C’est vrai   je ne divulgue rien
j’illumine un secret

Gilles Baudry

 

La beauté du titre de ce vol­ume saisit d’emblée, elle est celle de l’un des vers du recueil. Et cette beauté est au dia­pa­son des pages d’un livre qui per­me­t­tra, à ceux qui ne le con­naitraient pas encore, de décou­vrir en Baudry l’un de nos poètes con­tem­po­rains majeurs. Poète de la voix/voie intérieure, et des silences reten­tis­sants, ceux-là même qui trans­for­ment ce monde en cha­cun des instants de la vie. Les poèmes de Gilles Baudry, ici, s’étendent ain­si qu’une marée, en qua­tre temps de taille iné­gale et d’intensité reliée : D’un rêve à l’autre rive, Out­re mesure, Votifs et L’opulence du peu. Ce dernier titre ou ensem­ble ne doit évidem­ment rien à ce que d’aucuns nom­ment le hasard.

Cela com­mence :

 

Seul avec le silence bour­don­nant d’abeilles
et la fenêtre en croix
sur l’absence habitée
 

le coqueli­cot de la lampe dans la nuit
 

seul  à traduire ce qu’on gagne
à vivre dans un lieu perdu
au bout du monde
où tout commence
 

où se penchent les ombres tutélaires
de Sérusi­er   de Max Jacob   de Ségalen
de Saint-Pol-Roux le Magnifique
 

seul avec tous
frère des choses
à écouter sans fin venir
les pas de Dieu
 

la plume à la fine pointe de l’âme
à mains nues
 

j’écris

 

Et cela se passe donc « où tout commence ».
Chaque poète crée cha­cun des mon­des à chaque instant.
Quoi d’autre ?

Ceci :

 

l’envers du monde je le vois   j’entends
des pas de brume qui s’approchent

 

Gilles Baudry est-il ce poète « chré­tien » dont on par­le par­fois ? Un homme tourné vers le Christ, sans doute aucun. Mais un « poète chré­tien » ? Cela veut-il seule­ment dire quelque chose. Evidem­ment, non. Il n’existe aucun poète chré­tien, cette façon de qual­i­fi­er, si l’on ose employ­er un tel mot ain­si, est une hérésie, plus encore quand elle se veut regroupe­ment « d’écrivains chré­tiens ». On nous dit que cela existe et nous avons du mal à le croire. Com­ment une telle âner­ie peut elle être ? Les temps sont bel et bien au règne de la quan­tité autre­fois évo­qué par René Guénon, en tous les domaines sem­ble-t-il. Non, Gilles Baudry est un poète. C’est un état de l’être devenu ce qu’il est, on enten­dra cela en des lieux proches et je m’en réjouis. Que dit Baudry ? Des notes de vie pronon­cées dans ce « par­ler en langue des oiseaux ». La poésie, cela vient de loin, de l’origine même du Chant du monde, de ce monde renais­sant de déluges en déluges. Et cela chante sans cesse. L’arbre de vie est une corde. Et cette corde nous enracine dans des univers de réal­ités dont nous peinons à avoir idée.

Ce par­ler ful­gure souvent :

 

Le ciel est la moitié du paysage
l’autre moitié
 

la presqu’île cloîtrée
par les brumes d’opale
 

l’ombre portée de l’invisible
celle des choses à venir.

 

Fin de toutes les peurs, et ain­si de toutes les pré­ten­dues « pro­tec­tions » en forme de qual­i­fi­cat­ifs qui ne dis­ent rien des êtres. Il y a des mon­des qui vien­nent, et nous chemi­nons en dedans du présent. Nous sommes des mon­des. Quoi d’autre ?

La poésie de Gilles Baudry en appelle au réel né de la « vraie mesure », ce que nous nom­mons ici Recours au Poème, et cela ne va pas sans cet « éton­nement inouï d’être en vie ». Bien sûr, cela est évi­dent, telle­ment il est absurde de ne pas vivre cette préoc­cu­pa­tion à chaque instant.

La poésie de Baudry nous remet à l’ordre, en per­ma­nence devant le mir­a­cle d’être. Car c’est bien de mir­a­cle dont il s’agit lorsque l’on évoque la vie. La ques­tion n’est pas religieuse. Elle est celle de l’extraordinaire beauté de la vie, et de la sagesse archi­tec­turale à l’origine de ce qui est. Nous, et tout ce qui est.

 

Sans la nuit la plus noire
que seraient à nos yeux les étoiles
 

qu’attendre de l’apparition
d’une aube miraculée ?

 

Le poète (je veux dire l’état de l’être que l’on nomme poète) a ceci « d’embêtant » qu’il pose en chaque moment d’authentiques ques­tions. Cela pour­rait être épuisant. Et ça l’est. Com­ment pour­rait-il en aller autrement, depuis l’intérieur même du Poème ? La poésie et la con­science du Poème, c’est être vivant. Lire Baudry, ce peut être, pour peu que ses univers par­lent à ceux de son lecteur, demeur­er en vie. N’est-ce pas que :

 

Il n’y aurait que les étoiles
à rêver tout haut en plein jour
et nous veilleurs

 

Alors Gilles Baudry évoque Ce que peut le poème : « ren­dre au silence couleur et nais­sance ». Il y a telle­ment d’impor­tance dans ces quelques mots, que les saisir en devient presque douloureux. Par­fois, la musique dira ce qui est, comme dans cet Osti­na­to :

 

Las, le temps réduit sa voilure
et dans l’ostinato des vagues
toute la mer se ride, mais
que veut le vent, que veut le vent ?

 

Clig­no­tent, pian­otent les étoiles
le braille de nos insomnies
sur un clavier pour quel noc­turne, mais
que nie la nuit, que nie la nuit ?

 

La nuit est au bout de ses yeux
et la forêt se cache
der­rière ses paupières, mais
que sait la sève, que sait la sève ?
 

Neige pétale par pétale,
cloche s’embrume et s’enveloppe
d’un linceul de silence, mais
que tait la terre, que tait la terre ?

 

La terre ? Cette part fémi­nine de ce qui est devant nos yeux. Que tait cette terre  ? Nous voilà plongés en plein mys­tère. Et toute pen­sée en cette direc­tion ne peut être qu’extérieure à ce que nous con­tin­uons à nom­mer « rai­son », un con­cept douteux.

La poésie de Gilles Baudry, dédiée :

 

à ce qui fait chanter
la sève humaine
sur fond de matinale

 

Une poésie qui sait « la mon­tre inutile / au poignet de l’agonisant ». Alors, le vol­ume se ter­mine néces­saire­ment sur L’opulence du peu pour « don­ner aux mots une présence ». Le corps entière­ment empli de ces mots, l’on se prend à croire en la pos­si­bil­ité de vivre chaque instant en lien avec cette présence.

 

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