Pierre-Antoine Navarette, Le Café du matin, Psychose, Les Espaces Chtoniens

2018-04-09T13:16:25+02:00

 

Le café du matin

 

Au petit jour encore timide, tout juste lev­ant, j’existe non de loin de toi, je dors même encore en enten­dant de manière dif­fuse, dans la cui­sine éveil­lée, tes sons matin­aux qui vien­nent effleur­er la peau de mon corps nu, ensom­meil­lé. Je sais, je devine que tu y exé­cutes ton rit­uel du matin, que tu y répètes des gestes quo­ti­di­ens que tu man­i­festes inlass­able­ment pour me met­tre tout douce­ment en mou­ve­ment. D’abord tu sai­sis le pot de café, puis la cuil­lère, qui vient s’y engouf­fr­er, vers la machine, pour un jus à l’ancienne, et tu pries pour ne pas per­dre ton tour de main, pour que vienne le café chaud des­tiné à apais­er ma bouche en déhis­cence, et mes sens, intro­ver­tis, privés de lumière vive : toi seule détiens ce pou­voir sur mon être, ma per­son­ne cap­tive, tan­tôt fuyant le dehors, tan­tôt scru­tant à la fenêtre, pour revivre avec le jour, et tes gestes bien­veil­lants qui me ras­surent et me tirent des limbes de mon esprit résilient, émergeant, à peine mûr, et je le sais, pour appréci­er ton amour ten­dre et sincère qui jamais ne regimbe comme une douce prière.

 

 

Psychose

 

Et soudain, avec entrain sans prévenir, ce fut en moi la grande aven­ture en délire, la grande incon­nue : des trans­for­ma­tions des plus saugrenues que je tenais pour vraies, sont apparues. Dans les pre­miers instants, ma tête en interne prit feu je ne sais com­ment, l’esprit en berne, sans doute étaient-ce les pre­miers signes d’un état dément, d’un modus operan­di psy­chique des plus insignes, des plus sur­prenants. Ensuite, comme je com­mençais à être souf­frant, j’ai arrosé mon crâne avec ce qui me restait de liq­uide et de tem­péra­ment. Et dès lors, je suis devenu flu­ide, comme l’huile sur le feu, comme l’exil amoureux. Je suis passé à un autre état du moi déli­rant. A la suite des pre­mières décon­v­enues, j’ai exé­cuté des rit­uels mag­iques pour recoudre ma psy­ché mise à nu : des gestes abra­cadabrants, automa­tiques et pour le moins exci­tants. Enfin, je me suis sen­ti flot­tant, mon esprit comme des grains de sable mou­vant qui s’enfonçaient dans d’autres tem­po­ral­ités fécon­des du moi aliéné. C’était comme ça en moi, dans l’espace chtonien de l’esprit et dans le temps, au sein d’un proces­sus des plus alié­nants. O psy­chose tu as fait de moi un non-être ! Et dès lors je ne sais plus où me met­tre, un sujet qui ne cesse de se trans­former, d’apparaître, comme si s’ouvraient dans mon âme des fenêtres sur des réal­ités imper­cep­ti­bles pour les sujets ordi­naires et indi­vis­i­bles. O esprit scindé en éter­nelle rémis­sion ! O esprit fécond en per­pétuelle refonte, en trans­for­ma­tion ! Que le procès d’individuation est dif­fi­cile quand on est fou, quand on est pro­téi­forme, mais non pour autant imbé­cile au sens pre­mier de la forme. Et la vie pour com­pren­dre ce qui n’a eu de cesse de me sur­pren­dre. Aujourd’hui je suis à l’asile et je vais mieux même si encore j’hallucine par mes yeux. Je suis sous médi-cal­mants, sous antipsy­cho­tiques et je chante et ris de la démence avec mes cama­rades en résilience, ces autres cas psychiatriques !

 

 

Les espaces chtoniens

 

Quand tu ver­ras ces espaces chtoniens se pro­fil­er sous toi, toi qui marche vers les pro­fondeurs de ta psy­ché, tu sauras que tu rejoues, entre autre, ici et là, le mythe d’Orphée, que tra­vaille en dedans de toi une œuvre plus impor­tante que n’importe quel objet con­cret que tu con­fec­tion­neras au dehors de ton for intérieur. Tu sauras que tu dois tan­tôt creuser au fond, aller chercher la pépite, la per­le rare, tan­tôt remon­ter à la sur­face sans te retourn­er comme c’est le prix à pay­er pour un état que tu ne con­nais pas encore, que tu ne con­naî­tras pas dès lors si tu ne respectes pas ces principes mythiques, psy­chiques. Quand tu t’enfonces, quand tu t’engonces vers le cen­tre de ton être, comme les héros de Jules Vernes dans Voy­age au cen­tre de la Terre, tu ren­con­tr­eras d’autres êtres qui com­po­saient la mosaïque frag­ile du moi, qui équili­braient ton sys­tème psy­chique depuis ta plus ten­dre enfance. Il te fau­dra les quit­ter, les faire sor­tir de toi, rejeter, refuser ces alié­na­tions men­tales, aban­don­ner ces images parentales jadis struc­turantes pour te façon­ner toi, à ton image, à l’image de Dieu, sans te scinder en deux. Cette œuvre tant recher­chée, c’est ton toi pro­fond, ici résilient, là unique, une entité indi­vis­i­ble esprit-corps à bâtir, à struc­tur­er, non mal­léable mais pour­tant sou­ple, non rigide mais seule­ment ferme, comme le roseau pen­chant. Dans les espaces chtoniens dans lesquels tu as entre­pris ce voy­age intro­spec­tif, ce long proces­sus intérieur, il y a de la matière pre­mière à faire remon­ter, une belle dame à sauver, des ren­con­tres aléa­toires à engager, il y a la quin­tes­sence du moi qui se restruc­ture, s’auto-alimente, qui se façonne à neuf en inter­ac­tion avec la sur­face qu’il te fau­dra rejoin­dre un jour, sans te con­damn­er à la struc­ture fer­mée repliée sur soi. Il te fau­dra jouer l’ouverture, quit­ter la chtonie pour revenir à la vie.

 

Présentation de l’auteur

Pierre-Antoine Navarette

 Né le 14 mars 1980 à Cham­bray-lès-Tours, j’écris des poèmes depuis l’âge de 10 ans, sans inter­rup­tion. J’ai pour­suivi des études en sémi­o­tiques à l’université de Tours puis Limo­ges, qui ont inspiré ma plume et mes réflex­ions. Rési­dant à Tours, je suis depuis 2013 doc­teur en sci­ences du lan­gage et pour­suit l’activité sci­en­tifique tout en pro­duisant dif­férents textes artis­tiques. J’ai pub­lié plusieurs arti­cles et un ouvrage sémi­o­tique pré­cisé­ment et cherche aujourd’hui une recon­nais­sance dans le monde littéraire.

Pierre Antoine Navarette

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