PRÉFACE
Pour en finir une fois pour toutes avec soi-même, (mais n’est-ce pas impossible ?) rien de tel que de se mettre en prison. Toutes les peurs, toutes les sueurs nous assaillent. Des corps se dressent, détenus d’un moment, et meurent d’abandon ; des rêves asphyxiés reprennent souffle ; la passion nous encercle mieux que les murs. Tout le reste s’inscrit en graffiti plus ou moins conscients, tracés d’une main ENNEMIE.
À force de tourner autour de soi, on finit par se perdre. Restent les regards au dehors, qui se veulent fraternels, vers les autres, la vie qui décline si vite, comme le jour à son second versant.
La poésie est qu’un moyen de se perfectionner soi- même, en projetant vers l’avenir tout ce que le passé ne nous a pas permis d’appréhender.
Si la mort demeure inacceptable, c’est que tout désespoir n’est pas perdu et qu’en tout cas l’écriture, comme le rêve, est une seconde vie.
∗∗∗∗∗∗
L’ÉTOILE
Chaque jour meurt en moi l’étoile
Qui reprend vie avec la nuit
Je traverse les jours les mois
Avec cette clarté blessée
Et personne ne la voit.
Elle porte les espérances
De la lumière incorruptible
Brûlante étoile au frais de l’ombre
O lourde lampe de mes rêves
Dans la demeure de la mort.
BEAU MARBRE
Statue coulée dans le désir sans forme
Que mes mains ont rendue vivante
J’ai parcouru tes horizons polis
Tes frontières de marbre veiné de sang noir
J’ai réveillé tes lèvres d’une faim dormante
Tes yeux ont battu devant les merveilles
Ma bouche a couru sut tes ruisseaux d’ombre
J’ai bu ta vie à la source délivrée
J’ai fait couler en toi la rivière profonde
Et me suis couché sur tes eaux
Nos mains se sont rejointes affluents de la nuit
Nous avons roulé loin vers la mer
Et tu t’es brisé dans mes bras
Mon marbre en morceaux de beauté.
*
Ton corps a trop de plages nues
Pour y laisser du sable sec
Le reflux des vagues lamente
Sur le rivage illuminé
Le soleil que j’y déposai
Le sel sur ma mangue assoiffée
Brûle mon désir de te boire
Tu allonges toutes tes dunes
Sous les caresses qui te brisent
Toute la nuit je chercherai
Dans ta toison d’ombre fleurie
La perle où jaillira l’aurore.
*
Je pense à ce corps ainsi qu’à une fête de l’âme
Sorti des remous de la mer comme un désir vivant
Sorti des vagues de l’amour comme une meurtrissure
Bain d’écume offrant au soleil son insolence
Offrant aux regards le pouvoir de la torture
Je pense à ce corps ainsi qu’à un emblème
Ruisselant des onguents de la lumière
Couvert des crachats de la lune
Superbe de se voir érigé en statue de silence
Enlacé par le lien des soupirs
Cloué au poteau du vertige
Les veines vidées du plomb subtil.
Quand le temps sera revenu
Je poserai les mains sur toi
Tu vivras ailleurs qu’aux rivages
Oubliés des minces mémoires
Et tu me donneras la force de ton sang.
LA MORT PROMISE
Quand je n’aurai plus rien à donner
Quand je serai pauvre de mes refus
de mes erreurs de l’oubli de la vie
Quand toutes mes peaux seront tombées
lambeaux de mes incertitudes
Je serai nu devant la mort promise
enfant de mes découvertes
héritier de mes silences
fils d’une autre éternité
Quand tout sera dit à jamais
Gardez-moi un coin de terre
Pour y déposer mon secret
Lourd comme le poids du monde.
Mon nom sera perdu mon nom
Telle une pièce de monnaie
Qui a traversé tous les siècles
Et qui ne vaut plus rien
Comme un caillou qui a roulé
Du haut des collines fières
Et rebondit au désert
Dans les champs du labour futur
La graine ne poussera plus
Plus de fleur à sentir de visage à aimer
De nom à prononcer Mon nom
Plus d’écho de nos voix dans les vallons du rire
Plus de nos ricochets sur l’eau morte du temps
Mes Pères j’ai trahi votre belle espérance
Je me retrouve seul ancre rouillée au port
Je serai le dernier d’une chaîne qui lie
Vos espoirs mon destin votre vie et ma mort.
