Dominique Ottavi : En passant et A deux mains, demain

Par |2019-05-04T19:13:27+02:00 4 mai 2019|Catégories : Dominique Ottavi, Poèmes|

 

En passant

 

Écrire pour voir ce qui s’écrit quand on dit : c’était écrit. L’incessant jeu du chat et de la souris sur le boule­vard des mots, la jetée du langage.

Les maîtres d’école ne sont peut-être pas allés à la bonne école. Redire qu’on n’a rien à dire, puisque vivre est une den­rée périss­able et qu’il faut bien l’écrire.

Écrire le vide. 

Bâil­lon­ner la bayadère, 

Pour mieux venir

Bat­i­fol­er

Autour de ses baskets

Le cœur piano

Ma non troppo

La rage aussi

Et la Musique !

Il manque juste une note, une bien seule, bien voulue, qui se coud bien aux autres notes, juste une note, ‑non, pas l’Orénoque ! juste une note qui saura pren­dre, au cas, la poudre d’escampette, pour ne pas avoir à vom­ir sur la car­pette. Juste une note qui ne se tienne pas à car­reaux en toutes cir­con­stances. Une note comme on n’en fait plus, quoi ! depuis belle lurette, une note alou­ette, cousue de fil blanc, — on l’avait bien vue déjà se coudre à ses sœurettes, ses con­génères, ses col­lègues, ses com­pagnes de for­tune, ou d’infortune, une note qui ne se prend pas la tête, qui ne se plain­dra pas, ne gémi­ra pas, ne pleur­era même pas, une note qui détonne dans ce paysage ambiant de mau­vais­es notes (votre dernier bul­letin est nul ! ) les pauvrettes. 

Chaque fois que j’y pense, je la revois : ses beaux bas blancs, son busti­er généreux, ses cheveux de haute lutte, genre chou­croute, mais là c’est quand ça s’accélère, ça veut s’accélérer, ou faire sem­blant… une touche, une note Ménil­montant, ‑mais pas si haut que ça- une note qui se voudrait notule, ren­voi en bas de page avec les astérisques, les chiffres, les colonnes jux­ta­posées pour plus de lis­i­bil­ité. Une note d’envergure, une note d’Académie découron­née, une note de la rue où elle n’en mène pas large, une note de zéphyr doux, qui t’émotionne par les deux bouts, une note qui pleure, une qui s’en fout. Ces mots devi­en­nent fous, fous d’elle ma note belle, bout de ficelle qu’on promène, à qui on fait la courte échelle, mais non, c’est plutôt elle qui nous la fait, appelant les mots à la rescousse.

Je ne vais pas au bal, non

J’attends qu’il pleuve

Ils vivent dans du papi­er buvard

La main sur la crosse

Du cœur.

Je n’en demande pas plus que ça. Les chiens sont sur les toits et la lune a froid. Demain, nous sommes prévenus, le retour se fera oblig­a­toire­ment par les quais, à cause des meurtres au cen­tre-ville. Il y a des soirs, il y a des matins, et au milieu, il n’y a rien. Que des regrets. Non for­mulés. Qui, je me le promets, ne se chang­eront pas en remords. Ceux qui cara­co­laient en tête ont mor­du la pous­sière. On ne leur en saura pas gré. Tu as passé le gué trop tôt pour toi, ta vieille car­casse de matelot naufragé, épave sub­lime du faux-sem­blant, et de la vraie générosité. Tu savais ce qu’il t’en coûterait, pour­tant tu l’as fait. Les fées sont des chip­ies et les chip­ies pis­sent encore au lit. On se demande qui est le plus fier : le loup des steppes, ou la ménagère ? A l’ouest une drôle de lumière immo­bile, sta­tion­naire, qui n’est pas, à coup sûr, une étoile. On se perd en con­jec­tures. Le silence est une valeur sûre. Je n’ai rien dit au vent. Pas pu. Il était occupé avec des filles qui ne le lâchaient pas. Ah ! La survie par l’écriture, la flo­rai­son par la bou­ture, ce mine de rien qui t’amène droit à la décon­fi­ture. Je suis dic­té ? Oui, oui, oui, tel une machine de guerre qui répond aux ordres, venus non d’en haut, mais d’en bas, enfin plus bas, vers où crêche le cœur, ce qu’on appelle par ce nom-là, mais moi je ne l’appelle jamais, il vient tout seul, suf­fit que je me tienne prêt.

