La sobriété de ce petit for­mat n’a d’égal que la con­ci­sion de sa présen­ta­tion. Aucun des élé­ments du para­texte habituel n’accompagnent les seuls nom d’auteur et titre qui s’inscrivent au milieu d’une cou­ver­ture crème.

Les Echanges de libel­lules intriguent donc tant par cette parci­monie qu’en ce qui con­cerne le con­tenu séman­tique du titre qui en précède la lec­ture. L’horizon d’attente s’en trou­ve désta­bil­isé, et la curiosité du lecteur tit­il­lée. Peu à atten­dre toute­fois car le poème lim­i­naire donne le ton et s’offre de guider le lecteur au fil de la décou­verte des 32 textes du recueil dont les courts para­graphes, pas plus de trois, se suc­cè­dent sans qu’aucun titre ni numéro de page ne vienne ryth­mer leur succession.

Nous avons plié le papier
tant de fois que nous avons
des cen­taines de grues.
Si nous tentions
la libellule ?

Oui, faisons naître entre nos doigts
de frêles libellules
que nous échangerons.
Comme on débute
peut-être ressembleront-elles
ces demoiselles
à d’étranges crapauds.
Ou plus prob­a­ble­ment à nos grues.

Cédric Landri, Les Echanges de libellules, La Porte, 32 pages, 2014, 8€

Cédric Lan­dri, Les Échanges de libel­lules, La Porte, 32 pages, 2014, 8€

Le ton est don­né d’une poésie pour laque­lle la fonc­tion autotelique du lan­gage n’est pas de mise, mais qui met dès l’abord le lecteur dans l’univers tout par­ti­c­uli­er de l’auteur. Une poésie faite de sym­bol­es qui con­fèrent au ton lyrique des énon­cés une dimen­sion onirique. Un énon­ci­a­teur qui s’adresse à la femme aimée à l’occasion de réminis­cences de moments perçus avec une acuité et une sen­si­bil­ité toute particulière.

Cueil­lons les mûres
déli­cates qui nais­sent des ronces
puis pré­parons ensemble
quelques pots de confiture
exquise et parfumée.

J’aime ces instants
où nous récoltons les délicates
mais je me méfie
de ce nous si changeant.
Dou­ble à la cueillette
il ne con­cerne que moi
‚lors de la préparation
puis repasse double
au goûter.

La nature ne cesse de ponctuer l’évocation des élé­ments anec­do­tiques con­vo­qués par l’auteur. Et cette prég­nance emprunte de sim­plic­ité ne rythme les élé­ments séman­tiques que pour invo­quer une tran­scen­dance, une appréhen­sion cos­mique des élé­ments du réel.

Dans la corbeille
elles se recroquevillent
les pommes en sanglots
craig­nant d’être choisies
pour ma tarte.
J’ai du mal à me résigner
à les met­tre au tombeau.

Alors pré­pare
une tarte nature.

La nature est trop grande
sans fin
l’univers ne peut devenir
gâteau.

Ces vers emprunts de sim­plic­ité et servis par une langue prosaïque ne privent pas le lecteur d’une dimen­sion poé­tique qui ouvre à un univers sen­si­ble et à une pro­fondeur spir­ituelle. Cédric Lan­dri ne cesse de révéler la beauté de chaque instant d’existence au fil de textes en apparence légers mais qui pro­posent d’entrevoir l’amplitude mys­tique présente dans la sim­plic­ité de toute chose et dans la présence de l’être aimé.

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Carole Mesrobian

Car­ole Car­cil­lo Mes­ro­bian est poète, cri­tique lit­téraire, revuiste, per­formeuse, éditrice et réal­isatrice. Elle pub­lie en 2012 Foulées désul­toires aux Edi­tions du Cygne, puis, en 2013, A Con­tre murailles aux Edi­tions du Lit­téraire, où a paru, au mois de juin 2017, Le Sur­sis en con­séquence. En 2016, La Chou­croute alsa­ci­enne paraît aux Edi­tions L’âne qui butine, et Qomme ques­tions, de et à Jean-Jacques Tachd­jian par Van­i­na Pin­ter, Car­ole Car­ci­lo Mes­ro­bian, Céline Delavaux, Jean-Pierre Duplan, Flo­rence Laly, Chris­tine Tara­nov,  aux Edi­tions La chi­enne Edith. Elle est égale­ment l’au­teure d’Aper­ture du silence (2018) et Onto­genèse des bris (2019), chez PhB Edi­tions. Cette même année 2019 paraît A part l’élan, avec Jean-Jacques Tachd­jian, aux Edi­tions La Chi­enne, et Fem mal avec Wan­da Mihuleac, aux édi­tions Tran­signum ; en 2020 dans la col­lec­tion La Diag­o­nale de l’écrivain, Agence­ment du désert, paru chez Z4 édi­tions, et Octo­bre, un recueil écrit avec Alain Bris­si­aud paru chez PhB édi­tions. nihIL, est pub­lié chez Unic­ité en 2021, et De nihi­lo nihil en jan­vi­er 2022 chez tar­mac. A paraître aux édi­tions Unic­ité, L’Ourlet des murs, en mars 2022. Elle par­ticipe aux antholo­gies Dehors (2016,Editions Janus), Appa­raître (2018, Terre à ciel) De l’hu­main pour les migrants (2018, Edi­tions Jacques Fla­mand) Esprit d’ar­bre, (2018, Edi­tions pourquoi viens-tu si tard), Le Chant du cygne, (2020, Edi­tions du cygne), Le Courage des vivants (2020, Jacques André édi­teur), Antholo­gie Dire oui (2020, Terre à ciel), Voix de femmes, antholo­gie de poésie fémi­nine con­tem­po­raine, (2020, Pli­may). Par­al­lèle­ment parais­sent des textes inédits ain­si que des cri­tiques ou entre­tiens sur les sites Recours au Poème, Le Cap­i­tal des mots, Poe­siemuz­icetc., Le Lit­téraire, le Salon Lit­téraire, Décharge, Tex­ture, Sitaud­is, De l’art helvé­tique con­tem­po­rain, Libelle, L’Atelier de l’ag­neau, Décharge, Pas­sage d’en­cres, Test n°17, Créa­tures , For­mules, Cahi­er de la rue Ven­tu­ra, Libr-cri­tique, Sitaud­is, Créa­tures, Gare Mar­itime, Chroniques du ça et là, La vie man­i­feste, Fran­copo­lis, Poésie pre­mière, L’Intranquille., le Ven­tre et l’or­eille, Point con­tem­po­rain. Elle est l’auteure de la qua­trième de cou­ver­ture des Jusqu’au cœur d’Alain Bris­si­aud, et des pré­faces de Mémoire vive des replis de Mar­i­lyne Bertonci­ni et de Femme con­serve de Bluma Finkel­stein. Auprès de Mar­i­lyne bertonci­ni elle co-dirige la revue de poésie en ligne Recours au poème depuis 2016. Elle est secré­taire générale des édi­tions Tran­signum, dirige les édi­tions Oxy­bia crées par régis Daubin, et est con­cep­trice, réal­isatrice et ani­ma­trice de l’émis­sion et pod­cast L’ire Du Dire dif­fusée sur radio Fréquence Paris Plurielle, 106.3 FM.