*
Depuis longtemps plus rien n’existe
Je vis une vie enfouie
Enterrées sous le sable d’hiver
Sous les pelletées quotidiennes de l’amour
Du mensonge monotone
Où sont donc les éclats du rire en rut
Les berceuses de l’attente
Les plaisirs de l’improbable
Maintenant plus rien n’existe
À peine un instant de repos
Et il faut repartir
Vers quel mur en faillite
Ou quelle porte sur le vide.
Ouvrir les mains
Pour que renaissent les sources.
*
Quand tu rentres le soir seul
Après une journée lourde de paroles
D’actes plus ou moins avortés
Avec ta solitude en bandoulière
Les yeux vides de ne rien voir de plus près
que ton chemin solitaire
Pousse la porte et regarde la chambre déserte
(Aucune lampe ne brûle pour consumer ta soif
Pour te dire que la lumière existe
Pas de musique pour t’entendre
Ni de poème où lire ta vie
Pas de rose où la femme geint
De glaïeul où s’érige l’homme)
Tu es seul et tu parles quand même
À quelqu’un qui n’existe pas
qui ne répondra jamaisqui se tait sur ta lâcheté ta paresse
ton besoin d’être seul et d’attendre malgré tout
une réponse à des questions que tu n’as pas posées
Est-ce Dieu dis-moi est-ce Dieu qui parle
et pourtant n’existe pas
Est-ce une prière à la plus haute Solitude
qui soit
Tu as puni tes frères de ne pas te ressembler
de ne pas être toi-même une fois encore
Et mille fois encore d’être tes frères
Rien n’a été créé pour toi
Rien ne te renvoie plus au pouvoir
De dire : Solitude à quelqu’un qui aime
Et est aimé
Rien ne te lie à la chaîne des solitaires
Tout est brisé entre tous
Tout est séparation infinie éternelle
Tout est absence infinie éternelle
Ce qui grandit en ton corps diminué
C’est une mort fatale et solitaire.
VOIX FRATERNELLE
Je voudrais être une voix fraternelle
Que tout chante par cette voix
Mais les mots dévorent ma bouche
Le sang de la colère rougit sans moi
Les larmes gèlent sans moi
sur la joue de marbre des mères
Il se fait quelque chose quelque part
où je ne suis pas
Les arbres grandissent sans moi
gardien vigilant de la ville
La pluie fait ses confidences
mais je ne les entends pas
Tout coule flux perpétuel
et retourne à la source première
Et je reste sur la rive
à regarder dans l’eau qui dort
l’image de ma défaite
La terreur brûle sans moi
La mort a peut-être ma voix
mais logée dans une caverne
où personne n’entrera.
Poèmes extraits de Donjon de soi-même (1985). © Librairie-Galerie Racine.
APPORTE-MOI UNE PLUME ET DE L’ENCRE
Apporte-moi une plume et de l’encre
que j’écrive l’histoire de notre rencontre.
Elle sera brève, Ô Khalîl,
(je suis à genoux aux pieds de l’orage)
brève comme l’éclair et la foudre
mais lente à couler comme l’huile labile
de la lampe, goutte à goutte,
car la lampe dans les ténèbres jamais
ne s’éteindra.
Elle éclaire un pan de muraille, une ruelle,
la nuit s’entrouvre et te laisse passer.
Quand le jour te ramène sur ses crètes
le flot de l’équinoxe te porte à moi.
Ô nuits égales aux jours,
Silence pareil au mouvement des mots,
Regard qui brûle le soleil lui-même,
Sourire qui se fait soleil…
Enlevez-moi cette plume et cette encre,
Je ne veux plus rien dire,
Car maintenant je suis seul à ma table
Les mains nues
TU AS JOUÉ AVEC MA VIE
Tu as joué avec ma vie
Mais personne ne perd ne gagne,
On ne gagne qu’avec la mort
En y perdant la vie.
Avec la mort on gagne l’oubli
De soi-même et souvent celui
Des autres.
La mémoire
N’est pas fidèle Amie.
