Qu’on me pardonne, parmi beaucoup de poètes, le poète belge Claude Raucy m’était jusqu’à présent inconnu. Voici comblée une lacune, avec le petit recueil de cet authentique poète, à l’expression élégante, d’un sentiment subtil, à la fois délicat et profond. Cette plaquette est un long thrène, une déploration sans apesantissement superflu dans l’émotion, sur la disparition (semble-t-il) d’un frère. Tout le livre a pour fil conducteur le rêve que Jean de La Ville de Mirmont formulait en disant : « J’ai de grands départs inassouvis en moi » ; cet imaginaire des « vaisseaux qu’on a aimés en pure perte », partis sans nous.
Claude Raucy, Sans équipage, Dessins de Jean Morette, editions Bleu d’encre.
C’est l’occasion pour le poète de nous faire revivre par petites touches sensibles les moments de complicité avec ce frère défunt, les aventures « corsaires » de l’enfance, les « cartes et estampes » des greniers baudelairiens. Chaque vers est d’un ton juste, économe, qui parle des rêves de longs périples mais aussi, plus tard de la réalité de brefs voyages dans les pays voisins. Ce mince recueil de regrets est touchant, et parmi les derniers poèmes qui évoquent la personnalité de ce frère – aîné sans doute -, témoignant des rapports admiratifs de son cadet avec lui, je veux finir la présente petite note par celui-ci, sous-tendu par la métaphore du cercueil livré à la tempête qui emporte vers l’ailleurs :
tu aurais peur disais-tu
aurais-tu peur
seul avec moi dans les bourrasques
sur quelques planches de chêne rustre
aurais-tu peurje n’entendrai plus ta grosse voix d’océan
la marée fait l’indifférente
comment veux-tu que je rame
sans toiune femme myope
fait la sainte collecte
pour des orphelins
Dans son émouvant rôle de consolation-interrogation sur la vie, par le souvenir d’un être cher, un individu « particulier » réussit à exprimer grâce à la poésie une émotion où n’importe quel être humain « en général », se reconnaîtra. Claude Rancy dans son modeste livre se montre très poète, et cela méritait d’être souligné.
- La poésie à vivre – Édition de jean-Pierre Siméon - 21 juin 2023
- Jean-Pierre Siméon, La flaque qui brille au retrait de la mer, suivi de Matière à réflexion - 21 mai 2023
- Paul Mathieu, D’abord un peu de jour - 5 février 2023
- Olivier Barbarant, Séculaires, Poèmes - 21 octobre 2022
- Zéno Bianu, L’Éloge du Bleu - 6 novembre 2020
- Paul Valet, La parole qui me porte et autres - 19 septembre 2020
- Luis De GÓNGORA, Fable de Polyphème et Galatée - 6 juillet 2019
- Marilyne BERTONCINI, Mémoire vive des replis, Sable - 4 juin 2019
- Aragon, La Grande Gaieté, suivi de Tout ne finit pas par des chansons, Michel Dunand, Au fil du labyrinthe ensoleillé - 4 juin 2019
- Joël Bastard, Entre deux livres, François Cheng, Enfin le royaume, quatrains, Jacques Ancet, Image et récit de l’arbre et des saisons - 3 mars 2019
- Adonis : Lexique amoureux - 5 décembre 2018
- Joël Bastard, Des lézards, des liqueurs - 3 décembre 2018
- “Alcools”, et les “Lettres à Guillaume” - 5 novembre 2018
- Éric CHASSEFIÈRE, Échos du vent à ma fenêtre - 5 novembre 2018
- Claude Raucy, Sans équipage - 4 septembre 2018
- Vénus Khoury-Gata – Gens de l’eau - 3 juin 2018
- Gwen Garnier-Duguy – Alphabétique d’aujourd’hui - 3 juin 2018
- Les cahiers de PAUL VALÉRY - 6 avril 2018
- Jean-Pierre Siméon, Lettre à la femme aimée au sujet de la mort et autres poèmes - 26 janvier 2018
- NIMROD, J’aurais un royaume en bois flotté - 19 octobre 2017
- Fil de lecture autour de Patrick CARRÉ et Zéno BIANU, Patricia CASTEX-MENIER - 2 septembre 2017
- Arthur RIMBAUD Paul VERLAINE, Un concert d’enfers - 20 mai 2017
- Jacques Ancet, Les livres et la vie - 4 octobre 2015
- Pour Joë Bousquet (suite 1 ) - 1 février 2015
- Odysseas Elytis - 19 novembre 2013
- J. Ancet, Ode au recommencement - 2 juin 2013