Née à Buenos Aires mais vivant à Paris depuis plus de trente ans, Luisa Futoran­sky est poète, nar­ra­trice et essay­iste. Elle a reçu de nom­breux prix lit­téraires. Son oeu­vre est traduite en anglais, français, ital­ien, por­tu­gais et hébreu.

Elle est con­sid­érée comme l’icône de la poésie argen­tine exilée à Paris avec Cortázar qui est venu à sa pre­mière lec­ture comme elle a assisté à son enterrement.

Cer­tains voy­ages poé­tiques de Luisa Futoran­sky ont à voir avec l’exil, d’autres avec l’identité, mais aus­si avec la descrip­tion de lieux com­muns et de ter­ri­toires capa­bles de sus­citer des éclairs de beauté .

Pein­tures rupestres répond à ce mou­ve­ment exploratoire, ce rythme de migra­tions .Il apporte des preuves d’un tal­ent énorme pour nous faire voy­ager sans sor­tir de chez nous .

Luisa Futoran­sky exprime cette idée dans son dernier long poème Pays de Cocagne :

           

s’approprier un lieu
           requiert aban­don et talent 

            ………….

            Baude­laire a dit
           que le pays de cocagne
           doit être un pays superbe
                         — où per­son­ne ne tra­vaille et où il y a de tout-
                    et je rêvais d’aller le vis­iter avec une vieille amie.

 

Cette même idée se retrou­ve dans le  poème  Opor­to blanc :

 

                        on recon­naît une ville à ses douceurs, ses fous
                       et aus­si aux ornières de ses chaussées

 

Pein­tures rupestres, Édi­tions Levi­atán, col­lec­tion poesía may­or, non encore pub­lié en français mais en cours de tra­duc­tion, est le dernier livre deLuisa Futoransky.

Tout au long de ces quar­ante poèmes, Luisa Futro­ran­sky, dont l’inspiration et la voix pro­lon­gent ici le livre Orties de Saorge pub­lié l’an passé au Québec aux édi­tions de la Grenouil­lère indique com­bi­en la poésie est selon les mots de l’auteur « une berceuse transper­cée par les ongles. »

En effet, le poème qui donne le titre au recueil nous fait com­pren­dre avec son ironie cinglante que ces pein­tures rupestres, ces mar­ques creusées dans l’histoire four­nissent à manger et à boire à des his­to­riens, des pho­tographes, con­ser­va­teurs de musées et même des poètes.

 

            PEINTURE  RUPESTRE

 

 

haut mur que celui de la san­té
il profère des ordres
quand même
des balbutiements
impos­si­bles à traduire
ramón exige
nn promet  , apaise
          — ça va aller
demain les choses arrivent
elles sont bien séparées-
ramón sem­ble se calmer

 

crain­tif, un vent se glisse par les fissures
et les ongles

 

ramón et ses complices
perpétuent
transmettent
quelque soit la  forme de leurs caves
des tunnels
et des cellules
des incisions
des traces
de l’art rupestre le plus cru

pour  don­ner finalement
à boire et à manger
à des his­to­riens, des photographes
des con­ser­va­teurs de musée
et à quelque poète
com­plète­ment perdu
comme moi.

 

 

Mais le con­cept appa­raît dans le très beau  poème appelé  ‘Con fre­cuen­cia » que j’ai traduit par « Sou­vent ». C’est selon moi la com­mé­mora­tion de ce qui se passe dans la langue et dans le corps, des gestes dans les hôpi­taux ‚les pris­ons, les camps de concentration :

 

           

Sou­vent

 

sou­vent je pense aux mor­tais­es des camps
les bar­res chétives
faites du dernier sang des ongles
au pla­fond presque
devant la bouche
trompeuse
de la douche
les cal­en­dri­ers du malheur
effaçant les jours avec des clous
dans les prisons
les petites rayures que nous lais­sons sur les murs
avec nos vies
et elles miroitent dans un  calendrier
d’un cer­tain firmament

 

pein­ture, même grossière
silen­cieuse dans sa douleur

 

mais très rupestre

 

D’autant plus que ce poème est dédié à ses lecteurs.

 

 

Ain­si, les PEINTURES RUPESTRES de Luisa Futoran­sky  font coïn­cider forme et fond,  sig­nifi­ant et sig­nifié. Ce sont des mar­ques sur les pier­res qui, en même temps qu’elles résis­tent à l’érosion, tran­scen­dent les épo­ques esthé­tiques, une tau­tolo­gie de la per­ma­nence, une tromperie de la fini­tude, une his­toire qui restera his­toire pour toujours.

Mais les mots sont aus­si étranges que pré­cis, tels des masques qui cachent mais ne déton­nent jamais.

C’est ain­si qu’au long de ses nou­veaux poèmes, Luisa Futoran­sky parvient à décrire toute une faune, des espèces ani­males déca­dentes, une ville très con­nue comme l’est Berlin.

 

                                   Berlin, fiche technique

                                               À Mar­i­ly Matínez de Richter

 

berlin est solide
lourde massive
spacieuse
méthodique surtout
avec une prédilec­tion pour le marbre
les litur­gies de l’avent
les anges joufflus
et les nains de jardin.

 

 

Capa­ble de tran­scen­der les fron­tières entre réal­ité et fic­tion, dans le très beau poème inti­t­ulé musique de cham­bre de noël, Luisa Futoran­sky nous donne les clés  de la per­cep­tion poé­tique , sim­i­laire à la machine de Dieu :

 

            Les clés de Dieu sont trois : celle de la pluie, celle de la
                       /naissance, celle de la résurrection.

 

Grands inspi­ra­teurs de réc­its, les poèmes de PEINTURES RUPESTRES  réveil­lent et révè­lent un énorme désir d’écrire .On s’accordera pour dire que la poésie de Luisa Futoran­sky con­stitue la pein­ture rupestre des villes modernes.

 

 

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