A la volée

A la sauvette

Les mains liées

Le cœur plié

Sans piétin­er

Ni rebrouss­er

Chemin

Droit à la ligne

Point à la ligne

Recom­mencer

Renaître

Résis­ter

Ne plus se sauver

Juste être là

Sauvé déjà

doigts de ta main dans ma main de mes mains sur tes seins je rêve beau­coup de toi j’ai refait le chemin mille fois sur mes doigts timide et incer­tain, j’ai lâché mes bateaux dans le vent des oiseaux j’ai craché mon désert comme un chant sur tes lèvres, je rêve beau­coup de toi la porte grande ouverte sur mon chemin de croix où s’enfle la pous­sière, il y a longtemps déjà, ces mots qui ne vien­nent pas qui dis­aient : revenir, je t’aime, ne plus souf­frir, je vous aime comme un tau­reau, je vous aime comme les ani­maux, libère-moi de la colère et redonne-moi ton chant, je ne t’ai plus vue je m’en sou­viens et ce silence et ton absence et tes lèvres ser­rées si blanch­es quand je t’aimais, les yeux du vent les dieux de la pluie, un jeune pales­tinien a jeté des grenades dans la gare routière, 64 blessés, sans com­plice, on est les rois du monde, une de mes plus belles his­toires d’amour dit Éric c’est quand j’avais 15 ans, on avait creusé un tun­nel dans le sable pour touch­er la main de celle que j’aimais, l’ultime enfance, j’ai croisé la dame sans lit, au revers de sa robe ma chance, mon dernier ali­bi, mon beau totem je t’aime je t’aime je mens je rêve pous­sière d’étoiles fille du vent tisse ta toile à Hurlevent y’a plus rien à vol­er dans le château han­té y’a plus rien à sauver dans le château aban­don­né, j’ai remon­té le temps à pas de loup, j’ai remon­té le temps je ne t’ai pas crue je ne bois plus je tiens en respect tes bais­ers ne bouge pas ça ira, bon­net de nuit gar­di­en de cimetière, tu seras comme la nuit sans boire et sans manger, sans répit sans souci, sans débit, juste lu, à peine com­pris dans le ttc, et pour­tant ressus­cité d’entre les pluies au qua­trième jour cinquième coup du gong, inachevé inac­com­pli évanoui, un nain noyé dans ma prose qui se joint les mains comme un jeune fauve à l’abandon, des alou­ettes pleureuses, rev­enues de la pous­sière s’invectivent en braille entre le manuel et le cahi­er j’ai peu pris d’exercice mais je t’ai tenu bon les mains quand il fal­lait, mon sang était le refrain, me voici client au café étu­di­ant où nous avions déje­uné hier avant-hier autre­fois demain, des chiens courent lente­ment, la pluie tombe sans y touch­er et j’ai un courant d’air sur la nuque qui me par­le de toi partout, qu’est-ce que je dis là ? il n’aurait pas fal­lu couper court aux démon­stra­tions con­v­enues par haine de la dém­a­gogie, mais si elle est bleue que ne ferai-je ? mal habil­lé mal­adroit, je me moque de moi de mon cœur qui bat comme ça, comme s’il n’y avait jamais eu ces années écoulées à vivre chercher com­ment pourquoi vivre comme aux pre­miers jours, ado­les­cence, sou­venir du mon­sieur qui se fait vieux douce­ment, con­ven­able et solide ce qu’il faut la table est ban­cale l’expresso refroid­it, c’est vrai nous sommes seule­ment same­di, pas dimanche, pourquoi dimanche ? cette impres­sion de grand vent calme où se nouent douce­ment les écharpes d’un autre âge, long silence habité sans hâte comme un repos d’enfance un aban­don au rêve du temps nos âmes fortes et crain­tives sou­vent avant qu’on n’ait jamais rien com­mencé, débuts titubants dans la vie qui t’appelle, forêt vierge de tout savoir, doute, con­nais­sance, tu sais bien que tu iras, mais tu prends le temps puisque tu l’as, le temps de te décider et déjà tu as fait plus de la moitié du chemin, nous ne vivrons plus longtemps, com­ment as-tu fait ? ah je ne savais pas, allons, pas de hâte non, allons, allons, en route mon fils, prends ma main, con­duis-moi où je dois, c’est là aus­si qu’il te faut

