PRÉFACE

Pour en finir une fois pour toutes avec soi-même, (mais n’est-ce pas impos­si­ble ?) rien de tel que de se met­tre en prison. Toutes les peurs, toutes les sueurs nous assail­lent. Des corps se dressent, détenus d’un moment, et meurent d’abandon ; des rêves asphyx­iés repren­nent souf­fle ; la pas­sion nous encer­cle mieux que les murs. Tout le reste s’inscrit en graf­fi­ti plus ou moins con­scients, tracés d’une main ENNEMIE.

À force de tourn­er autour de soi, on finit par se per­dre. Restent les regards au dehors, qui se veu­lent frater­nels, vers les autres, la vie qui décline si vite, comme le jour à son sec­ond versant.

La poésie est qu’un moyen de se per­fec­tion­ner soi- même, en pro­je­tant vers l’avenir tout ce que le passé ne nous a pas per­mis d’appréhender.

Si la mort demeure inac­cept­able, c’est que tout dés­espoir n’est pas per­du et qu’en tout cas l’écriture, comme le rêve, est une sec­onde vie.

∗∗∗∗∗∗

L’ÉTOILE

Chaque jour meurt en moi l’étoile
Qui reprend vie avec la nuit
Je tra­verse les jours les mois 
Avec cette clarté blessée
Et per­son­ne ne la voit.

Elle porte les espérances
De la lumière incorruptible 
Brûlante étoile au frais de l’ombre
O lourde lampe de mes rêves 
Dans la demeure de la mort.

 

BEAU MARBRE

Stat­ue coulée dans le désir sans forme 
Que mes mains ont ren­due vivante

J’ai par­cou­ru tes hori­zons polis
Tes fron­tières de mar­bre veiné de sang noir 
J’ai réveil­lé tes lèvres d’une faim dormante 
Tes yeux ont bat­tu devant les merveilles
Ma bouche a cou­ru sut tes ruis­seaux d’ombre
J’ai bu ta vie à la source délivrée
J’ai fait couler en toi la riv­ière profonde
Et me suis couché sur tes eaux

Nos mains se sont rejointes afflu­ents de la nuit 
Nous avons roulé loin vers la mer
Et tu t’es brisé dans mes bras
Mon mar­bre en morceaux de beauté.

*

Ton corps a trop de plages nues 
Pour y laiss­er du sable sec
Le reflux des vagues lamente
Sur le rivage illuminé
Le soleil que j’y déposai

Le sel sur ma mangue assoiffée 
Brûle mon désir de te boire
Tu allonges toutes tes dunes 
Sous les caress­es qui te brisent

Toute la nuit je chercherai 
Dans ta toi­son d’ombre fleurie 
La per­le où jail­li­ra l’aurore.

 

*

Je pense à ce corps ain­si qu’à une fête de l’âme
Sor­ti des remous de la mer comme un désir vivant 
Sor­ti des vagues de l’amour comme une meurtrissure 
Bain d’écume offrant au soleil son insolence
Offrant aux regards le pou­voir de la torture
Je pense à ce corps ain­si qu’à un emblème 
Ruis­se­lant des onguents de la lumière
Cou­vert des crachats de la lune
Superbe de se voir érigé en stat­ue de silence
Enlacé par le lien des soupirs
Cloué au poteau du vertige
Les veines vidées du plomb subtil.

Quand le temps sera revenu
Je poserai les mains sur toi
Tu vivras ailleurs qu’aux rivages 
Oubliés des minces mémoires
Et tu me don­neras la force de ton sang.

 

LA MORT PROMISE

Quand je n’aurai plus rien à donner 
Quand je serai pau­vre de mes refus
de mes erreurs de l’oubli de la vie 
Quand toutes mes peaux seront tombées 
lam­beaux de mes incertitudes
Je serai nu devant la mort promise 
enfant de mes découvertes 
héri­ti­er de mes silences
fils d’une autre éternité

Quand tout sera dit à jamais
Gardez-moi un coin de terre
Pour y dépos­er mon secret
Lourd comme le poids du monde.

Mon nom sera per­du mon nom 
Telle une pièce de monnaie
Qui a tra­ver­sé tous les siècles 
Et qui ne vaut plus rien 
Comme un cail­lou qui a roulé 
Du haut des collines fières

Et rebon­dit au désert
Dans les champs du labour futur
La graine ne poussera plus
Plus de fleur à sen­tir de vis­age à aimer
De nom à pronon­cer Mon nom
Plus d’écho de nos voix dans les val­lons du rire 
Plus de nos ric­o­chets sur l’eau morte du temps 
Mes Pères j’ai trahi votre belle espérance
Je me retrou­ve seul ancre rouil­lée au port
Je serai le dernier d’une chaîne qui lie
Vos espoirs mon des­tin votre vie et ma mort.

