Patrick Chavardès, Un ruisseau

Par |2019-03-12T14:44:05+01:00 3 mars 2019|Catégories : Patrick Chavardès, Poèmes|

 

 

I

 

Je désire une fin

sans moyens

Qui voudrait d’ une stèle

je ne désire rien d’autre que

me couch­er sous l’ar­bre et que l’ar­bre soit

comme un arbre

 

Je le désire sans cesse

 

Les pier­res se sou­vi­en­nent que je chantais

et dansent autour de moi

 

J’ai aimé les débuts

je ne sais plus de quoi

débuts de n’im­porte quoi

un pas n’im­porte où

un mot dit à quelqu’un

vrai­ment n’im­porte qui

 

Je me revois 

à Anvers ou ailleurs

un par­mi plusieurs

 

Soudain tu n’y es plus

tu deman­des s’il y a quelqu’un

mais tous muets

même sourds

tournés vers je ne sais quel mur

retournés au temps compté

 

Pierre roule pour moi

sans rien amasser

sois un sourire dans sa voix

une chance qui sait

une image arrêtée

au bord des lèvres

 

A moi de me tourner 

vers toi 

obnu­bilée

vio­les et voiles con­tre le vent

 

Vies ric­o­chets

suées de l’habitude

glace fon­due trop vite

à la fin

le nez dans un ruisseau

c’est la faute à personne

 

un ruis­seau

 

   II

 

Tu t’esseu­lais tranquille

cou­tu­mi­er d’un conte

où les ques­tions s’oublient

sur un chemin neuf

 

Un geste défail­lant aurait trahi ton double

tu n’avais qu’un mod­èle toi

Une nuit te vit nu

vouloir bris­er la glace

 

Ams­ter­dam ou Venise peut-être ailleurs

quelqu’un se gon­do­le de rire

dans la vitrine

les man­nequins tour­nent la tête

 

Sous la caresse d’une muse

ta plume s’est durci

Tu accus­es la glace

de haute trahison

 

Jouis­sance morte et plus de souffle

ton lit est un chemin usé

et ton coeur plus vide qu’une auge

après que la bête a passé

 

Rêver d’en­cre qui sait de Chine

où toute pen­sée s’arrêta

Du rythme des ombres qui dansent

dans la glace suis-je prisonnier

 

Roi peu fleuri de ton vivant

chauve mais pas couronné

tu pleures  de n’être pas pleuré

ni regret­té par avance

 

Peut-être qu’on est déjà mort

du moins ça bour­donne en nous

Mille mouch­es nous attendent

où le temps creusa un trou

 

Aller grand erre mais non

faire des zags et des zigs

pour ne pas voir la route

sous tes pieds 

 

Adieu rites sans flambeaux

où l’élec­tric­ité est reine

je m’en vais porter la plainte

d’une forêt d’ar­bre en arbre

 

puis d’une autre encore une autre

et de toutes décimées

O chanterelle de la scie 

vous tairez-vous à la fin

 

Je plaide coupable

 abus de langage

 gaspillage de papier 

et phras­es inachevées

 

Telle fut cette sem­blance toi

puit de regrets de peurs de doutes

et ces reflets dans la glace

d’une som­bre nonchalance

 

III

 

Je t’ou­blie dans le soir

j’ef­face ton nom ton visage

La mort m’attend

mais je n’y pense pas

 

Tiens je n’y pense plus

il n’est pas ques­tion d’elle

 

Je ne sais pas à quoi tu rêves

ni ce que tu crois être toi

 

Tu prends l’é­ter­nité pour ta mère

Le monde n’est pas une cathédrale

Il est beau­coup trop petit

pour con­tenir une seule prière

 

Qui a jeté ce grand man­teau de silence

sur les épaules de l’éternité

et la mort jar­dinière fauche dans les allées

Je marche de travers

 

pour éviter l’une et l’autre

Je sais que c’est impossible

mais je marche quand même

Je déam­bule à tra­vers les courants d’air

 

je m’élève en pensée

sur un som­met décisif

où je trem­ble de froid

Je t’ou­blie chaque jour

 

Le ciel est si grand

le coeur vide je m’abandonne

je ne sais même pas à quoi

Ce n’est pas triste

 

ni mélan­col­ique ni tragique

C’est une sérénité curieuse

un peu animale

Madame ne fait que passer 

 

une attente sans objet

tourné tan­tôt d’un coté 

tan­tôt d’un autre

mais je ne sais pas d’où le mal­heur viendra

 

J’ai tiré les rideaux sur la jalousie

Un peu de feu un peu de lumière

 j’aperçois les hautes herbes dans le vent

et mon âme danse avec elles

 

Plus de sai­son dit-on

Je déteste aujourd’hui 

cette façon de par­ler sans parler

d’écrire sans écrire

de regarder par en-dessous

comme un catoblépas

 

Toi tu n’é­tais qu’un ange terrible 

avec des ron­deurs nuageuses

qui m’ont fait chanter les louanges

d’un saint que je ne con­nais pas

 

La durée est dans le temps

comme feu dans un buisson

l’in­secte aveu­gle me survivra

 

Paix les mus­es Assez

que faites vous dans ma cave

vous effrayez mon rat blanc

tout à son fes­tin de livres

 

Mais que ferais-je si

ne me con­vi­en­nent ni

les dieux innom­brables et bigarrés

pas plus que l’Unique

qu’il faut crain­dre et aimer

yeux ouverts dans la nuit

 

je préfère la faune hétéroclite

inno­cente et rebelle à tout commandement

mais com­ment marcher ensemble

et rester libre en même temps

 

IV

 

Ne dis pas qu’une inten­tion fait la moitié du geste

ni qu’un hori­zon achève le regard

non 

il le coupe

 

et cette ligne est per­pétuelle prison

 

Un soleil saigne sur la montagne

tan­dis que des yeux enragés refusent la fin du jour

et la crête brise la brise 

tout m’en­flamme

 

O mort d’a­vant la mort

creu­sant une évi­dence si proche d’être nous

une page restée blanche

une page tournée noire

et un silence

 

et com­bi­en d’autres lignes de vie

Toi tu n’en as qu’une

garde la sans la plier

afin que tes paumes fassent un nid 

Quelle chance cette langue de boue

 

cette péri­ode ran­imée par le vent

N’aie pas peur d’un ruisseau

 

dont la pente t’épuise

couche ta phrase à terre et dors

le dernier mot n’im­porte plus

il t’emporte

Der­rière cette ligne une autre vie

 

Présentation de l’auteur

Patrick Chavardès

Patrick Chavardès est né à Mont­par­nasse en 1950 de par­ents écrivains. Après des études de let­tres mod­ernes et de philoso­phie à Vin­cennes, il enseigne quelques années en ban­lieue parisi­enne. Puis il voy­age en Europe et en Asie. EN 1996, Il s’in­stalle en Bour­gogne où il ani­me des ate­liers d’écri­t­ure. En 2005, il crée les édi­tions Le Limon (réc­its, poésie, essais).

P. Chavardès fait des lec­tures publiques de ses textes, quelque­fois accom­pa­g­né de musi­ciens. Cer­tains de ses livres ont fait l’ob­jet de mise-en-scène théatrales.

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