Il n’est pas si aisé de rendre compte d’un ouvrage singulier, car assurément le livre de Matthieu Lorin l’est. C’est à dire étonnant, remarquable. Le titre en est un premier témoignage.
Je salue donc tout d’abord la concision et la grande justesse de la préface de Claude Vercey : « Matthieu Lorin […] a mesuré combien l’entravaient les œuvres anciennes, comme autant de grillages […] devenus barbelés dans le poèmes final, et qu’il faut couper avec une pince, et écarter pour se faufiler. ».
Pour ce qui est de la forme, ce sont des poèmes en prose et en effet, ils font la part belle à des souvenirs de lecture, des auteurs évoqués dans le titre, dont on suppose qu’ils ont fait impression sur l’auteur (Thierry Metz, Jean Giono, William Burroughs, Malcolm Lowry…). Je dirais qu’il y a plus clin d’œil ou image rémanente que réel hommage ou influence. Ainsi, dans le texte se référant à Hervé Bazin (nous avons tous en souvenir le terrible Vipère au poing) :
L’enfance fait voler en éclats fenêtres, bouches humides et collection de timbres-poste. Seules les déceptions ne peuvent se briser. Bien qu’en forçant un peu, en tapant dessus avec un marteau, il doive tout de même être possible de les réintégrer dans leur logement.
Matthieu Lorin, Souvenirs et grillages suivi de Proses géométriques et Arabesques arithmétiques, éditions Sous le Sceau du Tabellion, 2022, 106 pages 18 €
Une teneur, sinon sombre, du moins très désabusée, jalonne le recueil :
Autrefois, je rayais des journées entières de la carte du temps. Je frottais mes paumes l’une contre l’autre et tombaient au sol des miettes de ma jeunesse.
Tout se fane, même la fleur de l’âge.[…]
Tout s’écroule, même l’espoir.
On ne saurait laisser de côté le goût certain pour les mots, avec, en premier lieu la présence de mots rares : syrphe, psoque, ou encore pyrrhocores, qui ne nuisent cependant en rien à la lecture. Ensuite, comment ne pas situer des pans entiers aux frontières du surréalisme, attention, je dis bien aux frontières :
Assis à regarder les enfants se jeter dans le vide, je m’accoude paresseusement à ma folie. J’aspire les rires comme autant d’élastiques rappelant à ma raison qu’elle est tenue en laisse.
Cela est surtout vrai pour la deuxième partie du recueil : Aujourd’hui, il pleut des segments et des diagonales venteuses, non sans humour : Il pleut des cordes et je n’ai pas d’arc, seulement deux mains incapables de me hisser, deux pentagones flasques proposés sur un étal d’algèbre.
Cette deuxième partie (son titre annonce la couleur) jouera de la chose mathématique : Malgré la pluie, tracez à la craie un cercle dont le rayon reprendra la distance qui vous sépare de vous-même.
Avec toujours cet humour désespéré :
Le polygone n’avait pas prévu que la faiblesse viendrait de ses droites. Il s’est effondré et ses angles se sont abattus. Devenu aussi écrasé par l’existence qu’un étendoir qui se casse la gueule, il a néanmoins fini par se relever.
(Image du fantassin après une salve ennemie)
On retrouve dans cette deuxième partie des souvenirs de lecture (encore Bazin et Brautigan, mais aussi Deleuze) :
Sous l’éclatant soleil, je me suis aperçu que j’avais dans ma mémoire – que l’on peut comparer à un atelier d’origami en désordre – des plis vertigineux comme des falaises, ainsi qu’une mappemonde usée, perdue dans un silo désaffecté.
Matthieu Lorin semble beaucoup douter de la qualité de ses poèmes (il a tort) et de leur capacité à trouver un éditeur (doublement tort) :‘
Me restent aujourd’hui deux recueils sans éditeur, un crayon à l’encre au trois-quarts consommé // et ce poème. (page 20) Sans même savoir si cela fera un bon poème… (page 32) Et, au bout de cette année, mes poèmes ne sont toujours pas publiés… (page37) Je me croyais capable de déposer un obus entre chaque mot. Mais j’ai mal géré la mise à feu et tout à explosé à la relecture. (page55)
C’est le seul petit reproche que je lui ferai : cette dévaluation inutile, encore que dans le dernier exemple que je relève, l’humour et la formulation poétique absolvent l’auteur.
Tu ne veux pas comprendre que tu fais partie de ceux qui vivent à l’ombre des murs des grands domaines. J’habite, moi, un jardin étriqué où je coupe les fleurs du lilas et mes rêves paisibles. Je les prends à la main, les arrache à leur origine.
Je bousille tout en un sens.
Mais non, mais non, rassurez-vous, Matthieu Lorin, vous avez trouvé au moins un lecteur qui trouve que vous avez, étrangement certes, mais bellement construit.
Présentation de l’auteur
- Les Carnets du Dessert de Lune : Lune de Poche ! - 6 novembre 2024
- Autour des éditions Aux cailloux des Chemins : Matthieu Lorin, Dominique Boudou et Thierry Roquet. - 6 septembre 2024
- Jean-Louis Rambour aux éditions L’herbe qui tremble - 6 mai 2024
- Béatrice Libert, Comme un livre ouvert à la croisée des doutes - 6 avril 2024
- Claude Favre, Thermos fêlé - 1 mars 2024
- Richard Rognet, Dans un nid de flammes - 6 février 2024
- Autour des éditions L’Herbe qui Tremble : Philippe Mathy, Derrière les maisons, Judith Chavanne, De mémoire et de vent - 6 janvier 2024
- Kaled Ezzedine, Loin - 21 décembre 2023
- Les Cahiers du Loup bleu - 29 octobre 2023
- Philippe Leuckx, Matière des soirs - 20 mai 2023
- Benjamin Torterat, L’Etendue passionnelle - 29 avril 2023
- Loïc Demey, Jour Huitième - 21 avril 2023
- Emmanuel Echivard, Pas de temps - 6 avril 2023
- Gustavo Adolfo Bécquer, Rimes - 20 mars 2023
- Ángelos Sikelianós, Le Visionnaire - 6 mars 2023
- Un Sicilien très français : Andrea Genovese - 21 février 2023
- Jacques Vandenschrick, Tant suivre les fuyards - 24 janvier 2023
- Matthieu Lorin, Souvenirs et grillages suivi de Proses géométriques et Arabesques arithmétiques - 21 décembre 2022
- Marilyne Bertoncini et Florence Daudé, Aub’ombre, Alb’ombra - 4 décembre 2022
- Philippe Lekeuche, L’épreuve - 21 novembre 2022
- Une flânerie à travers la poésie contemporaine mexicaine - 6 juillet 2019
- Eric DUVOISIN, Ordre de marche - 31 mai 2017
- Gérard CHALIAND, Feu nomade - 24 avril 2017