J’ai voulu changer ton destin,
Je ne sais si je parviendrai
À faire sourire les roses
Sur ton passage.
À semer
Des bienfaits sous tes pas.
Tu as joué avec mon cœur
Mais tu n’as pas triché,
Les cartes sont bonnes et tu
Les distribues avec bonheur.
Au jeu de l’Ami, de l’honneur,
Continue à jouer encore,
Je ne saurai vraiment si tu m’aimes que
Quand je ne serai plus là pour l’apprendre.
QU’AI-JE À FAIRE D’UNE MAISON
Qu’ai-je à faire d’une maison
Si je n’habite le monde
Qu’ai-je à faire d’un toit
Si j’ai quitté le village
Étranger en moi-même
Exilé hors de tes murs
Qu’ai-je à faire de ces murs
Si je ne peux les abattre
Forcer la porte la serrure
Entre en toi secret violé
Si j’ai perdu la clé des mystères
Si le temple est profané
Si je vois se pencher les roses
Dans le vieux jardin défloré
Qu’ai-je à faire d’une chambre close
D’un lit ouvert d’un corps offert
Qu’ai-je à faire d’un ciel sans lumière
D’une mer qui s’est figée
Dans l’abandon de ses vagues
Dans l’oubli de ses marées
Qu’ai-je à faire de ce monde
Si je n’ai plus de maison
Sinon voyager dans ton rêve
Quand ton sommeil habite ma prison.
Poèmes extraits de Khalîl (1995). © éditions Librairie-Galerie Racine.
L’odeur de tes cheveux sur l’oreiller meurtri
Le poids de ton sommeil dans les draps qui respirent
Ta présence en éclats de beauté
Miroitant aux murs éblouis
La porte qui se referme est une douleur
Ton sourire qui s’éteint est une douleur
Mais toi parti ma solitude est grande
Tu es le géant qui l’habite.
*
Dire ton nom
comme un aveu fait à l’ombre
ne m’apaise pas
Crier ton nom à l’air à ceux qui
ne peuvent l’entendre
déchire ma raison
Écrire ton nom c’est le mien
qui s’efface
dans la mémoire d’un autre
Je peux seulement me chauffer à ton nom
ton nom est ma lumière
fruit de l’arbre du soleil.
*
Toujours l’attente
comme une scie
qui violente à coups répétés
le tronc abattu
comme une hache qui fend la bûche
atteint le cœur du bois tendre
Et saigne la forêt tout entière
Et se lamente
dans l’abri de l’ombre
l’infirme lueur vacillante
Puis le temps refleurit
violette étoilée
*
Vois : la terre s’ouvre
Fouillée de nos flancs
Allège tes gestes Déploie
tes membres de marbre noir
Deviens bouche de brasier
fusant de ses feux farouches
Quand ne souffle
un vent de fournaise
Ravive les flammes enfouies
Et bâtis de tes bras
un château d’incendie
Écartèle mon désir
Puis affûte ton couteau
Tranche ma langue
Fais saigner nos cris
Tranche ma vie
*
La mort ne dure pas
c’est un bref instant
comme le plaisir
La volupté est longue longue
comme la vie
mais le plaisir est bref
Et je me retrouve dans
des bras innocents
coupable d’amour
Mais ma jouissance s’attriste
de n’être que cette courte lueur
cette flamme de bougie
qu’on souffle vite
Et la mort dans la nuit
est longue longue et je ne perçois plus
— lumière consumée – plus rien
rien que le corps enseveli de l’ombre.
Poèmes extraits de Fenêtre aveugle (19 96). © éditions Librairie-Galerie Racine.
APPORTE-MOI UNE PLUME ET DE L’ENCRE
Apporte-moi une plume et de l’encre
que j’écrive l’histoire de notre rencontre.
Elle sera brève, Ô Khalîl,
(je suis à genoux aux pieds de l’orage)
brève comme l’éclair et la foudre,
mais lente à couler comme l’huile labile
de la lampe, goutte à goutte,
car la lampe dans les ténèbres jamais
ne s’éteindra.
Elle éclaire un pan de muraille, une ruelle,
la nuit s’entrouvre et te laisse passer.
