Il ne s’agit plus
Il ne s’agit plus de tenter d’ oublier
ce qui s’attarde dans la mémoire,
les copeaux de sable de nos miracles,
ce qui nous a jeté à genoux,
cois dans le silence, pleurant plus tard
devant des audiences invisibles.
Il s’agit d’après- midis trop vastes
où l’on comprend que la vieillesse
se tenait aussi au pommeau des chevaux de bois,
que son visage se reflétait sur la vitre des trains de nuit.
On sait quand l’après- midi nous dénude
que nous perdons du terrain devant ce qui nous affecte,
soucieux d’ être estampé du plaisir de vivre
derrière les voiles épurées du vent,
derrière l’ épaule de l’humanité qui se continue.
Il ne s’agit plus de lier ou de défaire.
Il s’agit de s’arrimer au passage noble des oiseaux,
aux fleuves charriant la boue et les lettres du monde.
Il s’agit de rester à n’en savoir qu’en faire.
***
Voyageurs
Combien de paysages traversés
entre tuiles d’ardoise et de brique,
de rues piégées dans les faisceaux du train?
Combien de paroles chapardées
liant nos sorts en un,
de pensées tues aux lueurs fragiles
de matins pluvieux, brumeux ou ensoleillés?
Combien de fous meurtris par trop de lois,
arrogants dans leurs broussailles,
affaissés, grimaçant, dans le wagon?
Combien d’amoureuses laissées au petit jour
que les voyageurs regardent
en se vouant au même mal,
de solitude, de prières dans nos yeux
quand le rire de deux enfants
fait sursauter le grincement chuintant du train?
***
Mon amour
Mon amour est avec moi
à l’heure où la nuit engloutit
les lumières ténues de la raison.
Il est la lune pleine dans mon ventre,
l’étoile du berger de mes pupilles.
Mon amour est entre le monde et moi,
vagabond crédule des berges d’Utopie,
vieillard sage dont je suis la fille.
Lorsque l’obscurité bat contre mes tempes,
il est la clarté effleurant les lacs brumeux,
l’intemporel dans ma mémoire
et ses pauvres souvenirs.
Nos âmes se couveront encore du regard
dans le train qui survole après la mort
les troupeaux laineux avançant busqués
sous la verve froide des vents du nord.
Nous dirons au- revoir
aux vagues sous leur cloche d’opale,
aux temples élevés sur leur trois- mâts.
Nos gestes réunis, nos bouches dévastées
déchireront la nuit polaire
de ce que nous étions la veille,
de ce que nous étions dans la mémoire
des villes traversées.
***
Un autre été
L’été a un déhanché de gitane,
la ville découvre ses cuisses
encore crémeuses de l’hiver.
Des vapeurs d’alcool descendent
de l’alambic cuivré du ciel,
pénètrent les naseaux des plus sages.
Le désarroi, la peine errent
entre les chemins de vallées
étrangères.
A la mi- jour on s’adonne à la sieste
sous des feuilles de peupliers
psalmodiant le prénom des saints,
sous des toits d’ardoise brûlants,
l’âme silencieuse, dans un corps
qui n’est plus qu’offrande
à la coulée lourde des heures.
A minuit, sur les lèvres, des mots de faiblesse
convient les étoiles à étreindre les regrets
et la fièvre, de tout emporter, pour et par le vide.
Seul, sur la crête des vagues, voguent
des voiliers de passage,
sous le regard jaune des mouettes, des pélicans.
***
Où ?
Où s’en vont dormir les oiseaux
Quand la nuit dans un battement d’ailes
Eteint la lumière floconneuse des fleurs
Tait la tirade enfiévrée des voix andalouses
Où s’en vont les étoiles
Quand le jour avance à petits pas d’espion
Sur le bord des rivières
Sur la couronne brique des toits
Où s’en va Paris
Quand les projecteurs du monde
Eclairent d’autres villes amoureuses
De l’écoulement oisif de leur fleuve,
De la résille de leurs rues
Où s’en vont les vertes années
Celles qui savaient nos habitudes
Qui aimaient l’ombre musquée des bois
La tiédeur dorée des levers d’autrefois
Où s’en vont les souvenirs
Quand il ne reste que le présent
Ses taches d’ombre et de vin
Sur le plat d’ une porte fermée