*

Depuis longtemps plus rien n’existe
Je vis une vie enfouie
Enter­rées sous le sable d’hiver
Sous les pel­letées quo­ti­di­ennes de l’amour
Du men­songe monotone
Où sont donc les éclats du rire en rut 
Les berceuses de l’attente
Les plaisirs de l’improbable
Main­tenant plus rien n’existe
À peine un instant de repos 
Et il faut repartir
Vers quel mur en faillite 
Ou quelle porte sur le vide.

Ouvrir les mains
Pour que renais­sent les sources.

*

Quand tu ren­tres le soir seul
Après une journée lourde de paroles
D’actes plus ou moins avortés
Avec ta soli­tude en bandoulière
Les yeux vides de ne rien voir de plus près
que ton chemin solitaire
Pousse la porte et regarde la cham­bre déserte 
(Aucune lampe ne brûle pour con­sumer ta soif 
Pour te dire que la lumière existe
Pas de musique pour t’entendre
Ni de poème où lire ta vie
Pas de rose où la femme geint
De glaïeul où s’érige l’homme)
Tu es seul et tu par­les quand même
À quelqu’un qui n’existe pas
qui ne répon­dra jamaisqui se tait sur ta lâcheté ta paresse
ton besoin d’être seul et d’attendre mal­gré tout 
une réponse à des ques­tions que tu n’as pas posées 
Est-ce Dieu dis-moi est-ce  Dieu qui parle
et pour­tant n’existe pas
Est-ce une prière à la plus haute  Solitude 
                          qui soit
Tu as puni tes frères de ne pas te ressembler
de ne pas être toi-même une fois encore
Et mille fois encore d’être tes frères
Rien n’a été créé pour toi
Rien ne te ren­voie plus au pouvoir
De dire : Soli­tude à quelqu’un qui aime
Et est aimé
Rien ne te lie à la chaîne des solitaires
Tout est brisé entre tous
Tout est sépa­ra­tion infinie éternelle
Tout est absence infinie éternelle
Ce qui grandit en ton corps diminué
C’est une mort fatale et solitaire.

 

VOIX FRATERNELLE

 

Je voudrais être une voix fraternelle 
Que tout chante par cette voix
Mais les mots dévorent ma bouche 
Le sang de la colère rougit sans moi 
Les larmes gèlent sans moi
sur la joue de mar­bre des mères
Il se fait quelque chose quelque part 
où je ne suis pas
Les arbres gran­dis­sent sans moi 
gar­di­en vig­i­lant de la ville
La pluie fait ses confidences
mais je ne les entends pas
Tout coule flux perpétuel
et retourne à la source première
Et je reste sur la rive
à regarder dans l’eau qui dort 
l’image de ma défaite
La ter­reur brûle sans moi
La mort a peut-être ma voix
mais logée dans une caverne
où per­son­ne n’entrera.

 

Poèmes extraits de Don­jon de soi-même (1985). © Librairie-Galerie Racine. 

APPORTE-MOI UNE PLUME ET DE L’ENCRE

Apporte-moi une plume et de l’encre
que j’écrive l’histoire de notre rencontre.

Elle sera brève, Ô Khalîl,
(je suis à genoux aux pieds de l’orage)
brève comme l’éclair et la foudre
mais lente à couler comme l’huile labile 
de la lampe, goutte à goutte,
car la lampe dans les ténèbres jamais
ne s’éteindra.

Elle éclaire un pan de muraille, une ruelle, 
la nuit s’entrouvre et te laisse passer. 
Quand le jour te ramène sur ses crètes
le flot de l’équinoxe te porte à moi.

Ô nuits égales aux jours,
Silence pareil au mou­ve­ment des mots, 
Regard qui brûle le soleil lui-même, 
Sourire qui se fait soleil…

Enlevez-moi cette plume et cette encre, 
Je ne veux plus rien dire,
Car main­tenant je suis seul à ma table 
Les mains nues

 

TU AS JOUÉ AVEC MA VIE

Tu as joué avec ma vie
Mais per­son­ne ne perd ne gagne, 
On ne gagne qu’avec la mort
En y per­dant la vie.

Avec la mort on gagne l’oubli
De soi-même et sou­vent celui 
Des autres. 
La mémoire
N’est pas fidèle Amie.