Quand le jour te ramène sur ses crètes
le flot de l’équinoxe te porte à moi.
Ô nuits égales aux jours,
Silence pareil au mouvement des mots,
Regard qui brûle le soleil lui-même,
Sourire qui se fait soleil…
Enlevez-moi cette plume et cette encre,
Je ne veux plus rien dire,
Car maintenant je suis seul à ma table
Les mains nues
TU AS JOUÉ AVEC MA VIE
Tu as joué avec ma vie
Mais personne ne perd ne gagne,
On ne gagne qu’avec la mort
En y perdant la vie.
Avec la mort on gagne l’oubli
De soi-même et souvent celui
Des autres. La mémoire
N’est pas fidèle Amie.
J’ai voulu changer ton destin,
Je ne sais si je parviendrai
À faire sourire les roses
Sur ton passage. À semer
Des bienfaits sous tes pas.
Tu as joué avec mon cœur
Mais tu n’as pas triché,
Les cartes sont bonnes et tu
Les distribues avec bonheur.
Au jeu de l’Ami, de l’honneur,
Continue à jouer encore,
Je ne saurai vraiment si tu m’aimes que
Quand je ne serai plus là pour l’apprendre.
QU’AI-JE À FAIRE D’UNE MAISON
Qu’ai-je à faire d’une maison
Si je n’habite le monde
Qu’ai-je à faire d’un toit
Si j’ai quitté le village
Étranger en moi-même
Exilé hors de tes murs
Qu’ai-je à faire de ces murs
Si je ne peux les abattre
Forcer la porte la serrure
Entre en toi secret violé
Si j’ai perdu la clé des mystères
Si le temple est profané
Si je vois se pencher les roses
Dans le vieux jardin défloré
Qu’ai-je à faire d’une chambre close
D’un lit ouvert d’un corps offert
Qu’ai-je à faire d’un ciel sans lumière
D’une mer qui s’est figée
Dans l’abandon de ses vagues
Dans l’oubli de ses marées
Qu’ai-je à faire de ce monde
Si je n’ai plus de maison
Sinon voyager dans ton rêve
Quand ton sommeil habite ma prison.
Poèmes extraits de Khalîl (1995). © éditions Librairie-Galerie Racine.
L’odeur de tes cheveux sur l’oreiller meurtri
Le poids de ton sommeil dans les draps qui respirent
Ta présence en éclats de beauté
Miroitant aux murs éblouis
La porte qui se referme est une douleur
Ton sourire qui s’éteint est une douleur
Mais toi parti ma solitude est grande
Tu es le géant qui l’habite.
*
Dire ton nom
comme un aveu fait à l’ombre
ne m’apaise pas
Crier ton nom à l’air à ceux qui
ne peuvent l’entendre
déchire ma raison
Écrire ton nom c’est le mien
qui s’efface
dans la mémoire d’un autre
Je peux seulement me chauffer à
ton nom ton nom est ma lumière
fruit de l’arbre du soleil.
*
Toujours l’attente
comme une scie
qui violente à coups répétés
*
le tronc abattu
comme une hache
qui fend la bûche
atteint le cœur du bois tendre
Et saigne la forêt tout entière
Et se lamente
dans l’abri de l’ombre
l’infirme lueur vacillante
Puis le temps refleurit
violette étoilée
*
Vois : la terre s’ouvre
Fouillée de nos flancs
Allège tes gestes
Déploie tes membres de marbre noir
Deviens bouche de brasier
fusant de ses feux farouches
Quand ne souffle un vent de fournaise
Ravive les flammes enfouies
Et bâtis de tes bras
un château d’incendie
Écartèle mon désir
Puis affûte ton couteau
Tranche ma langue
Fais saigner nos cris
Tranche ma vie
*
La mort ne dure pas
c’est un bref instant
comme le plaisir
La volupté est longue longue
comme la vie
mais le plaisir est bref
Et je me retrouve dans
des bras innocents
coupable d’amour
Mais ma jouissance s’attriste
de n’être que cette courte lueur
cette flamme de bougie
qu’on souffle vite
Et la mort dans la nuit
est longue longue et je ne perçois plus
‑lumière consumée – plus rien
rien que le corps enseveli de l’ombre.