Tu n’as pas voulu met­tre les flûtes à la fenêtre. Le renard dans le poulailler. La Grande Ourse dans le plumi­er. Cro­quig­no­lesque, votre Altesse !

Tu n’aurais pas eu le temps de t’attendrir, de chérir le couch­er du soleil, de frap­per du plat de la paume les belles vagues de la mer. C’était un jardin à deux sous, plein d’herbes folles et de gros cail­loux, il y avait cet arbre cen­te­naire au moins, tout rongé par le vent et les embruns. De la mer. On y venait comme à l’office, au sacre, au mariage en blanc du ciel et de la terre. La mer pour témoin. Ses vagues, garçons et petites filles d’honneur. Nous fil­ions doux quand on appor­ta les pro­vi­sions et les bois­sons. Per­son­ne ne se pré­cipi­ta. On tâcha de rêver le plus longtemps et le plus loin pos­si­ble, avant la nuit. Et la nuit est venue comme tou­jours, beau­coup trop vite. Le rêve de l’ange est la sœur de son com­pagnon d’infortune, ou de for­tune si l’on préfère. J’applaudis comme la foule : à tout rompre. Rompre quoi ? Tout ? Vous êtes sûrs ? En êtes-vous vrai­ment sûrs ? Demain est le jour du radis, du pois­son, et des salsifis.

 

À DEUX MAINS, DEMAIN

 

Per­dre peu à peu le contrôle

Jusqu’à ce que je t’aie perdue 

Avec le contrôle

Mais je me refais bien

Comme ce cri tu te souviens

Qui mon­tait de l’estuaire

Réper­cuté sur l’acier rouil­lé des grues

Des monte-charges

Des engins de levage

Comme nous sommes confondants

Et con­fon­dus tout à la fois

Et con­tents

La volière a pris le large

Nous, le chagrin

Le vent est en panne sur la presqu’île

Alors il se fâche et râle

Nous rions de bon cœur

J’aimais cette odeur de ta peau

Qui demeu­rait longtemps

Sur la mienne

J’aurais dû alors

Le savoir

Mais en ce temps là je croy­ais tout savoir

Ça nous a perdus

Même pas mal

Même pas grave

Nous mour­rons quand même seuls

Célébrant la vie

La beauté du monde

Au creux de tes paumes

Celle de ton visage,

De tes doigts sur mes doigts

De tes doigts dans mes doigts

De mes doigts dans les tiens

Et nos paumes confondues

Qui fleuris­sent

Qui bour­geon­nent

Qui s’épicent

Qui papil­lon­nent

Qui s’éclipsent

Face à la représentation 

Des divinités aux mille bras

Dans un pépiement d’asphodèles.

Il y a ceux qui ploient sous le poids du des­tin, et ceux qui le bravent, le destin. 

C’est un monde peu­plé de signes.

Un monde de gestes : cer­tains le bravent, d’autres croulent sous son empire.