J’ai voulu chang­er ton destin, 
Je ne sais si je parviendrai
À faire sourire les roses
Sur ton passage.
À semer 
Des bien­faits sous tes pas.

Tu as joué avec mon cœur 
Mais tu n’as pas triché,
Les cartes sont bonnes et tu 
Les dis­tribues avec bonheur.

Au jeu de l’Ami, de l’honneur,
Con­tin­ue à jouer encore,
Je ne saurai vrai­ment si tu m’aimes que 
Quand je ne serai plus là pour l’apprendre.

 

QU’AI-JE À FAIRE D’UNE MAISON

Qu’ai-je à faire d’une maison 
Si je n’habite le monde

Qu’ai-je à faire d’un toit 
Si j’ai quit­té le village

Étranger en moi-même

Exilé hors de tes murs

Qu’ai-je à faire de ces murs 
Si je ne peux les abattre

Forcer la porte la serrure 
Entre en toi secret violé

Si j’ai per­du la clé des mystères
Si le tem­ple est profané

Si je vois se pencher les roses 
Dans le vieux jardin défloré

Qu’ai-je à faire d’une cham­bre close 
D’un lit ouvert d’un corps offert

Qu’ai-je à faire d’un ciel sans lumière 
D’une mer qui s’est figée

Dans l’abandon de ses vagues 
Dans l’oubli de ses marées

Qu’ai-je à faire de ce monde 
Si je n’ai plus de maison

Sinon voy­ager dans ton rêve
Quand ton som­meil habite ma prison.

Poèmes extraits de Khalîl (1995). © édi­tions Librairie-Galerie Racine.

 

L’odeur de tes cheveux sur l’oreiller meurtri
Le poids de ton som­meil dans les draps qui respirent 
Ta présence en éclats de beauté
Miroi­tant aux murs éblouis

La porte qui se referme est une douleur 
Ton sourire qui s’éteint est une douleur 
Mais toi par­ti ma soli­tude est grande 
Tu es le géant qui l’habite.

*

Dire ton nom
comme un aveu fait à l’ombre
ne m’apaise pas

Crier ton nom à l’air à ceux qui 
ne peu­vent l’entendre
déchire ma raison

Écrire ton nom c’est le mien 
qui s’efface
dans la mémoire d’un autre

Je peux seule­ment me chauf­fer à ton nom 
ton nom est ma lumière
fruit de l’arbre du soleil.

*

Tou­jours l’attente

comme une scie
qui vio­lente à coups répétés
le tronc abattu

comme une hache qui fend la bûche
atteint le cœur du bois tendre

Et saigne la forêt tout entière

Et se lamente
dans l’abri de l’ombre
l’infirme lueur vacillante

Puis le temps refleurit 
vio­lette étoilée

*

Vois : la terre s’ouvre
Fouil­lée de nos flancs

Allège tes gestes            Déploie 
tes mem­bres de mar­bre noir 
Deviens bouche de brasier 
fusant de ses feux farouches

Quand ne souffle
un vent de fournaise
Ravive les flammes enfouies 
Et bâtis de tes bras
un château d’incendie

Écartèle mon désir

Puis affûte ton couteau 
Tranche ma langue 
Fais saign­er nos cris

Tranche ma vie

*

La mort ne dure pas 
c’est un bref instant 
comme le plaisir

La volup­té est longue longue 
comme la vie
mais le plaisir est bref

Et je me retrou­ve dans 
des bras innocents 
coupable d’amour

Mais ma jouis­sance s’attriste
de n’être que cette courte lueur 
cette flamme de bougie
qu’on souf­fle vite

Et la mort dans la nuit
est longue longue et je ne perçois plus
— lumière con­sumée – plus rien

rien que le corps enseveli de l’ombre.

Poèmes extraits de Fenêtre aveu­gle (19 96). © édi­tions Librairie-Galerie Racine.

 

APPORTE-MOI UNE PLUME ET DE L’ENCRE

Apporte-moi une plume et de l’encre
que j’écrive l’histoire de notre rencontre.

Elle sera brève, Ô Khalîl,
(je suis à genoux aux pieds de l’orage)
brève comme l’éclair et la foudre,
mais lente à couler comme l’huile labile 
de la lampe, goutte à goutte,
car la lampe dans les ténèbres jamais
ne s’éteindra.

Elle éclaire un pan de muraille, une ruelle, 
la nuit s’entrouvre et te laisse passer. 
Quand le jour te ramène sur ses crètes
le flot de l’équinoxe te porte à moi.

