus pâle d’un camée arasé, juste de quoi muser avec un leurre quand la dame qui cre­va vous enver­rait valser dans les orties.

 

la vérité cocotte

3/9/2007

 

 

 

 

 

 

 

 

Il n’y a plus ce chien hié­mal sur la plage. L’été a pom­pé toute l’eau du Léthé. Ce forçat vig­ile des sables d’océan avait trois trous au flanc, de becs, de pinces de bêtes. Son col­lier en laisse autour du grand fût flot­té est plus large que le poignet de l’homme vivant qui l’oublia. Conne de vie béate à pour­rir debout. Les chardons bleus des dunes ne me piquent plus, ni le taon ; d’en haut je veille aux noyés neufs, qu’à ma meute ils se joignent et pis­tent le maître jusqu’aux cham­bres du bor­del, de den­telles noires ten­dues. Sur le tapis de l’une nous lais­serons une forme muette, avec de grands yeux creux pour éblouir les glaces et de grandes dents pour la curée.

 

le loup ne fait pas dans la dentelle

3/9/2007

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dans la marne grise de la pente, frag­ile gaufre, le vieil œuf désœu­vré d’un lézard gante le doigt coupé d’une bélem­nite. Les restes de la mer dur­cie déman­gent la terre mais tout de même une vache tar­dive, en une pluie, s’enfonce jusqu’aux cornes — ses ten­tac­ules à elle. Elle prend son pre­mier bain de mort. En bas les autres pais­sent, lour­des et sour­des au mugisse­ment, si fort craque­nt les cri­quets et les sauterelles entre leurs dents. La vivante fos­sile effraie les promeneurs tant qu’elle beu­gle. La nuit tombée, un fouilleur, guidé par la tiédeur de son silence, lui vient sci­er les cornes, cam­brées comme des ouïes de lyre. Du front coupé, le sang dans la pous­sière se tord comme du lichen.

 

la lyre d’Orphée coûte vache­ment cher

4/9/2007

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Son père a craché toute sa sœur dans le por­trait du nour­ris­son dou­ble entre les bras du chien sur la pho­togra­phie du bap­tême de la mère — sosie. Les faces feuil­letées draguent obstiné­ment les fonds du même grand corps flou, dans leurs rets que par­fois crève un traître. Sans autre issue que son pro­pre accroc dans la maille, il tente d’avaler tout rond l’air de famille mais ses dents butent con­tre le cuir de raie qui coiffe toutes les pom­mettes, écus de picots con­tre l’intrus. Il s’aplatit lorsque sur lui fonce la mante ample de l’énigme, qui voudrait l’emporter dans le courant glacé de son ombre, pour le coudre à sa dou­blure. Il ressem­ble, sous sa rage d’être quand même, à sa mort ser­rée dans un sac de sutures.

 

la raie au milieu perd ses cheveux

6/9/2007

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La tête du mort le prédis­pose à l’hilarité, naturelle­ment. Plus une fibre de chair qui boucherait la fente de son rire ou lui com­poserait un vis­age de com­ponc­tion. Poilé il est né, jusqu’aux oreilles, dans un élan qu’il ne maîtrise plus mais par lequel, goulû­ment, il se laisse emporter comme sur un cheval à bas­cule piqué par un taon. A chaque enter­re­ment, la joue rougie à la cire con­fuse de vêpres, éclot un clown, venu huil­er tous les condyles max­il­laires, avant le grand éclat général sous le pinceau grêlé de baies, des cyprès. Emus d’être tou­jours encore hilares, ses copains de cav­ale se recouchent autour du nou­veau-né, qui ron­fle épou­vantable­ment. Un bœuf, un âne, venus exprès de Galilée en ciré, boudent cette crèche.

