POÈME DES ÉLÉPHANTES ET DES VIEILLES DAMES
on lit dans le journal que des éléphantes sont devenues des vieilles dames
on lit aussi que de vieilles dames sont devenues des éléphantes
on regarde les cheveux blancs des unes et la peau ridée des autres
il y a une photographie c’est bien la preuve dit le journal
que les vieilles dames ont raison de défendre les éléphantes
que tout ça est un peu ridicule mais assez gentil
la vieille peau grise est douce à caresser
les poils blancs du menton aussi
et on ne sait pas qui est le plus malade
qui a la tuberculose qui contamine et tue les humains
qui a la vieillesse qui s’épidémie et nous effraie
qui est ridicule et qui ne l’est pas
on ne sait pas quoi faire avec ça s’indigner rire et aller ailleurs
loin du zoo loin de ces regards de vieilles animales humaines
je sais que je suis à mi-chemin
pas très loin de l’éléphante
pas très loin de la vieille dame
pas très loin d’en rire
pas très loin de me dire
courons en Mongolie cacher notre ennui au sens classique du mot chères amies
***
LA FIN DU MONDE N’ARRIVE PAS
après la peur la radio dit la vie c’est un flux continu ça n’arrête jamais
alors on lit dans le journal
qu’avant la fin du monde les gens font des provisions de robinsons
les vieilles dames et les jeunes
et aussi ceux qui ont des sourires éclatants
et sont intelligents
mon fils me dit qu’il a des angoisses de plus en plus fréquentes
nous les partageons un moment comme on boit ensemble
tous vivants
tous à dire la vie
tous à parler de tout de ce que nous ne savons pas
si difficile de parler de ce que nous savons de nous-mêmes
si peu pour résister quand la mort tombe du ciel ou des radios
ou des médecins
au loin corbeaux et voix radiophoniques
dehors et dedans
on se demande le monde
oublierait-il sa propre fin du monde
***
POUR LE SANS PATRIE
il faudrait un chat sur le papier
un pas d’oiseau sous le palmier
quelques frissons fous sur l’eau
l’odeur de la terre pourrissante
la haie coupée en feu un peu
de ciel bleu sur la colline
il faudrait les mains liées
par un serment d’amour
et non pas ce saccage du temps
il faudrait la rumeur ailée des insectes en été
le volcan noir sous les pieds la mer
ce que nous n’avons pas ce que nous avons
il faudrait ce qui fait danser le désir
sur le mur à aiser tandis que je dors
et que tout va son cours
dans le dehors
des jours
***
LE GOÛT DU POÈME DE PAPIER
la vie dans le ciel file en deux traits brillants
la feuille s’éclaire /enfin le matin très blanc
l’avion là-haut emporte plusieurs histoires
cousues de fil blanc et de papier d’argent
rien n’a changé depuis hier c’est demain
le chat se moque de toute fièvre il est bien
la vie là-haut a déjà fini sa course éclair
on ne voit presque plus rien de son passage
sa trace ressemble à un petit nuage fin et doux
dans ma bouche toujours ce goût de papier
quand on lèche une enveloppe pour coller
tous les voeux qu’on envoie au nouvel an
mon fils a dit les parents c’est important
en nous remettant ses cadeaux et a souri
c’est juste une histoire de noël un conte
où tout s’ajoute et rien ne s’enlève a‑t-il
précisé et l’écureuil brillant de son frère
sur la table a son tour a dit oui oui oui
plus rien dans le ciel à présent que vide
bleu hiver d’une journée de décembre
entassement de papiers cadeaux en feu
prêts à s’emballer de rouge et de bleu
papier d’Arménie bateau sur Ararat
revenir à Marseille et flotter sur l’O
***
DEUX ÉTOILES S’EMBRASSENT CE MATIN
comme si le ciel au-dessus de la colline
était le ciel au-dessus de la Mongolie
tout est joyeux à la bonne place ici
même celui le sans patrie qui le dit
aucune violence du monde et là-haut
deux étoiles collées l’une à l’autre
je vais chercher mes lunettes
je n’y vois plus très bien je le sais
alors cette réunion de deux étoiles
une illusion une explosion une folie
deux étoiles s’embrassent ce matin
c’est tout les chasseurs continuent de tirer
sur le pigeon blanc tant aimé
sur la chatte noire
et l’écureuil
le vacarme du monde est en attente
seuls quelques coups de fusil
mais surtout ces deux-là deux amies
qui se serrent au ciel l’une à l’autre
une dirait font bêchevette
et brillent encore tandis que le soleil
au-dessus de la colline
jusqu’à la fin du poème
***
NOUVELLES DU MONDE
Six éléphants meurent dans un accident
un accident avec un train en Inde
pas ici ni à Rennes ni même en Mongolie
on ne sait pas si tous étaient masculins
si parmi eux des éléphants au féminin
en tout cas six cadavres au bord du remblai
à la peau grise de vieilles dames fatiguées
et plus loin c’étaient des gens
certains peau douce d’enfants d’autres on ne dit rien
dans le journal ils sont portés disparus
pour regarder l’année nouvelle dans les yeux
sous un déluge de feux d’artifice et de cris
certains sont morts écrasés piétinés
mais pas par des éléphants
sur les images on voit des chaussures perdues
comme les chaussettes célibataires
après la lessive
mais là définitivement égarées
ça se passait à Abidjan pas à Marseille
ni à Rennes on ne sait pas très bien quoi faire
avec ça mais ça reste c’est là dans un coin
de la mémoire en miettes oui ça reste
et on dit dans le journal
que tout s’oublie aussi
comme le reste