Poèmes extraits de Fenêtre aveugle (1996). © éditions Librairie-Galerie Racine.
HAMAC
Île du bel été flottant sur l’eau des herbes
J’oublie en ton berceau les rumeurs du rivage
Ma vie est suspendue à ton balancement
Je sens couler vers moi les rivières de l’air
Je libère tous les oiseaux de ma poitrine -
Mes désirs envolés dans des vagues ailées-
Je remonte le cours des sources délivrées
L’ombre verte survit aux décombres du jour.
SEMENCES DE FEU
Soleil bougie
Lampe miroir
Tout te dénonce
À mon regard
*
Le corps dessiné de l’absence
Dans les draps inhabités
L’âtre éteint – cendres vivantes –
Tu renaîtras de l’attente
*
Jamais plus peut-être
Tes yeux clos
Sur le secret de ton âme
Abandonnée à mes mains
*
Tout est possible
Rien ne m’attache
À l’ombre de ta vie
Sur la mienne
*
J’ai rêvé que tu étais en vie
Ma mort seule
Te déliera de l’énigme
De n’être pas au monde
*
Dans tes bras
Je m’emplis de toi
J’expulse mon amour
Dans l’enclos de ton corps
*
Tête d’ange
Renversée
Le plaisir illumine
Tes yeux éteints
*
Être de l’instant
Tu cherches ton image
Dans les yeux de l’autre
Être de l’instinct
*
La nuit partout
Je te suis où tu vas
Tu es en marche
Dans mon rêve immobile
Poèmes extraits de Travaux d’approche (1999). © Librairie-Galerie Racine.
La ville me cerne mais de si loin
Murs étroits lavés de soleil
Où glissent des ombres stériles
Le sang ne circule plus
Dans les veines de l’arbre
Dimanches bêtes où se promène
La fatigue Enfants en laisse
Cœurs plombés par l’ennui
Broyés par la machine
De si près de si loin s’infiltre un bruit d’ailleurs
Être de l’instant Tu cherches ton image
Dans les yeux de l’autre Être de l’instinct
La nuit partout Je te suis où tu vas
Tu es en marche Dans mon rêve immobile
D’une mer aux vagues fortuites
Je suis une île que le temps oublie
*
Insupportable fatigue d’être soi
Ne plus se comprendre ne plus se surprendre
Je traverse le jour opaque où je me perds
Je demande à la vie ce qu’elle ne peut me donner
Et je refuse ce qu’elle m’offre : don désespéré
Objets précieux cachés sous le linceul de la lumière
Soudain la pluie tombe et je fuis la terrasse
Comme si cette eau ne pouvait baptiser
Un nouvel espoir une reconquête plus facile
De présents éparpillés vainement toutes les prières
Il y aura peut-être d’autres jours, quelques paroles
défrichées
Chaque chose est à sa place et je reste immobile
*
Silence creusé au cœur du patio
Puis posé comme une pierre qui regarde les choses
Sans les voir
Au moindre écho d’un signe qui me parle
Tout s’anime en moi
Même l’immobilité de mon cœur
Arrêté de battre soudain
Ce silence-là ne laisse pas de traces
Sur le mur absorbé
Dans la contemplation réciproque du ciel
Le remuement énorme de la mer
S‘entend au loin pourtant
Telle une autre parole confuse
Un Verbe sacré
Inconnu dans la langue des vivants
CHERGUI
Le vent qui me pousse
Vers toi
Toujours plus avant
Le vent qui violent m’étreint
Comme le front tes bras
Une aurore encore plus ardente
Se lève en moi
Quand se dresse le vent
Rempart contre le ciel d’écume
Je deviens torche vivante
Élément du désir vibrant
J’ai sur les lèvres
Le goût des étoiles sans lumière
Je bruis comme les arbres
Je bouillonne comme la mer
Je deviens le vent lui-même
Qui souffle le feu
Dans les veines de ta vie
Poèmes extraits de La Lumière est dans le noir (2002). © Librairie-Galerie Racine.
Une ombre se profile
derrière l’écran du soleil
Est-ce toi ou moi-même
ou l’Autre ?