 

le nez camus est gon­flé de ne pas mentir

10/9/2007

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sa viande couchée sur la gomme de la rame sem­blerait four­rée en un sac sus­pect si la soif hale­tante ne sec­ouait sa robe noire, ourlée de fauve, sur la coque d’une botte. La langue dans sa muselière vac­ille, brûlot vio­let qui chif­fon­nerait un chiot comme elle trem­perait de salive acide l’entaille d’un croc. Elle se con­tient vivante, dressée pour vider toute sa mort du four­reau. Monte un assas­sin, chargé d’un sac plein d’une forme dont le par­fum glace la truffe de la chi­enne. Elle se recon­naît cousue dans le jute après ses pre­miers pas au Bois. Nous n’irons plus qu’en rêve, ten­dre une nappe ensanglan­tée, nous y rouler folles d’innocence jusqu’à ce qu’il ne reste plus une seule miette de la vie.

 

Cer­bère, sac à putes

12/9/2007

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le dessin d’un défunt l’avive-t-t-il ? Le dessin d’un vivant le viande-t-il dans l’au-delà ? Quel des­sein cou­vent les traits d’un enfant entre les pinces de sa mère ? Quelle orig­ine s’est fig­uré qu’elle jet­terait dans son miroir l’image d’une vie ? Qui du con­tour ou du cœur saurait dire où il est ? De la sil­hou­ette ou de l’ombre, laque­lle danse le plus vite entre les lames des ciseaux ? Les morts savent-ils, en leur patience, retouch­er le por­trait de qui leur survit d’heure en heure? Je vais, poudrée de pollen blanc, je vais, cou­verte d’abeilles noires, je vais, mou­vante de larves, je vais, char­riée par les gnous dans le fleuve, je vais, entre les tuiles du toit, je vais, tout con­tre l’amour, dessin­er si tu dors.

 

le mod­èle est une taupe

19/9/2007

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Par mil­liers mais un seul là, dans son creux qui l’ensevelit, les palmes bien rangées par­mi les algues, une pastille sous le bec comme le reflet d’un bou­ton d’or. L’épouvante est tombée, après des heures de lutte con­tre une gelée géante, rongeuse du con­tour des corps. Min­i­mal, l’œil encore cir­con­scrit l’espace qui s’avance, per­lé de big­orneaux à chaque doigt ; une brise coquette soulève une plume, pudeur ailée sur l’effondrement. Une fil­lette à longues jambes con­tem­ple dans son ombre ce leurre impas­si­ble, sans voir qu’il, suprême feinte, tente de n’être qu’un flot­teur de plas­tique. Elle saisit le cou mer­veilleuse­ment froid du très léger oiseau qui sonne creux, pour l’emporter dans son bain. A sa place tiède, le vrai n’en finit pas de mourir.

 

la faux se plante une fois sur deux

22/9/2007

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il y a tout autour du cou des enfants hors-la-loi des per­les reli­quaires qui bruis­sent ingénu­ment durant les songes. Une serre de coq nain froisse la tête d’une cétoine dorée, une dent de bro­chet men­ace l’alcôve d’une petite huître, une hir­sute gale d’aubépine épate une pha­lange de silex. A tra­vers elles court un fil d’acier qui mesure l’innocent. C’est pour aller guinch­er dans l’ombre des caves qu’il les enfile, fier comme têtu, car la nuit, par les pattes pen­due, loge sous l’escalier. Accordez-moi ce pas chas­sé, oiseau de voûte ! Et l’oiseau, brûlé d’insomnie, con­tre les joues se casse les ailes vieilles. Offran­des à lui, si grand de détresse, les per­les à terre tombent, de l’enfant qu’elles recueil­lent séparé­ment, pour ne pas l’éveiller.

 

la relique se porte vivante

3 /10/ 2007

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Anodin sous son man­teau à poils gris, tou­jours le même voyageur monte dans n’importe quel train — pourvu qu’avec l’aube il parte essuy­er sur les rails la rosée pri­mor­diale. Assis en face de lui, quelque être mâle ou femelle, en son sac de peau brune ou blanche, dort, atêté con­tre la fenêtre, l’auréolant d’une buée qui vient et va à chaque res­pi­ra­tion. Longue­ment il l’observe, à tra­vers le paysage cou­vert de gelée blanche qui défile, met­tre en aveu­gle les dernières touch­es au por­trait invis­i­ble d’une vie. La véronique sur la vit­re ater­moie, entre s’étonner d’être encore en expi­rant et dis­paraître en retenant son souf­fle. Le voyageur, con­fon­du, descend au bout de la ligne, les poils gris de son man­teau à chaque fois un peu plus hérissés.

