Il acheta une pierre dans une boîte. Dessus il y avait écrit Pierre Qui Change De Couleur Dès Que Tu La Regardes. Il cou­rut chez lui la regarder tout entière. Là, il regar­da la pierre, la fièvre dans les yeux. Pen­dant des heures, mais elle ne changeait pas.

Il se dit Je suis aveu­gle ; ce que j’ai vu jusqu’i­ci je ne l’ai pas vu. La preuve, cette pierre qui change de couleur dès que tu la regardes. Il dit ces mots, bien humil­ié, lais­sa la pierre dans sa boîte et se recro­quevil­la pour dormir.

(Il se recro­quevil­la car cela n’a aucun sens d’être éveil­lé quand on n’in­flu­ence rien. Même pas l’une de ces pier­res ordi­naires qui changent de couleur dès qu’on les regarde.)

Et toute la soirée la pierre dans sa boîte.

Et pour­tant.

Pen­dant qu’il dor­mait, quelque chose remua sous sa peau. Il en sor­tit une écume vert som­bre, puis des mil­liers de couleurs. Qui pous­saient sur lui en douce et fondaient des colonies. Au point qu’il fut cou­vert d’une épilep­sie de couleurs. Mais tout s’ef­faça sans laiss­er de traces. D’un seul coup dès le matin.

(Car sur la boîte on avait oublié d’écrire un s : Pierre Qui Changes De Couleur Dès Que Tu La Regardes.)

Pierre se réveil­la donc dans sa couleur naturelle. Il prit la pierre, la regar­da, la fièvre dans les yeux. Pen­dant des heures.

Elle ne changeait pas.

 

 (Dor­toir — Neuf paraboles noc­turnes, 1999)

 

Tra­duc­tion du grec par Michel Volkovitch

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