Dans l’incandescence du jour
la nuit se repose et blêmit
Si je t’aime
pourrai-je supporter ma mort ?
Le monde se construit dans l’homme que l’on tue.
Christophe Dauphin
Vois le monde
expulse sa rage dans un souffle de mort
Nul oiseau ne répond à l’appel de la paix
les brebis ensanglantées ne paissent plus
Le berger clame au ciel sa prière amputée
aucun sursis pour les bourreaux
Écoute le fracas se dissout
par ma voix qui t’exauce
*
Ton bras dressé dessine
dans l’ombre une blancheur de songe
Oui je crois te voir mais je rêve
j’illumine d’or ton absence
De mots inventés je couvre ton corps
comme d’un linceul étoilé
Explorant plus bas que ton cœur
mes lèvres t’inspirent
*
Je me cache au creux de ton ombre
comme une œuvre en devenir
Tu es mon unique avenir
mon présent réconcilié
Ma preuve d’exister ma chance
d’être encore parmi les morts
Solitaire déshabité
un vivant qui respire
Ma planète n’est pas la vôtre.
Henri Rode
Ils restent là accroupis sur leurs déchets
les mangeurs de merde aurifère
Inconnus à eux-mêmes ignorants de tout
attendant le solstice de mort
qui les foudroiera dans leur gloire
Tandis que leurs âmes fripées
rejoindront le désert de l’île
rendant le souffle aux bergers de la mer
*
Les rêves du désir poussent dans
la lumière roses d’abîme
Ton corps n’est plus un souvenir mortel
mais la réelle offrande de la nuit
Je me souviens de tout du moindre éclat d’azur
et du pas doucereux de l’ombre qui s’avance
C’est dans la tombe ou dans le feu
que sera enfouie ou brûlée ma mémoire
Poèmes extraits de Soleil de minuit (2010). © éditions Librairie-Galerie Racine.
APPORTE-MOI UNE PLUME ET DE L’ENCRE
Apporte-moi une plume et de l’encre
que j’écrive l’histoire de notre rencontre.
Elle sera brève, Ô Khalîl,
(je suis à genoux aux pieds de l’orage)
brève comme l’éclair et la foudre,
mais lente à couler comme l’huile labile
de la lampe, goutte à goutte,
car la lampe dans les ténèbres jamais
ne s’éteindra.
Elle éclaire un pan de muraille, une ruelle,
la nuit s’entrouvre et te laisse passer.
Quand le jour te ramène sur ses crètes
le flot de l’équinoxe te porte à moi.
Ô nuits égales aux jours,
Silence pareil au mouvement des mots,
Regard qui brûle le soleil lui-même,
Sourire qui se fait soleil…
Enlevez-moi cette plume et cette encre,
Je ne veux plus rien dire,
Car maintenant je suis seul à ma table
Les mains nues
TU AS JOUÉ AVEC MA VIE
Tu as joué avec ma vie
Mais personne ne perd ne gagne,
On ne gagne qu’avec la mort
En y perdant la vie.
Avec la mort on gagne l’oubli
De soi-même et souvent celui
Des autres. La mémoire
N’est pas fidèle Amie.
J’ai voulu changer ton destin,
Je ne sais si je parviendrai
À faire sourire les roses
Sur ton passage. À semer
Des bienfaits sous tes pas.
Tu as joué avec mon cœur
Mais tu n’as pas triché,
Les cartes sont bonnes et tu
Les distribues avec bonheur.
Au jeu de l’Ami, de l’honneur,
Continue à jouer encore,
Je ne saurai vraiment si tu m’aimes que
Quand je ne serai plus là pour l’apprendre.
QU’AI-JE À FAIRE D’UNE MAISON
Qu’ai-je à faire d’une maison
Si je n’habite le monde
Qu’ai-je à faire d’un toit
Si j’ai quitté le village
Étranger en moi-même
Exilé hors de tes murs
Qu’ai-je à faire de ces murs
Si je ne peux les abattre
Forcer la porte la serrure
Entre en toi secret violé
Si j’ai perdu la clé des mystères
Si le temple est profané
Si je vois se pencher les roses
Dans le vieux jardin défloré
Qu’ai-je à faire d’une chambre close
D’un lit ouvert d’un corps offert
Qu’ai-je à faire d’un ciel sans lumière
D’une mer qui s’est figée
Dans l’abandon de ses vagues
Dans l’oubli de ses marées
Qu’ai-je à faire de ce monde
Si je n’ai plus de maison
Sinon voyager dans ton rêve
Quand ton sommeil habite ma prison.