Ô nuits égales aux jours,
Silence pareil au mou­ve­ment des mots, 
Regard qui brûle le soleil lui-même, 
Sourire qui se fait soleil…

Enlevez-moi cette plume et cette encre, 
Je ne veux plus rien dire,
Car main­tenant je suis seul à ma table 
Les mains nues

 

TU AS JOUÉ AVEC MA VIE

Tu as joué avec ma vie
Mais per­son­ne ne perd ne gagne, 
On ne gagne qu’avec la mort
En y per­dant la vie.

Avec la mort on gagne l’oubli
De soi-même et sou­vent celui 
Des autres. La mémoire
N’est pas fidèle Amie.

J’ai voulu chang­er ton destin, 
Je ne sais si je parviendrai
À faire sourire les roses
Sur ton pas­sage. À semer 
Des bien­faits sous tes pas.

Tu as joué avec mon cœur 
Mais tu n’as pas triché,
Les cartes sont bonnes et tu 
Les dis­tribues avec bonheur.

Au jeu de l’Ami, de l’honneur,
Con­tin­ue à jouer encore,
Je ne saurai vrai­ment si tu m’aimes que 
Quand je ne serai plus là pour l’apprendre.

 

QU’AI-JE À FAIRE D’UNE MAISON

Qu’ai-je à faire d’une maison 
Si je n’habite le monde

Qu’ai-je à faire d’un toit 
Si j’ai quit­té le village

Étranger en moi-même 
Exilé hors de tes murs

Qu’ai-je à faire de ces murs 
Si je ne peux les abattre

Forcer la porte la serrure 
Entre en toi secret violé

Si j’ai per­du la clé des mystères 
Si le tem­ple est profané

Si je vois se pencher les roses 
Dans le vieux jardin défloré

Qu’ai-je à faire d’une cham­bre close 
D’un lit ouvert d’un corps offert

Qu’ai-je à faire d’un ciel sans lumière 
D’une mer qui s’est figée

Dans l’abandon de ses vagues 
Dans l’oubli de ses marées

Qu’ai-je à faire de ce monde 
Si je n’ai plus de maison

Sinon voy­ager dans ton rêve
Quand ton som­meil habite ma prison.

Poèmes extraits de Khalîl (1995). © édi­tions Librairie-Galerie Racine.

 

L’odeur de tes cheveux sur l’oreiller meurtri
Le poids de ton som­meil dans les draps qui respirent 
Ta présence en éclats de beauté
Miroi­tant aux murs éblouis

La porte qui se referme est une douleur 
Ton sourire qui s’éteint est une douleur 
Mais toi par­ti ma soli­tude est grande 
Tu es le géant qui l’habite.

*

Dire ton nom
comme un aveu fait à l’ombre
ne m’apaise pas

Crier ton nom à l’air à ceux qui 
ne peu­vent l’entendre
déchire ma raison

Écrire ton nom c’est le mien 
qui s’efface
dans la mémoire d’un autre

Je peux seule­ment me chauf­fer à 
ton nom ton nom est ma lumière
fruit de l’arbre du soleil.

*

Tou­jours l’attente

comme une scie
qui vio­lente à coups répétés

*

le tronc abattu

comme une hache
qui fend la bûche
atteint le cœur du bois tendre

Et saigne la forêt tout entière

Et se lamente
dans l’abri de l’ombre
l’infirme lueur vacillante

Puis le temps refleurit 
vio­lette étoilée

*

Vois : la terre s’ouvre
Fouil­lée de nos flancs

Allège tes gestes 
Déploie tes mem­bres de mar­bre noir 
Deviens bouche de brasier 
fusant de ses feux farouches

Quand ne souf­fle un vent de fournaise
Ravive les flammes enfouies 
Et bâtis de tes bras
un château d’incendie

Écartèle mon désir

Puis affûte ton couteau 
Tranche ma langue 
Fais saign­er nos cris

Tranche ma vie

*

 

La mort ne dure pas 
c’est un bref instant 
comme le plaisir

La volup­té est longue longue 
comme la vie
mais le plaisir est bref

Et je me retrou­ve dans 
des bras innocents 
coupable d’amour

Mais ma jouis­sance s’attriste
de n’être que cette courte lueur 
cette flamme de bougie
qu’on souf­fle vite

Et la mort dans la nuit
est longue longue et je ne perçois plus 
‑lumière con­sumée – plus rien

rien que le corps enseveli de l’ombre.

Poèmes extraits de Fenêtre aveu­gle (1996). © édi­tions Librairie-Galerie Racine.

