Chronique du veilleur (6) – Alain Suied, Sur le seuil invisible

Par |2018-01-06T18:41:53+01:00 22 mars 2013|Catégories : Alain Suied, Chroniques|Mots-clés : |

  Alain Suied nous a quit­tés en juil­let 2008, à l’âge de 57 ans. Son œuvre de poète, d’essayiste, de tra­duc­teur est d’une très grande force, son par­cours com­mencé dès l’adolescence par une pub­li­ca­tion dans L’Ephémère a une orig­i­nal­ité au moins aus­si remar­quable que ce dernier livre, Sur le seuil invis­i­ble, paru comme les précé­dents aux édi­tions Arfuyen. Se sachant con­damné par la mal­adie, Alain Suied a écrit les poèmes de ce livre au fil des jours de sa dernière année et les a fait con­naître au fur et à mesure sur un blog jusqu’au 16 juil­let 2008, huit jours avant sa disparition.

   Toutes les grandes inspi­ra­tions d’Alain Suied se retrou­vent là, dans cette lumière par­ti­c­ulière de la soli­tude d’avant la mort : d’abord celle de la nais­sance (le poète avait beau­coup étudié la psy­ch­analyse), sou­vent liée au thème de la douleur et du désir, mais aus­si à la parole :

La parole viendra.
Pure ? Non, dans les sangs
et les souf­fles de la naissance.

Sur le seuil invisible, Alain Suied, Arfuyen, 2013

Sur le seuil invis­i­ble, Alain Suied, Arfuyen, 2013

La parole du poème dévoile « l’évidence du mys­tère », c’est ce prodi­ge que le poète n’aura cessé de dire et d’explorer.

A chaque instant
la parole nous éveille
à la secrète Présence.

Pour que nous puis­sions l’approcher, il nous faut sor­tir de l’étau qua­si total­i­taire de la « moder­nité », de cette moder­nité qui « veut détru­ire l’Allégorie, comme elle nia le rêve et la vérité « Génési­aques ». Alain Suied, qui savait ce que c’est que se bat­tre quo­ti­di­en­nement pour gag­n­er sa vie, nous con­fie qu’il écrit le soir, après une dure journée de tra­vail, « à la dérobée », la seule façon de « devenir humain ». Sous la froideur des tech­niques et des règles, le poète retrou­ve la chaleur du sang :

Masques ! Sous vos armatures
de froid métal, le visage
le pur vis­age saigne.

Cette chaleur, il veut la com­mu­ni­quer aux autres, car la poésie est d’abord pour lui « écoute et partage ». Il le fait avec une énergie, une con­vic­tion qui empor­tent et enflam­ment. Mal­gré toutes les épreuves, il garde l’espérance pour l’humanité en marche et en lutte.

Il ne faut pas crain­dre les gouffres.
Il faut craindre
notre hési­ta­tion à les affronter.
Le Poème lutte.
Il sait que toute ténèbre
porte une clarté nouvelle.

  Dans une adresse aux jeunes poètes en décem­bre 2007, il les appelle à se défaire de ces alié­na­tions froides dans lesquelles la société nou­velle les empris­onne : la poésie a sans doute cette mis­sion de vérité à rem­plir, peut-être son ultime mis­sion, « face aux machiner­ies du Social, aux cru­autés répéti­tives de l’Économie, aux manip­u­la­tions des pro­pa­gan­des, aux risques plané­taires de vac­ille­ment glob­al vers la violence. »

Alain Suied a ain­si témoigné haute­ment de son engage­ment d’homme et de poète, fer­vent mis­sion­naire de la poésie, le regard pur tourné tou­jours vers l’horizon de l’avenir.

Le vent ne sait pas
qu’il porte les graines

d’une autre mémoire.

 

Le ciel ne sait pas
qu’il trans­porte les rêves

d’un autre oubli

 

La chair ne sait pas
qu’elle emporte tout le passé

dans un seul avenir.