Un monde de gestes, un monde de signes. Vocab­u­laire de la rhé­torique, de la pein­ture, de la danse, de la scéno­gra­phie bien sûr, de la musique, de plus…

Allé­gories, oxy­mores, métaphores, métonymies, la langue des signes, et celle des cygnes. L’illustratif, le démon­stratif. Le souligne­ment, le sur-lig­nage. On y danse la valse-hési­ta­tion, la valse de Vienne, le som­bre tan­go, reg­gae et bour­rée, hip hop, tamouré et catastrophe.

On y cache sa pen­sée. On s’y con­tred­it, en gants blancs dans la nuit.

C’est un monde que ce peu­ple-là, on y trou­ve tout le monde, mais on se croit con­traint de devoir chercher chacun. 

On entrevoit les dépendances. 

On a les extrémités qu’on peut

Qu’on ait le bras long ou pas

Des doigts de toutes fac­tures, de toutes manières, de toutes façons, bagués, manu­curés, défor­més, dif­formes ou comme des os, rongés.

Des paumes par­ti­c­ulières, à ori­en­ta­tion vari­able, et var­iée, pleines de courants d’air, de tré­sors dis­simulés, mou­fles ou mitaines, ou l’air du large. 

Maintes fois j’ai atten­du, applaud­is­sant, à tout rompre, demain, ce demain tant guet­té, le tant atten­du. Et bien, ce n’est pas bien malin de rompre demain, fut-ce en applaud­is­sant, ou alors tu n’en attends plus rien, de demain. Et demain se met donc le doigt dans l’œil, et passe, sans même prévenir, sans même un signe. Et le temps est décon­fit, il lui manque depuis tou­jours quelque chose de con­sti­tu­tif de son être : demain !

Qui n’écrit plus, non plus : abolie, la plume ! Qui ne sait plus com­ment se maintenir. 

Et dans ce siè­cle à mains, l’écriture du corps, c’est la leur. Puisqu’elles sont bien en pos­ses­sion des cartes : car­reau, cœur, trèfle, pic. Dans le désor­dre, et panachées. Pok­er menteur. Je passe la main, celle de dieu, celle de dia­ble, d’Orlac. Celles de Vic­tor Jara, coupées au ras des poignets :« Et bien joue et chante à présent… ». Et il chante à voix nue. Même à mains nues. À mains dites. À mains coupées. En dépit des doutes. En dépit des dires. Et le peu­ple se rassem­ble et se prend la main. Et toi, doré­na­vant, qu’as-tu main­tenu donc ? Rien d’autre qu’une ligne de vie, brouil­lée. Qu’une ligne de cha­grin ? Alors te revi­en­nent du plus loin que l’enfance, les mains oiseaux, qui volent seules, telles les mains du man­chot qui a encore mal à sa main, absen­tée depuis quand ? Main des con­tours. De l’amour. Manomètres. Blaise, sommes-nous loin de Montmartre ?

Non, je n’ai rien vu, je vous dis. Rien fait qu’entrevoir, de mon débar­cadère bleu, (je n’y suis pour rien), seul tou­jours et sans cesse la main mise à ma soli­tude, ma pâte. Et la soli­tude renâcle. 

« Je ne te crois pas, je ne vous crois pas, mon petit doigt me le dit, et mes mains aus­si, qui trem­blent : j’ai per­du le sens du temps, mais le temps n’a pas de sens ! Le temps est insensé » 

Ayant fait lien par leurs deux pouces, ombre chi­noise, elles bat­tent des ailes et finis­sent par s’envoler donc, 

Mal­gré l’horreur, mal­gré leur peine. De l’aigle à l’étourneau. Du busard de plomb au pigeon per­du par­mi les coqueli­cots. Elles se sont faites oiseaux, vrai­ment, ne se fer­ont plus avoir par l’appeau, Puisqu’ à présent elles sont le ciel, et que le ciel ne se rend pas, jamais. Paumes et doigts. Ciel et terre. Par­adis et enfer. Mains soleil. Qui volent haut. Et sig­nent. À voix blanche. À mains nues. À mains pleines.