 

HAMAC

Île du bel été flot­tant sur l’eau des herbes 
J’oublie en ton berceau les rumeurs du rivage

Ma vie est sus­pendue à ton balancement 
Je sens couler vers moi les riv­ières de l’air

Je libère tous les oiseaux de ma poitrine -
Mes désirs envolés dans des vagues ailées-

Je remonte le cours des sources délivrées 
L’ombre verte survit aux décom­bres du jour.

 

SEMENCES DE FEU

 

Soleil bougie
Lampe miroir 
Tout te dénonce 
À mon regard

 

*

Le corps dess­iné de l’absence
Dans les draps inhabités
L’âtre éteint – cen­dres vivantes – 
Tu renaî­tras de l’attente

*

Jamais plus peut-être
Tes yeux clos
Sur le secret de ton âme 
Aban­don­née à mes mains

*

Tout est possible 
Rien ne m’attache
À l’ombre de ta vie 
Sur la mienne

*

J’ai rêvé que tu étais en vie 
Ma mort seule
Te déliera de l’énigme
De n’être pas au monde

*

Dans tes bras
Je m’emplis de toi 
J’expulse mon amour 
Dans l’enclos de ton corps

*

Tête d’ange
Renversée
Le plaisir illumine 
Tes yeux éteints

*

Être de l’instant
Tu cherch­es ton image 
Dans les yeux de l’autre
Être de l’instinct

 

*

La nuit partout
Je te suis où tu vas
Tu es en marche
Dans mon rêve immobile

Poèmes extraits de Travaux d’approche (1999). © Librairie-Galerie Racine.

 

La ville me cerne mais de si loin

Murs étroits lavés de soleil
Où glis­sent des ombres stériles

Le sang ne cir­cule plus 
Dans les veines de l’arbre

Dimanch­es bêtes où se promène 
La fatigue Enfants en laisse

Cœurs plom­bés par l’ennui
Broyés par la machine

De si près de si loin s’infiltre un bruit d’ailleurs

Être de l’instant Tu cherch­es ton image 
Dans les yeux de l’autre Être de l’instinct

La nuit partout Je te suis où tu vas
Tu es en marche Dans mon rêve immobile

D’une mer aux vagues fortuites 
Je suis une île que le temps oublie

*

Insup­port­able fatigue d’être soi
Ne plus se com­pren­dre ne plus se surprendre
Je tra­verse le jour opaque où je me perds
Je demande à la vie ce qu’elle ne peut me donner 
Et je refuse ce qu’elle m’offre : don désespéré 
Objets pré­cieux cachés sous le linceul de la lumière

Soudain la pluie tombe et je fuis la terrasse 
Comme si cette eau ne pou­vait baptiser
Un nou­v­el espoir une recon­quête plus facile
De présents éparpil­lés vaine­ment toutes les prières 
Il y aura peut-être d’autres jours, quelques paroles 
            défrichées

Chaque chose est à sa place et je reste immobile

*

Silence creusé au cœur du patio
Puis posé comme une pierre qui regarde les choses 
Sans les voir
Au moin­dre écho d’un signe qui me parle
Tout s’anime en moi
Même l’immobilité de mon cœur
Arrêté de bat­tre soudain

Ce silence-là ne laisse pas de traces
Sur le mur absorbé
Dans la con­tem­pla­tion réciproque du ciel 
Le remue­ment énorme de la mer 
S‘entend au loin pourtant 
Telle une autre parole confuse 
Un Verbe sacré
Incon­nu dans la langue des vivants

 

CHERGUI

Le vent qui me pousse
Vers toi
Tou­jours plus avant
Le vent qui vio­lent m’étreint
Comme le front tes bras
Une aurore encore plus ardente 
Se lève en moi 
Quand se dresse le vent 
Rem­part con­tre le ciel d’écume
Je deviens torche vivante 
Élé­ment du désir vibrant
J’ai sur les lèvres
Le goût des étoiles sans lumière
Je bruis comme les arbres
Je bouil­lonne comme la mer
Je deviens le vent lui-même 
Qui souf­fle le feu
Dans les veines de ta vie

Poèmes extraits de La Lumière est dans le noir (2002). © Librairie-Galerie Racine.

 

Une ombre se profile 
der­rière l’écran du soleil

Est-ce toi ou moi-même 
ou l’Autre ?

Dans l’incandescence du jour 
la nuit se repose et blêmit

Si je t’aime
pour­rai-je sup­port­er ma mort ?

