La poésie d’Antoine Emaz
poésie
du peu
de l’intensité
ouvragée
comme
de
la pierre
jusqu’à
ce que
le petit
marteau boucharde
à deux têtes
de la langue
bute
sur le nœud
de l’être
*
**
poésie
du peu
mais c’est
pour
que soit touchée
sous la
peau
par le rifloir
des mots
- étincelle
son mat -
l’écorce
de l’être
aussi dure
que du marbre
*
**
poésie
du peu
mais
c’est
pour
que
résonne
par-delà
les mots
le son
de l’humain
perdu
dans la débâcle
des jours
ordinaires
et se
raccrochant
à sa finitude
comme à un
fil de nylon
polyamide
blessant
les paumes
*
**
seulement
l’humain
avance
même
immobile
il continue
*
**
poésie
du peu
comme
flèche
lancée
au cœur
de
la cible
du silence
pour que les
vibrations
de la flèche
fassent
résonner
le silence
et dans
cette résonance
montrent
la façon
qu’a l’humain
de se tenir
debout
même si
c’est
au bord
du vide
qu’il a
en lui
et qui est
le vide
naissant
des violences
que s’infligent
partout
tout
le temps
les hommes
entre eux
*
**
poésie
du peu
pour dire
l’humain
marchant
se tenant
debout
avançant
sur la crête
des heures
creuses
pattes
d’oiseau
mal
habile
en déséquilibre
constant
sur
la vague
*
**
l’humain
vit
et dans
cette vie
qui est
la sienne
il
lutte
pour ne
pas sombrer
dans la tiède
pensée
du désespoir
Courte anthologie
quand le dehors
au lieu d’emporter
pèse
ça bascule
simplement
le temps revient
en années de pierre
d’un seul coup
plus lourdes
rien plein
cette suffocation
à l’origine
***
les mots s’en vont
plus loin
reste
la peur
abrupte devant
levée
cabrée
et le corps vite se serre
on ne voit plus
un silence dur
dedans
à expulser
***
on ne sait pas quoi
en face
glace
tête de terre brusque
silence
sans savoir cette chose
devant
une levée de terre
comme une face
boue debout devant
mouvant
ébauche instable
sol
et la peur
***
les mots fondent
cette terre
bouge
épais remous
dedans dehors
la boue bruit
sous la langue
et s’accroît monte
gueule force brute
dans la bouche
on entend comme son rire
quand elle happe molle
vite
***
en main
peu de mots restent
secs sûrs
osselets
extraits de C’est, « Rien plein »
dans la pluie et le gris
quelle résonance confuse
s’obstine
dans ce froissement
d’air et d’eau
sans mots
un pan de passé
tire en arrière
un épais vent d’eau
aussi lourd que ce temps
***
on n’en sort pas
ça passe et chacun terre
ses morts vite ses rêves
chacun dedans pèse
son poids de figures vite
vues perdues
on longe
***
reste du temps devant
mais on change mal de route
avec cette gêne
ce sac
il faut trop de temps de mots
pour vraiment voir et
se repérer
un peu
en attendant
ce qui gagne sur nous
prend visage
comme une figure de rien
et cela n’émeut pas
mais colle au sol
atterre
extraits de Peu importe, « Ça passe »
on arrête là
on ne sait quel paysage bouge rouge
au fond de l’œil
un peu comme un battement assourdi
une houle née loin venue rouler tomber
encore
ici
la nuit
tremble
***
malgré tout
cela s’écoule sale peut-être mal mais finit par trouver un chemin une veine à travers la bouche la mémoire la radio les images
passant le bruit les mots
une sale seule couleur
s’établit
fait fond
rideau
on descend
là
c’est fini
***
demain
de nouveau on ira sans doute vers rien que ce pays encore bien sûr on ira de l’avant dans le même jusqu’à quoi au bout de la ressemblance du même forcé jusqu’à quoi
d’autre
extraits de Fond d’œil, « Fin »
on a fini la journée
on pose les outils
chacun son barda
son blindage
il a fait jour
pour le reste
on n’est déjà plus très sûr
***
on entre dans un autre temps
d’un coup le jour a basculé sur un autre rythme
assez pour détendre et pouvoir
de nouveau demain
tendre
un jour
chacun seul devant
ce qui reste à faire
et défaire avant d’être
seul
chacun peut-être tous de même
on souffle
***
à force
la mécanique du corps
s’use
on le sent mal
on fait comme si c’était
de rien
on sait que ce n’est plus
du temps a fui
chuinte encore faible
brusquement voir sa peau
comme une vieille chambre à air
on retourne au blanc
soir clos
on éteint
extraits de Soirs, « (7.01.97) »
à un moment le soir la lumière
la glycine fond dans le ciel
c’est très court de couleur
on ne sait si ça peut
figurer dans les mots
cette double nuit bleue
à la radio loin la guerre
la violence proche les morts
sans noms leur nombre
dans la fleur de nuit linceul
pigment poussière histoire
le poème aussi s’en va
où
parmi les mots qui flairent
aboient cherchent aboient
quoi quand
tournent encore des rapaces
aux ailes pétrolées
ou des hirondelles folles
dehors moins d’air
on pourrait dire ça
comme ça
extraits de De l’air, « Bout de temps (2.04.02) »
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