Vous l’aurez com­pris : je me régule comme je peux. 

Je ne suis pas une cat­a­pulte, juste un épieu. 

Un épi ?

La main est au geste ce que l’appeau est à l’oiseau. La vit­re au car­reau. Quand les fils de la vierge s’enroulent sur les doigts de ciel. Il manque juste la fleur de trop. Un bruisse­ment de feuilles. Une brusque incli­nai­son de la lumière tombée. Les mains qui se dérobent. Je cher­chais dans le ciel quelle ques­tion ? Dont j’avais depuis longtemps la réponse. Incan­des­cente. Qui me brûlait l’intérieur de l’âme. De la viande. Depuis si longtemps. Cher­chant au loin des repos guer­ri­ers, des relâch­es d’âme, des larmes non retenues, absorbées par le sable. Con­sen­tant. Ma mie, te sou­vient-il de la marée mon­tante, l’hiver, le sinagot éven­tré, par notre faute, notre impru­dence. Il pleu­vait. J’avais les mains en sang. Et ma caresse sur tes lèvres y a lais­sé du sang. La faute à mes mains. À la pluie. À l’hiver. Au vent. A la marée qui descend, au même cauchemar d’enfant, quand le bateau bleu et blanc où je suis seul fout le camp vers le large, l’horizon désert, et je n’ai pas peur, passé au-delà de la peur avec l’image de ma main gauche sur le car­reau glacé pois­seux de buée, c’était en 1956, ma main s’est refer­mée sur elle-même, je lui ai trou­vé un refuge près de mon cou et n’ai plus bougé pour que per­son­ne ne puisse croire que je ne pleu­rais pas avec les autres. Et puis le print­emps, toutes ses dents, les qua­tre dents du trèfle que ma main fauche à foi­son et je me redresse dans le soleil, ma main en visière, le cœur en ban­doulière, affec­tant une ou deux de ces pos­es qu’on croit réservées aux cabots, cabotins. Mon teint est-il au mieux ? Ma vie vous fait-elle envie ? Voyez, je la partage bien volon­tiers. Don­nez-moi la main, je vous tends la mienne, celle du cœur bien sûr, le sen­tez-vous, bien bat­tant, bien à vif, bien au pic de cette émo­tion venue de votre main dans la mienne, qui que vous soyez, ou de la mienne dans la vôtre. Je sais quels fris­sons je suis capa­ble de laiss­er se propager de mes mains, douces comme la crème, qui n’ont jamais tra­vail­lé, non, pensez donc, juste joui, à tout pro­pos, toute occa­sion, et quand le fris­son n’est pas au ren­dez-vous, je le con­voque tou­jours, puisque je suis le maître, la main de mon des­tin. Plus besoin de rire. Tu n’avais qu’à repren­dre le cours de ton cours. L’ennemi rit. La mésange pâlit. Tu sauras bien retrou­ver ton chemin, mais ton âme ? Alors tu abat­tras les cartes sur la table de bois du bistro de la dernière chance. Il y aura un nain, et il y aura une dame. Nous, nous serons autour, fous, incer­tains. Iden­tités dou­teuses et objec­tifs dépareil­lés. La nuit aura joué. Je n’aurais pas encore per­du. L’aurore s’occupe des cou­plets. Le refrain est annon­cé, ven­du d’avance : dis, quand revien­dras-tu ? Et cette pléni­tude de savoir au moment de com­pren­dre que ça ne se pro­duira jamais. J’aimais les élé­gantes et igno­rais les par­jures. La calotte du prélat est un sou­venir sur la plaine quand les cav­a­liers d’un coup de sabre la lui ont fait vol­er par-delà les dunes de sable, les lunes de mar­bre. Comme il était déjà tôt j’ai refer­mé la fenêtre. Tes mains étaient ouvertes vers le ciel, mais ton cœur fer­mé comme celui d’une demoi­selle qui cal­cule à tout moment ses chances d’être arrimée ou répudiée. Alors le plus sou­vent, elle se répudie d’elle-même. Ne te reste plus que le sou­venir de l’odeur de ses mains, cette fra­grance entre trois lignes, iden­tité éro­tique dont elle pré­tend n’avoir don­né qu’à toi seul le secret, beau sire, bon sire, escroc, par­jure, duel­liste, cor­rompu ! Qui es-tu ? de quel bois te chauffes-tu ? Il y en a qui ne restent qu’indécis et il fait froid par là-bas…