 

 

Le monde se construit dans l’homme que l’on tue.

Christophe Dauphin

Vois           le monde
expulse sa rage dans un souf­fle de mort

Nul oiseau ne répond à l’appel de la paix 
les bre­bis ensanglan­tées ne pais­sent plus

Le berg­er clame au ciel sa prière amputée 
aucun sur­sis pour les bourreaux

Écoute le fra­cas se dissout 
par ma voix qui t’exauce

*

Ton bras dressé dessine
dans l’ombre une blancheur de songe

Oui je crois te voir mais je rêve 
j’illumine d’or ton absence

De mots inven­tés je cou­vre ton corps 
comme d’un linceul étoilé

Explo­rant plus bas que ton cœur 
mes lèvres t’inspirent

*

Je me cache au creux de ton ombre 
comme une œuvre en devenir

Tu es mon unique avenir 
mon présent réconcilié

Ma preuve d’exister            ma chance 
d’être encore par­mi les morts 

Soli­taire déshabité 
un vivant qui respire

Ma planète n’est pas la vôtre. 

Hen­ri Rode

Ils restent là accroupis sur leurs déchets 
les mangeurs de merde aurifère 
Incon­nus à eux-mêmes igno­rants de tout
atten­dant le sol­stice de mort 
qui les foudroiera dans leur gloire 
Tan­dis que leurs âmes fripées 
rejoin­dront le désert de l’île
ren­dant le souf­fle aux berg­ers de la mer

*

Les rêves du désir poussent dans 
la lumière            ros­es d’abîme

Ton corps n’est plus un sou­venir mortel 
mais la réelle offrande de la nuit

Je me sou­viens de tout du moin­dre éclat d’azur
et du pas doucereux de l’ombre qui s’avance

C’est dans la tombe ou dans le feu
que sera enfouie ou brûlée ma mémoire

 

Poèmes extraits de Soleil de minu­it (2010). © édi­tions Librairie-Galerie Racine.

 

 

 

APPORTE-MOI UNE PLUME ET DE L’ENCRE

Apporte-moi une plume et de l’encre
que j’écrive l’histoire de notre rencontre.

Elle sera brève, Ô Khalîl,
(je suis à genoux aux pieds de l’orage)
brève comme l’éclair et la foudre,
mais lente à couler comme l’huile labile 
de la lampe, goutte à goutte,
car la lampe dans les ténèbres jamais
ne s’éteindra.

Elle éclaire un pan de muraille, une ruelle, 
la nuit s’entrouvre et te laisse passer. 
Quand le jour te ramène sur ses crètes
le flot de l’équinoxe te porte à moi.

Ô nuits égales aux jours,
Silence pareil au mou­ve­ment des mots, 
Regard qui brûle le soleil lui-même, 
Sourire qui se fait soleil…

Enlevez-moi cette plume et cette encre, 
Je ne veux plus rien dire,
Car main­tenant je suis seul à ma table 
Les mains nues

 

TU AS JOUÉ AVEC MA VIE

Tu as joué avec ma vie
Mais per­son­ne ne perd ne gagne, 
On ne gagne qu’avec la mort
En y per­dant la vie.

Avec la mort on gagne l’oubli
De soi-même et sou­vent celui 
Des autres. La mémoire
N’est pas fidèle Amie.

J’ai voulu chang­er ton destin, 
Je ne sais si je parviendrai
À faire sourire les roses
Sur ton pas­sage. À semer 
Des bien­faits sous tes pas.

Tu as joué avec mon cœur 
Mais tu n’as pas triché,
Les cartes sont bonnes et tu 
Les dis­tribues avec bonheur.

Au jeu de l’Ami, de l’honneur,
Con­tin­ue à jouer encore,
Je ne saurai vrai­ment si tu m’aimes que 
Quand je ne serai plus là pour l’apprendre.

 

QU’AI-JE À FAIRE D’UNE MAISON

Qu’ai-je à faire d’une maison 
Si je n’habite le monde

Qu’ai-je à faire d’un toit 
Si j’ai quit­té le village

Étranger en moi-même 
Exilé hors de tes murs

Qu’ai-je à faire de ces murs 
Si je ne peux les abattre

Forcer la porte la serrure 
Entre en toi secret violé

Si j’ai per­du la clé des mystères 
Si le tem­ple est profané

Si je vois se pencher les roses 
Dans le vieux jardin défloré

Qu’ai-je à faire d’une cham­bre close 
D’un lit ouvert d’un corps offert

Qu’ai-je à faire d’un ciel sans lumière 
D’une mer qui s’est figée

Dans l’abandon de ses vagues 
Dans l’oubli de ses marées

Qu’ai-je à faire de ce monde 
Si je n’ai plus de maison

Sinon voy­ager dans ton rêve
Quand ton som­meil habite ma prison.