Chronique du veilleur

Retrou­vez l’ensem­ble de la Chronique du veilleur, com­mencée en 2012 par Gérard Bocholier

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Gérard Bocholier

Gérard Bocholi­er est né le 8 sep­tem­bre 1947 à Cler­mont-Fer­rand (France). Il a fait ses études sec­ondaires et supérieures dans cette ville, y a ensuite enseigné la lit­téra­ture française et les let­tres clas­siques en classe de let­tres supérieures. Orig­i­naire d’une famille de vignerons de la plaine de Limagne, il est franc-com­tois par sa famille mater­nelle, à la fron­tière du pays de Vaud en Suisse. Il a passé son enfance et sa jeunesse dans le vil­lage pater­nel de Mon­ton, au sud de Cler­mont-Fer­rand, que les poèmes en prose du Vil­lage et les ombresévo­quent avec ses habi­tants. La lec­ture de Pierre Reverdy, à qui il con­sacre un essai en 1984, Pierre Reverdy lephare obscur,déter­mine en grande par­tie sa voca­tion de poète. En 1971, Mar­cel Arland, directeur de la NRF, lui remet à Paris le prix Paul Valéry, réservé à un jeune poète étu­di­ant.  Son pre­mier grand livre, L’Ordre du silence, est pub­lié en 1975.  En 1976, il par­ticipe à la fon­da­tion de la revue de poésieArpa, avec d’autres poètes auvergnats et bour­bon­nais, dont Pierre Delisle, qui fut un de ses plus proches amis. D’autres ren­con­tres éclairent sa route : celle de Jean Gros­jean à la NRF, puis celle de Jacques Réda, qui lui con­fie une chronique régulière de poésie dans les pages de la célèbre revue à par­tir des années 90, mais aus­si l’amitié affectueuse du poète de Suisse romande, Anne Per­ri­er, dont il pré­face les œuvres com­plètes en 1996. Son activ­ité de cri­tique de poésie ne cesse de se dévelop­per au fil des années, il col­la­bore  au fil des années à de nom­breuses revues, notam­ment à la Revue de Belles Let­tresde Genève, au Nou­veau Recueil, et surtout à Arpa,dont il assure la direc­tion dès 1984. Il donne actuelle­ment des poèmes à Thau­ma,Nunc,Le Jour­naldes poètes. Cer­tains de ses arti­cles sont réu­nis dans le vol­ume Les ombrages fab­uleux,en 2003. A par­tir de 2009, un an avant sa retraite, il se con­sacre prin­ci­pale­ment à l’écriture de psaumes, pub­liés par Ad Solem. Le pre­mier vol­ume est pré­facé par Jean-Pierre Lemaire, son ami proche. Le deux­ième s’ouvre sur un envoi de Philippe Jac­cot­tet. Son essai Le poème exer­ci­ce spir­ituelexplique et illus­tre cette démarche. Il prend la respon­s­abil­ité d’une rubrique de poésie dans l’hebdomadaire La Vieet tient une chronique de lec­tures, « Chronique du veilleur »,  à par­tir de 2012 sur le site inter­net :Recours aupoème. De nom­breux prix lui ont été attribués : Voron­ca (1978), Louis Guil­laume (1987), le Grand Prix de poésie pour la jeunesse en 1991, le prix Paul Ver­laine  de la Mai­son de poésie en 1994, le prix Louise Labé en 2011. L’Académie Française lui a décerné le prix François Cop­pée pourPsaumes de l’espérance en 2013. Son jour­nal intime, Les nuages de l’âme, paraît en 2016, regroupant des frag­ments des années 1996 à 2016. Par­mi ses pub­li­ca­tions poé­tiques récentes : Abîmes cachés(2010) ; Psaumes du bel amour(2010) ; Belles saisons obscures(2012) ; Psaumes de l’espérance(2012) ; Le Vil­lageemporté (2013) ; Pas­sant (2014) ; Les Etreintes invis­i­bles (2016) ; Nuits (2016) ; Tisons(2018) ; Un chardon de bleu pur(2018) ; Depuis tou­jours le chant(2019) A paraître : Ain­si par­lait Georges Bernanos(Arfuyen) ; Psaumes de la Foi vive (Ad Solem) ; J’appelle depuis l’enfance (La Coopéra­tive). En 2019 parais­sent Ain­si par­lait G.Bernanos, Psaumes de la foi vive, Depuis tou­jours le chant ; en 2020 J’ap­pelle depuis l’en­fance (La Coopéra­tive) et Une brûlante usure (Le Silence qui roule), Vers le Vis­age (Le Silence qui roule, 2023) et Cette allée qui s’ef­face (Arfuyen, 2024)

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