 

Jésus descend du loup

28/10/2007

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sous le mûri­er ten­du d’ombre, danse, depuis des lus­tres, l’ailleurs d’une femme immo­bile sur une planche antique, les yeux clos plus que des praires. Ses doigts en prière, déjà, ser­rent d’autres nœuds impa­tients d’arabesques et ses épaules, enfin saisies par une car­rure étrange­ment venue, jusqu’à la taille se ren­versent. Midi cogne le bronze et tan­dis que dégringo­lent par la fis­sure du clocher mille piaille­ments, de sa gorge, éclose à peine d’un col de soie, monte, défaite des plis d’un long som­meil, une voix dis­so­nante qui mod­ule d’inouïes syl­labes. Faisant une traîne de son anci­enne peau, soulevée comme un voile par le chant sou­verain de ce cav­a­lier qui s’élance en elle, elle ouvre le bal .

 

il faut être son­né pour refuser une danse

31/10/2007
à Perce­val

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Un cœur tombe du ciel, sur le tabli­er à volants de la fille qui joue avec des restes. Cette vie tiède entre ses genoux verts, tout en floches encore des nuées dévalées, comme un phoque se laisse gliss­er sur l’herbe rougeoy­ante. Il hume à plein régime, ivre et défait de car­casse, l’air vicié des mon­des, jusqu’au nom­bril. La fille l’encourage de sa paume potelée, sans savoir de quel corps il est descen­du. Il dira qu’il fut des franges et des lisières, des zones et des march­es, des marées étales où le noyé retient son souf­fle. Il dira qu’il fut. D’un court bond il atteint la hutte feuil­lue d’une bête en allée. La terre de nou­veau bat. Il chante du ven­tre la matière écar­late tan­dis qu’au ciel la fille pose à l’envers sa main.

 

le ciel ne pro­pose plus que des abats

21/12/2007

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tramée au gril­lage, les yeux jaunes en bou­tons fendus — pour retenir le corps de fil­er — elle bute aux pointes de ses cornes ; au front, sa laine pressée n’enveloppe rien que de l’être musqué, par les trous. Cepen­dant, à l’affût sous son talus gelé, pour mor­dre la faim dans la main coupée du paysage, lui, vilain de route à cail­loux comme des cail­lots, chante déjà con­tre son ven­tre dénoué. La Chèvre et le Chien, par désœu­vre­ment, pen­dent de haute lice, ombres portées sous le dais lunaire d’un grand cheva­lier de verre. Il s’en éveille, nu. De l’une il revêt l’armure ajourée, il geint l’oraison vagabonde de l’autre. Par les ruines que fouis­sent les rhi­zomes d’iris, ils vont, boire dans les fis­sures l’eau, à la bouche des tout pre­miers poissons.

 

on ne fait plus tapis­serie par­mi les ruines

23/12/2007

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sur le parvis du tem­ple, un chien d’homme, roulé dans un grand papi­er gras, bave une lumière. Il rend le jour dis­til­lé dans l’eau de sa seule peau. Ce fut un prêt de nulle part gag­née. Sur cette flaque d’or vogue l’envers des nuages qui déli­tent le ciel. Une femme de dieu, au sor­tir de l’arche obscure, voit au ciel un chien d’homme qui som­bre. Elle soulève sa bure immac­ulée et s’agenouille jusqu’à la taille. Son corps blanc de n’avoir jamais vu le jour s’offre pour tout l’or du monde. Le pau­vre hère lape le désir dont elle le lave sans répit. De leurs deux formes nouées devant le grand por­tail ouvré de fig­ures en gri­mace, s’élève un dou­ble drap qui claque comme le suaire d’un cygne.