Un excès de main peut faire taire le silence

Le para­pluie de ta main 

Sur la pure faconde du jour

Elles ont fait le tour

Elles ont fait le jour

Elles ont fait l’amour

Mes filles fleurs

Mes filles femmes

Elles ont tout donné

Sans rien garder dans les paumes

Elles ont cousu les bouches

Des menteurs des errants des malheureux

Le bâil­lon pour les traîtres

Recueil­li le sang et les larmes

Apaisé l’enfant

Le vieil­lard

Et l’aveugle

D’une sim­ple imposition

Non rémunérée

Mes mains ne sont pas dans l’annuaire

Ton vis­age non plus

Et pour­tant ton vis­age sans mes mains…

Et pour­tant mes mains sans ton visage…

Main veux-tu, main crois-tu ? Main menteuse, ébou­rif­fée dans tes cheveux défaits. Main songe, main con­te, maintes fois repris au début, au com­mence­ment, il était une fois, bien avant les mots était la main. Ou plutôt les mains. Depuis elles se sont défaites, séparées, cha­cune toute à sa lib­erté revendiquée… qui n’est que de chercher une autre main ailleurs, à ser­rer, à caress­er, à implor­er, pleu­rant et san­glotant et revenant sans cesse à la même chan­son : « donne-moi ta main et prends la mienne… » Et pour­tant, nos mains le savent bien, il n’est jamais fini le temps de l’école… Quand l’intelligence vient aux mains, les maîtres du monde ont du souci à se faire. Je ne sais pas si la terre est ronde mais je sais que ta main est blonde et mon désir comme une mappe­monde où ta main pointe un à un tous les points de con­ver­gence, tous ceux de la diver­gence, ter­ri­ble engeance. Les mains visières et les mains para­sols, avec un grand mou­choir à car­reaux ou pas. Les mains qui te son­nent, celles qui te som­ment. Celles qui passent en courant d’air et celles qui s’attardent, der­rière la porte de der­rière. Les mains de l’antichambre et celles de la cham­bre, les mains qui tri­ent, qui plient, qui creusent, qui revi­en­nent pour mieux repar­tir et puis s’en revenir sur la pointe des pieds, sur les galets rom­pus par nos pas répétés. Où est-elle cette main de Dieu, et cette colombe qui un beau jour, un beau matin a fui sa paume ? je me demande ce qu’il restera de ce bal­let des mains, tous doigts con­fon­dus, toutes paumes tour à tour ouvertes en grand ou fer­mées en petit, tout petit. Les mains sont une vue de l’esprit, une métaphore de ses ébauch­es de phras­es con­trites, ou bien la jouis­sance pure de son envol par-delà les ter­res arides et les con­trées du vide. Nous sommes les lieu­tenants des mains, nous en sommes les domes­tiques, elles qui ont pris à deux mains tout le cœur qui restait, à la fin du ban­quet, et qui ser­rent, qui serrent…

Mains baladeuses, un monde de signes qui se dessi­nent dans l’espace en trois dimen­sions, voire qua­tre, absciss­es, ordon­nées, temps, espace, éter­nité fugace de l’instant qui se dit sans un mot, à toute main.

