Il faut qu’un recueil reste longtemps posé sur le bureau, près de soi. Il s’y installe dans l’immobilité con­fort­able de sa cou­ver­ture, de sa typogra­phie, du gram­mage de papi­er, du nom de son auteur, de son titre. En attente.

Un jour, il nous sol­licite : « Allez, vas‑y, ouvre-moi donc» ! Un défi ? A ce moment-là, je me décide. Je l’ouvre comme un paquet cadeau ou une pochette sur­prise. Le livre prend alors la parole.  Il offre ses mille « mots » (ici dans tous les sens de ce son !). A nous de les écouter et — par­fois — de les entendre.

L’opuscule de Bap­tiste Pizzi­nat n’a pas échap­pé à cette règle red­outable qui fait qu’une lec­trice ne peut ni tout voir, ni tout regarder. Alors ces « mots rouges » empris­on­nés dans le titre, que sont-ils ? Ils sont des mots « qui déjà con­ti­en­nent leurs pro­pres cen­dres »,  « pareils aux coqueli­cots » sur le bord du chemin. Une émo­tion à la Mouloud­ji s’esquisse. Elle ren­voie à ces « trois gouttes de sang qui fai­saient comme une fleur », sur le cor­sage blanc d’une femme aimée et tuée par amour.  Des mots de mort. Le poète s’émeut de sa longue quête à tra­vers le langage :

Baptiste Pizzinat, Les mots rouges, Editions Fédérop, Collection Paul Froment, 48 pages, 10€

Bap­tiste Pizzi­nat, Les mots rouges, Edi­tions Fédérop, Col­lec­tion Paul Fro­ment, 48 pages, 10€

Il faut creuser les heures
Ecrire beaucoup
pour dire si peu
être avec toi. 

Or les mots des poèmes sont por­teurs de leur pro­pre lim­ite : ils cherchent ici à cern­er la mort d’un être cher, sa sœur, sur­v­enue dans l’enfance du poète, mais ils n’accèdent pas au « ren­dez-vous » de l’absence. 

Après la mort, plus rien. 

Le poète ne sait rien de la morte : ni signe, ni trace, ni pas.  Juste des « appari­tions ». Elle s’est trans­for­mée en « étoile filante ». Il ne sait rien non plus de la mort. Que faire ? Quel exu­toire ? Quel anti­dote ? Il s’invente alors un avenir : 

Demain
j’apprendrai le lan­gage des morts
et par­lerai aux vivants de ta présence aimée.

Il créé un être soro­ral —  « Jes­si­ca » — qui resur­gi­rait à sa façon :

Pour te voir, j’apprends à voir plus loin. Au-delà de la sœur. Et du nom. Au-delà de tout.

Il com­prend alors que « nous  sommes des fan­tômes. Des spec­tres sans famille. Pen­dus d’un bout à l’autre de l’espace et du temps ». Que dire d’autre si ce n’est «adieu au lan­gage » ? Je ne peux que me taire.

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Jane Hervé

Jour­nal­iste aux Nou­velles Lit­téraires, auteure de La femme de lune (édi­tions Gal­li­mard), Née du chaos, et Le soleil ivre  (édi­tions du Guet­teur). Co-auteure de  La femme tatouée et de Neige d’amour avec le pein­tre Michel Jul­liard et co-auteure de pièces de théâtre : La légende de Guritha, femme viking et de Guritha, le retour avec Danièle Saint-Bois. janeherve@free.fr — voir aus­si : http://leguedelange.over-blog.com/