Michel Cosem nous invite par ses mots auprès du Lot, l’ayant observé assez pour en lire les paysages, en écrire les couleurs saisonnières, le silence, la solitude, les présences autochtones, passagères, ou disparues qui circulent encore par les rues pittoresques de villages ou sites parfois devenus touristiques (Rocamadour, Figeac, …).
L’immersion exige, comme à la lecture d’un poème, l’attention de notre regard, de notre écoute, un recueillement actif.
Le ciel est bleu hirondelle sans autre souci que de respirer l’instant. Il faut
être là, à ce rendez-vous, dès le lever du jour pour savoir ce que deviendront
ces graines, ces vrilles, ces pétales et ces jeunes filles venues d’ailleurs.
La folle avoine, éditions Encres Vives, Coll. Lieu, 2017, 16 p., 6,10 €
Ces poèmes, écrits entre 2013 et 2016, déclinent les saisons du Grand Sud de l’Occitanie. « La folle avoine » de nos existences fragiles, herbes folles vouées aux aléas du temps et de l’expérience qui rencontrent et bousculent son embarcation, vibre face à « la falaise », immuable…
La folle avoine est jeune au milieu des objets rouillés
Que de doigts que de savoirs sur ces surfaces rugueusesL’air à odeur de chêne et de buis remue les enseignes historiques,
les légendes religieuses et que du fond du canyon monte le chant
d’un rossignol, la falaise d’en face guette et l’on n’aperçoit qu’un
front hirsute, captivé par tant de beauté et d’insolite équilibre.
L’incursion de présences féériques ou fantasmagoriques au cœur d’un réel observé avec patience et bienveillance, accroît notre ressenti d’un univers insolite et familier qu’il nous suffirait de regarder et d’écouter pour en saisir la profondeur. « Dans la forêt de Leyme / lutins et farfadets / ont des robes rousses et dansent avec les rayons du soleil » ; « La brume emplit la vallée et colle ses fantasmagories aux falaises. » ; « un courant d’air passe simple respiration de la rivière tout en bas, à moins que ce ne soit un revenant ». La bienveillance du poète le situe dans l’interligne solidaire des autres êtres et choses circulant dans le décor, effaçant son individualité pour se fondre dans un partage exprimé à fleur des mots d’un même espace, d’un même instant, d’une même allure dans la partition du monde. Si bien que les individualités s’interfèrent, s’enrichissent mutuellement, se tiennent debout vigilantes les unes envers les autres.
Nous passons dans un même poème parfois d’une individualité à l’autre par la soudure de simples pronoms personnels sans renommer davantage l’existence qu’ils désignent, comme si nous étions simultanément dans le regard du poète, en symbiose avec ses visions, dans le partage d’une même célébration synchrone ; comme si nous étions nous-mêmes avec lui ces existences remis au jour par le poème
Les roses trémières montent la garde dans les ruelles
intimes du village de pierre. Droites, immobiles, elles se
frottent contre les murs et au pas des portes tout en
surveillant les habitants leurs amis. Elles se hissent à la
fenêtre pour connaître les petits secrets. Passe un chat
blanc et noir enfermé dans son rêve de souris, passe une
fillette aux joues claires et un papillon du matin. On les
caresse du regard mais l’on ne sait rien d’elles et nul ne sait
si elles font alliance avec le regain.
Le poète nous invite au voyage immobile d’un merveilleux quotidien, l’aventure est au rendez-vous au bout de la rue, au bout du poème (« On ajoute des mots aux phrases non dites et l’on crée l’aventure malgré la transparence. On dit du mal d’elle malgré les caresses, les attirances, et l’on hume au-delà l’odeur des sèves réelles »). Ainsi se parlent (toujours) le ciel et la terre1Ainsi se parlent le ciel et la terre, Michel Cosem, éditions L’Harmattan ; préface de Jean Joubert ; 2013 dans l’œuvre de l’éditeur-conteur-anthologiste-romancier-poète Michel Cosem, l’univers tenu en son intégralité par chacun de ses brins d’herbe, chaque parcelle vivante. Le poème touche ses cordes sensibles par la grâce et la puissance de ses figures (comparaisons, images, personnifications, métonymies, tournures elliptiques, …) dans ce remarquable opus publié aux éditions Encres Vives, dans la collection Lieu (350e lieu : Le Lot) La folle avoine et la falaise, et si une âme-animale peut modifier le cours du monde (« un chevreuil est sorti de la forêt boire aux premières gouttes et a remis le monde à sa place »), d’une manière analogue nous voyons l’univers autrement par le pouvoir efficient de la parole poétique.
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Notes