Poèmes extraits de Khalîl (1995). © éditions Librairie-Galerie Racine.
L’odeur de tes cheveux sur l’oreiller meurtri
Le poids de ton sommeil dans les draps qui respirent
Ta présence en éclats de beauté
Miroitant aux murs éblouis
La porte qui se referme est une douleur
Ton sourire qui s’éteint est une douleur
Mais toi parti ma solitude est grande
Tu es le géant qui l’habite.
*
Dire ton nom
comme un aveu fait à l’ombre
ne m’apaise pas
Crier ton nom à l’air à ceux qui
ne peuvent l’entendre
déchire ma raison
Écrire ton nom c’est le mien
qui s’efface
dans la mémoire d’un autre
Je peux seulement me chauffer à
ton nom ton nom est ma lumière
fruit de l’arbre du soleil.
*
Toujours l’attente
comme une scie
qui violente à coups répétés
*
le tronc abattu
comme une hache
qui fend la bûche
atteint le cœur du bois tendre
Et saigne la forêt tout entière
Et se lamente
dans l’abri de l’ombre
l’infirme lueur vacillante
Puis le temps refleurit
violette étoilée
*
Vois : la terre s’ouvre
Fouillée de nos flancs
Allège tes gestes
Déploie tes membres de marbre noir
Deviens bouche de brasier
fusant de ses feux farouches
Quand ne souffle un vent de fournaise
Ravive les flammes enfouies
Et bâtis de tes bras
un château d’incendie
Écartèle mon désir
Puis affûte ton couteau
Tranche ma langue
Fais saigner nos cris
Tranche ma vie
*
La mort ne dure pas
c’est un bref instant
comme le plaisir
La volupté est longue longue
comme la vie
mais le plaisir est bref
Et je me retrouve dans
des bras innocents
coupable d’amour
Mais ma jouissance s’attriste
de n’être que cette courte lueur
cette flamme de bougie
qu’on souffle vite
Et la mort dans la nuit
est longue longue et je ne perçois plus
‑lumière consumée – plus rien
rien que le corps enseveli de l’ombre.
Poèmes extraits de Fenêtre aveugle (1996). © éditions Librairie-Galerie Racine.
HAMAC
Île du bel été flottant sur l’eau des herbes
J’oublie en ton berceau les rumeurs du rivage
Ma vie est suspendue à ton balancement
Je sens couler vers moi les rivières de l’air
Je libère tous les oiseaux de ma poitrine -
Mes désirs envolés dans des vagues ailées-
Je remonte le cours des sources délivrées
L’ombre verte survit aux décombres du jour.
SEMENCES DE FEU
Soleil bougie
Lampe miroir
Tout te dénonce
À mon regard
*
Le corps dessiné de l’absence
Dans les draps inhabités
L’âtre éteint – cendres vivantes –
Tu renaîtras de l’attente
*
Jamais plus peut-être
Tes yeux clos
Sur le secret de ton âme
Abandonnée à mes mains
*
Tout est possible
Rien ne m’attache
À l’ombre de ta vie
Sur la mienne
*
J’ai rêvé que tu étais en vie
Ma mort seule
Te déliera de l’énigme
De n’être pas au monde
*
Dans tes bras
Je m’emplis de toi
J’expulse mon amour
Dans l’enclos de ton corps
*
Tête d’ange
Renversée
Le plaisir illumine
Tes yeux éteints
*
Être de l’instant
Tu cherches ton image
Dans les yeux de l’autre
Être de l’instinct
*
La nuit partout
Je te suis où tu vas
Tu es en marche
Dans mon rêve immobile
Poèmes extraits de Travaux d’approche (1999). © Librairie-Galerie Racine.