 

Noé est dans de beaux draps

1/2/2008

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sur l’île aux écueils, une épave de cheval avec peine se hisse dans les genêts. Au-dessus d’une flaque il se mire et bas­cule sur le flanc. L’éponge sous terre aspire ce nou­veau venu dont une pâle trace, l’été venu, con­te encore la sur­face aux yeux qui voient. Tu soulèves, métic­uleuse, du doigt le lis­eré de sel qui con­tourne le mort. Tu tires cet élas­tique blanc jusque sous tes ais­selles, emportée pesam­ment dans des funérailles vides. Le con­voi, entre les rochers défig­urés par les lichens, te con­duit aux falais­es d’où tu lâch­es, ivre d’infini, ce licol blanc. Tu le vois s’enrouler au cou d’un nuage à tête de cheval. De chaque hen­nisse­ment tombe un crachin de sel qui des­sine, dans la terre qu’il crève, des rubans pour les petites filles.

 

les jeux à l’élastique sont interdits

2/3/2008

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Une fine larve opales­cente, savam­ment annelée, puis une deux­ième avec entre les lèvres la den­telle d’un mucus vert ; une troisième, enfin, vautrée dans la rigole basse de l’œil, con­tre les autres, à dég­lu­tir l’au-delà avec la moue fade d’une pré­cieuse. Dans la gueule den­tée du pois­son en dessous, une meule d’algues épaiss­es ou la réduc­tion séchée de l’océan. Sur neuf cen­timètres, l’ombre ten­due de ce qui hésite entre le vif et l’inerte se repose du vis­i­ble et de la con­sis­tance. Un homme et une femme, s’en revenant du bain, ruis­sel­lent. Ils caressent du pied la peau tiède de l’ombre. Ils se penchent et voient à tra­vers l’œil du pois­son, comme par une ser­rure, l’autre côté déjà où ils se chamail­lent à courir goulû­ment après un ballon.

 

le pois­son fait mai­gre dès sa mort

21/6/2008

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Vautré dans la gout­tière, en livrée d’enfance grise, sans la parure qui démesuré­ment pousse de la poche à vie, l’oison. Deux pattes, ain­si que des brindilles cou­vertes d’un duvet de givre, ges­tic­u­lent dans le vide où tournoie, à portée de moignon, le manège cri­ard de la faim. Con­tre l’ardoise pentue du toit, vio­lem­ment peint de fiente, une mère claque du bec au-dessus du bouf­fon parce qu’en vain tout le jour il sec­oue son poids de l’ornière de zinc. Tout en bas, dans la cour, la den­telle de la nappe trace autour de la table le fil ténu qui tient, nœud à  nœud, la découpe laborieuse du corps tombé. Un serveur cam­bré apporte une volaille en volière. Les poitrines s’exclament tan­dis que revient l’oiseau, déplumé cette fois, laqué jusqu’à la crête.

 

la mort a droit de cuissage

1/7/2008

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bufo bufo, ta ver­ruqueuse com­bi­nai­son ne ferme plus. Une mouche bleue de la viande, découpée dans la tôle d’un berceau de guerre, occupe ta blessure dor­sale, bou­ton­nière où s’égaillent des fagots de pail­lettes jaunes, bonnes à larves. Por­teur d’œufs qui ont sucé l’or de tes énormes yeux dans ma paume, tu cra­pahutes depuis l’aube sur le bord de la route, ten­té à peine par l’ombelle d’un panais. Tan­dis que la mouche vis­sée propulse ton vais­seau noir­cis­sant sur la pente, la tâche de l’aveugle mis­sion­naire brûle à l’entrée du tun­nel où des sujets, qu’un voile de matière à peine con­tient, tien­nent ta garde. S’ils enflent pour impres­sion­ner, c’est que déjà ton numéro tourne dans l’orbe des indéchiffrables.

 

finis ta viande

19/9/2008

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