Béné­dic­tion, couper le pain, charia, couper la main, couper la tête, ren­tr­er les foins, caresse de la main qui caresse la caresse de l’autre main qui se tend, accueille, se referme sur la pre­mière sans chercher à l’emprisonner pour autant, mains de l’amour, tou­jours séparées, à jamais, tou­jours néan­moins cher­chant à se rejoin­dre, à se reli­er, se fon­dre, ne faire qu’un, qu’une, que deux du même, touchant, pal­pant l’éternité demain et tou­jours main­tenir les jeux qui ne sont pas de vilains, mais du des­tin les signes, des­tin qui s’accomplit et se révèle par l’ingéniosité aimante des mains qui ont le choix sans cesse d’aimer ou de haïr, de délaiss­er ou d’accomplir, jeux de mains, A Mor­ra, main tenue, basse con­tin­ue… Lorsque tu te réveilles lourd de sens, décalqué dans une sorte d’image éter­nelle de ce que tu aurais pu être, et que tu ne sais pas à qui don­ner cette chance.

Monde des signes, qui soulig­nent le pro­pos, même s’il est hors de pro­pos, à cet instant, ils le mon­trent, désig­nent, ou bien en tien­nent lieu quand l’oreille est sourde et la bouche muette. On s’en remet alors aux mains, aux signes, aux poignets, aux paumes, aux doigts. Il ne s’agit plus alors de soulign­er, de con­tredire, ou d’infirmer, mais bien de se substituer.

La main se dresse et dit : « Char­mée, vrai­ment, charmée… »

Mes mains ne sont pas dans l’annuaire

Ton vis­age non plus

Et pour­tant ton vis­age sans mes mains…

Et pour­tant mes mains sans ton visage…

Tu le savais pourtant :

De demain à maintenant

On remonte le temps

À mains nues

Et sans assur­ance, ni casque, ni corde, ni képi.

À demain.

 

© dominique ottavi

Présentation de l’auteur

Dominique Ottavi

Poète et chanteur corse et libertaire.

Homme de paroles, c’est un poète qui chante, un chanteur qui écrit, un écrivain qui con­te, un con­teur qui musique, un musi­cien (cetara-cistre tra­di­tion­nel corse -) un comé­di­en-acteur, qui joue, toutes les comédies du vivre, du sen­tir et du dire, paroles nomades et voix multiples : 

omu di parolle, hè pueta chì can­ta, can­tar­inu à scrive, scrit­tore à fà fole, fulaghju à musicà, musi­cante à rifà e cume­die tutte di u cam­pà, di u sente è u dì, parole vagabonde è voce propiu à voli ne più : 

Dominique Ottavi /dumenicu ottavi

a pub­lié, ces dernières années, une ving­taine d’ouvrages de lit­téra­ture et 15 albums musi­caux de ses compositions.

  • 1964 sur scène, Angers, salle parois­siale ? pre­mier con­trat rémunéré accom­pa­g­né par ban­jo, douze-cordes et con­tre­basse, réper­toire Hugh­es Aufray, folk et com­pos personnelles.

  • 1966 : monte à Vannes sa pre­mière pièce : Léo­ca­dia de Jean Anouilh, mise en scène et comédien

  • 1967–68 suit the Liv­ing The­atre, de Julian Beck et Judith Mali­na à tra­vers la France, et l’Europe. Apothéose au Fes­ti­val d’Avignon, qu’on empêche, 68, tous tout nus dans la rue… Décou­verte du corps, nudité, expres­sions cor­porelle, yoga, médi­ta­tion… révolte.

  • Ren­con­tre avec Léo Fer­ré, le suit sur la route pen­dant sa tournée.

  • Devient le « Jean-Pierre Léaud » comé­di­en favori de Joël Farges ( qui fondera plus tard la revue : Ca Ciné­ma) dans trois court-métrages dont : « Des vagues, des mers »

  • le reste à suivre

blog per­son­nel : http://www.dominique-ottavi.com

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