du doigt de l’œil et de la langue au point du jour un deman­deur d’asile explore tour à tour toutes les ouvertures

*

une mouche sur la joue gauche
sur le front une libellule
un ver luisant au bout d’un doigt
une plume de givre entre les lèvres
une couleu­vre autour du cou
un pois­son d’or entre les seins
et sur la vul­ve un lézard bleu

 *

ayant bouché toutes les ouvertures
elle se couche sur la table
et fer­mant les yeux mur­mure “vue imprenable”

 *

l’aube bat des paupières
un rami­er s’ap­prête à jaillir
du feuillage
          un autre retient son souffle
un bal­lon bleu roule sur la chaussée
une femme hurle dans l’im­meu­ble d’en face
— le temps se dilue dans l’espace
des lam­beaux de ciel fauve jonchent le sous-bois
les charog­nards s’en don­nent à cœur joie
— la boîte noire demeure introuvable

 *

les fleurs sur la table
l’oiseau sur la branche
les mots sur la page
a mort sur la route
les cris sur la plage
le sang sur les murs
les pas sur la neige
— la vue sur la mer

*

dedans dehors tout devient cendre
sans même avoir pris feu — seule dès lors
survit la voix du vent

*

soudain plus rien n’existe
que le frémisse­ment des feuilles
la lumineuse danse des ramures
— seul émerge soudain seul survit corps et âme
cet érable solaire qui remue
sous mes yeux
          en plein vent

*

ter­mi­nus — Notre-Dame de la solitude -
en silence aus­sitôt tout le monde descend
sans deman­der son reste

*

n’ayant plus rien à boire
il fris­sonne divague
réca­pit­ule mar­monne des noms
de villes et de fleuves
ricane
          hoquette
bat des paupières
— tripote son portable

*

à l’om­bre des palétuviers
je glisse par­mi les roseaux
cet oiseau-mouche est mon ange gardien
cette pirogue mon cercueil
repoussez-moi douce­ment vers le large
mêlez l’éc­ume de vos rêves
aux brisures de ma mémoire
le jour baisse à vue d’œil
le ciel a la couleur du vide
l’eau ne reflète rien
la nuit tombe
          (ah si vous saviez…
— mais c’est une autre histoire)

*

tout est calme il fait doux
sur l’e­s­planade seul un infirme titube
en rêvant qu’il giboie
la brume cou­ve un âge d’or
le silence parachève son œuvre
le temps retient son souffle
— et le rivage lève l’ancre

 

Genève, 2012

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