Poèmes extraits de Khalîl (1995). © édi­tions Librairie-Galerie Racine.

 

L’odeur de tes cheveux sur l’oreiller meurtri
Le poids de ton som­meil dans les draps qui respirent 
Ta présence en éclats de beauté
Miroi­tant aux murs éblouis

La porte qui se referme est une douleur 
Ton sourire qui s’éteint est une douleur 
Mais toi par­ti ma soli­tude est grande 
Tu es le géant qui l’habite.

*

Dire ton nom
comme un aveu fait à l’ombre
ne m’apaise pas

Crier ton nom à l’air à ceux qui 
ne peu­vent l’entendre
déchire ma raison

Écrire ton nom c’est le mien 
qui s’efface
dans la mémoire d’un autre

Je peux seule­ment me chauf­fer à 
ton nom ton nom est ma lumière
fruit de l’arbre du soleil.

*

Tou­jours l’attente

comme une scie
qui vio­lente à coups répétés

*

le tronc abattu

comme une hache
qui fend la bûche
atteint le cœur du bois tendre

Et saigne la forêt tout entière

Et se lamente
dans l’abri de l’ombre
l’infirme lueur vacillante

Puis le temps refleurit 
vio­lette étoilée

*

Vois : la terre s’ouvre
Fouil­lée de nos flancs

Allège tes gestes 
Déploie tes mem­bres de mar­bre noir 
Deviens bouche de brasier 
fusant de ses feux farouches

Quand ne souf­fle un vent de fournaise
Ravive les flammes enfouies 
Et bâtis de tes bras
un château d’incendie

Écartèle mon désir

Puis affûte ton couteau 
Tranche ma langue 
Fais saign­er nos cris

Tranche ma vie

*

 

La mort ne dure pas 
c’est un bref instant 
comme le plaisir

La volup­té est longue longue 
comme la vie
mais le plaisir est bref

Et je me retrou­ve dans 
des bras innocents 
coupable d’amour

Mais ma jouis­sance s’attriste
de n’être que cette courte lueur 
cette flamme de bougie
qu’on souf­fle vite

Et la mort dans la nuit
est longue longue et je ne perçois plus 
‑lumière con­sumée – plus rien

rien que le corps enseveli de l’ombre.

Poèmes extraits de Fenêtre aveu­gle (1996). © édi­tions Librairie-Galerie Racine.

 

HAMAC

Île du bel été flot­tant sur l’eau des herbes 
J’oublie en ton berceau les rumeurs du rivage

Ma vie est sus­pendue à ton balancement 
Je sens couler vers moi les riv­ières de l’air

Je libère tous les oiseaux de ma poitrine -
Mes désirs envolés dans des vagues ailées-

Je remonte le cours des sources délivrées 
L’ombre verte survit aux décom­bres du jour.

 

SEMENCES DE FEU

 

Soleil bougie
Lampe miroir 
Tout te dénonce 
À mon regard

 

*

Le corps dess­iné de l’absence
Dans les draps inhabités
L’âtre éteint – cen­dres vivantes – 
Tu renaî­tras de l’attente

*

Jamais plus peut-être
Tes yeux clos
Sur le secret de ton âme 
Aban­don­née à mes mains

*

Tout est possible 
Rien ne m’attache
À l’ombre de ta vie 
Sur la mienne

*

J’ai rêvé que tu étais en vie 
Ma mort seule
Te déliera de l’énigme
De n’être pas au monde

*

Dans tes bras
Je m’emplis de toi 
J’expulse mon amour 
Dans l’enclos de ton corps

*

Tête d’ange
Renversée
Le plaisir illumine 
Tes yeux éteints

*

Être de l’instant
Tu cherch­es ton image 
Dans les yeux de l’autre
Être de l’instinct

 

*

La nuit partout
Je te suis où tu vas
Tu es en marche
Dans mon rêve immobile

Poèmes extraits de Travaux d’approche (1999). © Librairie-Galerie Racine.

