Nicolas Dutent, A une serveuse…

2018-04-08T13:40:48+02:00

 

A UNE SERVEUSE

 

La serveuse va et vient 
Par­mi les tables, flottante
Comme un rêve accoudé au passé
Ô Terre instable !

D’un pas feu­tré elle chas­se le sol
Et les pen­sées affa­bles d’un flâneur
Qui guette son envol à toutes les fenêtres

Dans ce joyeux désor­dre en moi
Je cherche un signe à tra­vers un creux
Que le cours du silence est sinueux !
Le poète entrevoit pour­tant en se penchant
La courbe d’un sourire brodé dans les décombres

Des voix famil­ières la suivent
Des mots bor­dent un bout de nappe
On refait insen­si­ble­ment le monde
Avec des traces et un rien d’ombre

Son corps leste retient le jour
A demeure, c’est un chant 
Qu’on étreint aus­sitôt qu’il s’éteint
Tout finit en pli dans ma mémoire

La lune, déjà, luit à demi, fissurant
Les moires de cette nuit de miel
Elle campe, acci­den­telle, sous le ciel de Lisbonne

Pareil à l’éclair dans l’éther monotone
Son scin­tille­ment minus­cule et intermittent
Agrandit la chair de la ville

Je la regarde déam­buler sereine
Dans la pièce obscure, mer calme
Entre ces murs agités qui clament 
Un peu trop fort la vie

Elle avance, sans parures ni attaches
Et brûle ses années sous cette besogne 
Sa jeunesse se divise dans un bruit blanc 

Les sou­venirs s’émiettent en reflets changeants 
Je ramasse ici et là quelques éclats gonflés
Par le bour­don­nement invari­able de l’été
Pour for­mer un mur­mure dans la marée du temps

La beauté fait ain­si d’étranges détours
Sa course vaine vers l’abîme est aus­si désolée
Qu’un bais­er de cen­dres sur le front des défunts

Le désir se lève tou­jours à midi et sa poussée 
Nou­velle indique chaque fois une anci­enne adresse 

Les dieux ne délivrent plus d’oracles 
Nous habitons au bord d’un incendie
Et hâtons ce mir­a­cle que le touch­er seul reconduit

Si le hasard s’attable enfin, sem­blable à la caresse 
Qui sur une peau soudain s’attarde

Dans ces yeux clairs passe une faible lueur
La pointe d’un ailleurs affleure 
Si près, mais encore inaccessible

SUPPLIQUE POUR ETRE ENTERRE A LA VIELLE CHARITE

 

Enter­rez-moi ici
Ce théâtre de silence est fait pour moi
Dans cet asile hier peu aimable 
Aujour­d’hui si frais et charmant 
Mélangez mes cen­dres à la terre 
De l’o­livi­er le plus charitable
La pous­sière et l’ar­bre se reconnaîtront 
Ils grandiront ensem­ble, le vent les éduquera
Près de l’hos­pice, on priera la lumière et l’ombre 
La vieille Char­ité veillera ain­si sur un jeune mort
Avec la brise et le soleil pour tout témoins 
Seul un ray­on feint par­fois de fêler le décor
Per­son­ne n’ose trou­bler la quiétude 
Qu’on dirait éter­nelle des lieux
La Méditer­ranée même épuise son chant 
Au seuil de la cour, on recon­naît à peine
Mon­tant des murs et murmurant
La corne de brume qui rythme 
Les allées et venues du port 
Les rares fig­u­rants compteront leurs pas 
Par­mi les pau­vres, indif­férentes au cadencement
Des heures et des hommes
Les pier­res logeront un fan­tôme de plus 
Venu mendi­er du sel et un sol

Présentation de l’auteur

Nicolas Dutent

Nico­las Dutent est jour­nal­iste à L’Humanité et à France Cul­ture, cri­tique, com­pagnon des Let­tres français­es, des poètes, des philosophes, des caus­es per­dues. Il s’est spé­cial­isé dans plusieurs domaines : sci­ences humaines, lit­téra­ture, pho­togra­phie, reli­gion. Il est co-auteur, avec Jean-Luc Nan­cy, de Mar­quage Man­quant et autres dires de la peau paru cette année aux édi­tions Les Venterniers. 

 

Nicolas Dutent
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