La ville me cerne mais de si loin
Murs étroits lavés de soleil
Où glissent des ombres stériles
Le sang ne circule plus
Dans les veines de l’arbre
Dimanches bêtes où se promène
La fatigue Enfants en laisse
Cœurs plombés par l’ennui
Broyés par la machine
De si près de si loin s’infiltre un bruit d’ailleurs
Être de l’instant Tu cherches ton image
Dans les yeux de l’autre Être de l’instinct
La nuit partout Je te suis où tu vas
Tu es en marche Dans mon rêve immobile
D’une mer aux vagues fortuites
Je suis une île que le temps oublie
*
Insupportable fatigue d’être soi
Ne plus se comprendre ne plus se surprendre
Je traverse le jour opaque où je me perds
Je demande à la vie ce qu’elle ne peut me donner
Et je refuse ce qu’elle m’offre : don désespéré
Objets précieux cachés sous le linceul de la lumière
Soudain la pluie tombe et je fuis la terrasse
Comme si cette eau ne pouvait baptiser
Un nouvel espoir une reconquête plus facile
De présents éparpillés vainement toutes les prières
Il y aura peut-être d’autres jours, quelques paroles
défrichées
Chaque chose est à sa place et je reste immobile
*
Silence creusé au cœur du patio
Puis posé comme une pierre qui regarde les choses
Sans les voir
Au moindre écho d’un signe qui me parle
Tout s’anime en moi
Même l’immobilité de mon cœur
Arrêté de battre soudain
Ce silence-là ne laisse pas de traces
Sur le mur absorbé
Dans la contemplation réciproque du ciel
Le remuement énorme de la mer
S‘entend au loin pourtant
Telle une autre parole confuse
Un Verbe sacré
Inconnu dans la langue des vivants
CHERGUI
Le vent qui me pousse
Vers toi
Toujours plus avant
Le vent qui violent m’étreint
Comme le front tes bras
Une aurore encore plus ardente
Se lève en moi
Quand se dresse le vent
Rempart contre le ciel d’écume
Je deviens torche vivante
Élément du désir vibrant
J’ai sur les lèvres
Le goût des étoiles sans lumière
Je bruis comme les arbres
Je bouillonne comme la mer
Je deviens le vent lui-même
Qui souffle le feu
Dans les veines de ta vie
Poèmes extraits de La Lumière est dans le noir (2002). © Librairie-Galerie Racine.
Une ombre se profile
derrière l’écran du soleil
Est-ce toi ou moi-même
ou l’Autre ?
Dans l’incandescence du jour
la nuit se repose et blêmit
Si je t’aime
pourrai-je supporter ma mort ?
Le monde se construit dans l’homme que l’on tue.
Christophe Dauphin
Vois le monde
expulse sa rage dans un souffle de mort
Nul oiseau ne répond à l’appel de la paix
les brebis ensanglantées ne paissent plus
Le berger clame au ciel sa prière amputée
aucun sursis pour les bourreaux
Écoute le fracas se dissout
par ma voix qui t’exauce
*
Ton bras dressé dessine
dans l’ombre une blancheur de songe
Oui je crois te voir mais je rêve
j’illumine d’or ton absence
De mots inventés je couvre ton corps
comme d’un linceul étoilé
Explorant plus bas que ton cœur
mes lèvres t’inspirent
*
Je me cache au creux de ton ombre
comme une œuvre en devenir
Tu es mon unique avenir
mon présent réconcilié
Ma preuve d’exister ma chance
d’être encore parmi les morts
Solitaire déshabité
un vivant qui respire
Ma planète n’est pas la vôtre.
Henri Rode
Ils restent là accroupis sur leurs déchets
les mangeurs de merde aurifère
Inconnus à eux-mêmes ignorants de tout
attendant le solstice de mort
qui les foudroiera dans leur gloire
Tandis que leurs âmes fripées
rejoindront le désert de l’île
rendant le souffle aux bergers de la mer
*
Les rêves du désir poussent dans
la lumière roses d’abîme
Ton corps n’est plus un souvenir mortel
mais la réelle offrande de la nuit
Je me souviens de tout du moindre éclat d’azur
et du pas doucereux de l’ombre qui s’avance
C’est dans la tombe ou dans le feu
que sera enfouie ou brûlée ma mémoire
Poèmes extraits de Soleil de minuit (2010). © éditions Librairie-Galerie Racine.