 

La ville me cerne mais de si loin

Murs étroits lavés de soleil
Où glis­sent des ombres stériles

Le sang ne cir­cule plus 
Dans les veines de l’arbre

Dimanch­es bêtes où se promène 
La fatigue Enfants en laisse

Cœurs plom­bés par l’ennui
Broyés par la machine

De si près de si loin s’infiltre un bruit d’ailleurs

Être de l’instant Tu cherch­es ton image 
Dans les yeux de l’autre Être de l’instinct

La nuit partout Je te suis où tu vas
Tu es en marche Dans mon rêve immobile

D’une mer aux vagues fortuites 
Je suis une île que le temps oublie

*

Insup­port­able fatigue d’être soi
Ne plus se com­pren­dre ne plus se surprendre
Je tra­verse le jour opaque où je me perds
Je demande à la vie ce qu’elle ne peut me donner 
Et je refuse ce qu’elle m’offre : don désespéré 
Objets pré­cieux cachés sous le linceul de la lumière

Soudain la pluie tombe et je fuis la terrasse 
Comme si cette eau ne pou­vait baptiser
Un nou­v­el espoir une recon­quête plus facile
De présents éparpil­lés vaine­ment toutes les prières 
Il y aura peut-être d’autres jours, quelques paroles 
            défrichées

Chaque chose est à sa place et je reste immobile

*

Silence creusé au cœur du patio
Puis posé comme une pierre qui regarde les choses 
Sans les voir
Au moin­dre écho d’un signe qui me parle
Tout s’anime en moi
Même l’immobilité de mon cœur
Arrêté de bat­tre soudain

Ce silence-là ne laisse pas de traces
Sur le mur absorbé
Dans la con­tem­pla­tion réciproque du ciel 
Le remue­ment énorme de la mer 
S‘entend au loin pourtant 
Telle une autre parole confuse 
Un Verbe sacré
Incon­nu dans la langue des vivants

 

CHERGUI

Le vent qui me pousse
Vers toi
Tou­jours plus avant
Le vent qui vio­lent m’étreint
Comme le front tes bras
Une aurore encore plus ardente 
Se lève en moi 
Quand se dresse le vent 
Rem­part con­tre le ciel d’écume
Je deviens torche vivante 
Élé­ment du désir vibrant
J’ai sur les lèvres
Le goût des étoiles sans lumière
Je bruis comme les arbres
Je bouil­lonne comme la mer
Je deviens le vent lui-même 
Qui souf­fle le feu
Dans les veines de ta vie

Poèmes extraits de La Lumière est dans le noir (2002). © Librairie-Galerie Racine.

 

Une ombre se profile 
der­rière l’écran du soleil

Est-ce toi ou moi-même 
ou l’Autre ?

Dans l’incandescence du jour 
la nuit se repose et blêmit

Si je t’aime
pour­rai-je sup­port­er ma mort ?

 

 

Le monde se construit dans l’homme que l’on tue.

Christophe Dauphin

Vois           le monde
expulse sa rage dans un souf­fle de mort

Nul oiseau ne répond à l’appel de la paix 
les bre­bis ensanglan­tées ne pais­sent plus

Le berg­er clame au ciel sa prière amputée 
aucun sur­sis pour les bourreaux

Écoute le fra­cas se dissout 
par ma voix qui t’exauce

*

Ton bras dressé dessine
dans l’ombre une blancheur de songe

Oui je crois te voir mais je rêve 
j’illumine d’or ton absence

De mots inven­tés je cou­vre ton corps 
comme d’un linceul étoilé

Explo­rant plus bas que ton cœur 
mes lèvres t’inspirent

*

Je me cache au creux de ton ombre 
comme une œuvre en devenir

Tu es mon unique avenir 
mon présent réconcilié

Ma preuve d’exister            ma chance 
d’être encore par­mi les morts 

Soli­taire déshabité 
un vivant qui respire

Ma planète n’est pas la vôtre. 

Hen­ri Rode

Ils restent là accroupis sur leurs déchets 
les mangeurs de merde aurifère 
Incon­nus à eux-mêmes igno­rants de tout
atten­dant le sol­stice de mort 
qui les foudroiera dans leur gloire 
Tan­dis que leurs âmes fripées 
rejoin­dront le désert de l’île
ren­dant le souf­fle aux berg­ers de la mer

*

Les rêves du désir poussent dans 
la lumière            ros­es d’abîme

Ton corps n’est plus un sou­venir mortel 
mais la réelle offrande de la nuit

Je me sou­viens de tout du moin­dre éclat d’azur
et du pas doucereux de l’ombre qui s’avance

C’est dans la tombe ou dans le feu
que sera enfouie ou brûlée ma mémoire

 

Poèmes extraits de Soleil de minu­it (2010). © édi­tions Librairie-Galerie Racine.

 

 

 

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