La cou­ver­ture est ornée des idéo­grammes chi­nois sig­nifi­ant « ce qui précède » et « ce qui suit » ; en quelque sorte l’α et l’ω, qui, avec le mot « livre » du titre, annon­cent une ambi­tion, une ampleur qu’une ivresse calem­bouresque place entre les par­en­thès­es… de Dionysos.

C’est une nar­ra­tion de marche, un pas « tam­bour bat­tant » voudrait-on dire, si l’au­teur n’avait l’air haute­ment allergique à toute forme de tam­bour. Incip­it : c’est par­ti roue car­rée go go go … Nous penserons plutôt à la clau­di­ca­tion têtue de Lenz à tra­vers la mon­tagne. Mais pas une marche pro­gres­siste de folie pos­i­tive — pas roman­tique le gugus —, un retour sur promess­es non tenues, un retour aux racines qui s’emmêlent et nous entra­vent  : Puisque les hommes marchent presque tou­jours dans les voies frayées par d’autres (…) Nos styles sont désor­mais des réminis­cences ». Et si l’on sait que l’au­teur (né en 1969) a déjà pub­lié « Fon­du au noir ; le film à l’heure de sa repro­duc­tion numérisé », il est à crain­dre que son ivresse soit amère, et que la mon­tagne, infranchie, se trou­ve plutôt vers la Cat­a­logne, à Portbou.

Car ce qu’on va lire a en effet un par­fum de funérailles : celles de l’au­ra. Mais, s’il vous plaît, avec panache, en grand deuil majestueux !

 

et pourquoi des poètes au temps d’in­ter­net la détresse en tant que détresse nous mon­tre la trace suiv­re cette trace tu con­nais le mot de tol­stoï n’écris vrai­ment que si tu ne peux pas ne pas écrire 19 octo­bre 1909 car je vois la poésie dans un bour­bier et l’homme jeté dans la nuit as-tu ouï dire que les moissons arrosées d’en­cre ne se font que dix ou douze ans après les semailles…

 

Cer­tains vont dire : encore cette absence de ponc­tu­a­tion ! Oui, cela fait par­tie des signes, ain­si naguère les mots épars comme des miettes sur une table firent de la poésie une ascèse du sig­nifi­ant. Change­ment d’époque. Réal­isme de cette coulée ver­bale con­tin­ue où nos vies sont char­riées : textes de lois (mal écrites dit-on), navettes égarées, mar­ques déposées (jeu : retrou­ve la pomme logo qui fait rêver jusqu’aux peu­plades écrasées par la faim et la tyran­nie… page 34 !), modes d’emploi et pré­cau­tion (le seul principe de la démoc­ra­tie postlibérale ?).

Guil­laume Basquin ne pré­tend pas à un style, inven­tion de l’humanisme, mar­que déposée qui a sculp­té notre rap­port à l’écrit pen­dant six siè­cles : il copiecolle. D’un reste de civil­ité qui hante encore Guy­otat, il s’envole. Sans sujet ni ordre du jour. Mais puisqu’il me faut bien dire quelque chose dès que je par­le de, dis­ons : la fin de la cul­ture (occi­den­tale) : (…) rideau roman sous presse voilà l’hypothèque lit­téraire a presto c’est fini oui

Pas drôle.

Pas triste. Le mélange des langues est joyeux, comme dans cette lin­gua fran­ca des com­merçants qui fai­saient jadis de la Méditer­ranée une toile dan­gereuse et jubi­la­toire. Même car­rée, c’est une marche viv­i­fi­ante. On est chargé ? mais le poème n’a eu de cesse de nous décharg­er, pour nous laiss­er… moins vide que léger : (…) comme au jeu de tric-trac allons-nous en il est temps quit­tons-nous amis (…). Chargé, sans mis­sion. Mais on sent qu’il s’est, en deçà du texte, passé quelque chose, — une pen­tecôte ? — venu le temps de la sépa­ra­tion et d’aller avec le peu que nous sommes sans carte : (…) avec les cinq sens une révo­lu­tion menée à douze fidèles voluptueux (…)

 

 

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