Philippe Labaune, Tokyo drone et autres poèmes

Par |2019-11-11T06:18:31+01:00 6 novembre 2019|Catégories : Philippe Labaune, Poèmes|

 

le général me dis­ait on pour­rait être des héros juste un jour je crois me dis­ait des héros  je marche vers mon ren­dez-vous vers ma totale dis­pari­tion je marche dans Yana­ka Gin­za l’heure du silence et tout fer­mé les bou­tiques les petits marchands les jou­ets lumineux les odeurs de cui­sine rien rebel rebel m’avait-on chan­té dans le bureau de l’ambassade cette nuit en me don­nant l’adresse – 54 —  et main­tenant au petit matin dans la rue vide le métro aérien les fils télé­phoniques j’avance en dansant courbe de la rue façades aveu­gles tout écrit dans la ver­ti­cale tout clos courbe du pont sus­pendu je suis la tache de couleur élec­trique dans cette carte postale en noir et blanc je penche je pense à l’amour que j’ai pour elle qui brise mon cœur en deux cho­rus des cuiv­res je marche dans un film muet tout dans la tête je suis l’agent dou­ble et secret je cherche le con­tact l’indicateur le mys­térieux por­teur de mes­sage — nom de code Xenon —  tout ce silence autour de mes pas je marche et n’avance pas comme dans la brume en mon roy­aume soli­taire je suis une étoile noire en pleine nuit l’adresse n’existe pas le monde vide les ondes invis­i­bles autour et en moi un désert urbain c’est l’accident indus­triel mon cœur en fusion comme une légère vibra­tion dans l’air mes pieds touchent à peine le sol dans cette avancée sta­tique un monde dess­iné au cray­on mon nom partout sur les enseignes illis­i­ble mais partout le monde s’est ouvert à mon pas­sage je regarde à gauche grilles bais­sées ombres col­lées aux parois métalliques — où es-tu Xenon ? — je regarde à droite palis­sades le ciel à dix mètres porte tes yeux par ici Xénon où que tu sois ton mag­a­sin vend des coquilles d’oeufs je suis au par­adis mes cica­tri­ces ne se voient pas et main­tenant je cherche ta main et sa clef m’a dit le général une clef pour faire son office le ciel si blanc et opaque sur mes yeux et le sol noir de graphite un jour tout le monde me con­naitra la rue en courbe immen­sé­ment vide comme morte regarde par ici mec je suis en dan­ger je n’ai plus rien à per­dre je plane si haut au ras du sol que ma tête me tourne — ça ne me ressem­ble pas ? pens­es-tu — je suis le mer­le bleu celui qui décode les clefs — d’où vas-tu venir mon amant secret mon agent ter­ri­ble ? — je vivrai comme un roi dans cet extrait de rue en courbe ne penser qu’à ton cul mon caché mon innom­ma­ble j’ai des cica­tri­ces qui ne se voient pas et que je te mon­tr­erai – le texte dévisse peu à peu — à hau­teur du 53 à deux pas puis 55 manque une case une fis­sure dans l’espace un blanc dans le regard une per­cée une ouver­ture où saisir la clef Xénon j’appelle ma voix ne sort pas rien pour faire vibr­er l’air agiter les radi­a­tions comme s’il y avait un calque sur l’image dans laque­lle j’avance – aucun retour pos­si­ble — cri blanc déchi­rant Xenon mon secret approche-toi tends le bras le général m’a pris les mains hier et nom­mait les lignes mon général au teint pâle — non pas demain main­tenant — le fou dans la zone chaude la musique est à l’extérieur elle cogne sur les parois du ciel de craie et je marche entre deux murs de rythmes et j’ouvre la gorge pour chanter la sale leçon du chœur pour t’appeler Xenon je te sens l’enfer der­rière les rideaux de métal quelque chose dans mon ciel quelque chose dans mon sang qui cogne pour toi la clef la clef la clef qu’arrivera-t-il quand tu la poseras dans ma paume je ne ver­rai même pas ton regard ton vis­age impos­si­ble dans la nuit tout le sou­venir des années mortes s’il y avait seule­ment une sorte de futur je crois que j’ai per­du mon chemin je suis cinq ans de plus dans Yana­ka Gin­za et ses fan­tômes — où sont-ils tous ? — pau­vre mon âme je suis l’espion debout si près je cours dans le vide sur place pour l’éternité saisi dans une sus­pen­sion du temps le général l’ambassadeur le code — je me sou­viens — la mis­sion la rue bruyante comme vidée 54 n’existe pas même de pro­fil ça n’entre pas des tam­bours son­nent der­rière les murs aveu­gles de la rue ça s’approche et je ne vois rien suis une sil­hou­ette sta­tion­naire dans cette rue de Tokyo —  ne veux-tu pas être libre ? — la pous­sière de lune fini­ra par me recou­vrir repas et mort dans un monde de lumière bleue envoyé ici pour touch­er l’invisible dis­til­la­tion frac­tion­née de l’air liq­uide où sont-ils dans le silence le métro dans mon rêve m’a déposé au cœur de la super­no­va com­ment revenir peu à peu m’efface avalé par le vide de la rue morte con­fu­sion des lignes et des sons à gauche à droite sans fin qua­tre notes attaque­nt ma mémoire c’est un vol simulé un entraine­ment — où êtes-vous général ? — je suis l’insecte qui grat­te le sol un cray­on­né som­bre dans un paysage vide pour l’éternité dans cette zone de sécu­rité cette rue je vis d’heure en heure la mort de l’homme sans odeur lorsque rien n’est rien van­ité est trop lente il n’y a pas d’enfer je nage dans la rue Yana­ka Gin­za en trompe‑l’œil quelque chose de trop com­plexe pour un homme sim­ple je ne sais plus ce que je suis venu faire ici sinon dis­paraître il n’y a pas d’enfer il n’y a pas de honte mon général juste devenir bleu et retenir son souf­fle – good tim­ing drone — il n’y a pas d’enfer il me faut rester à l’écart de l’avenir ma vie se perd dans les feuilles mortes et dans le vent tout est arrêté tout est dérangé il n’y a pas de clé – aucun con­trôle – je suis main­tenant un homme brisé celui qui perd son nom les flammes brû­lent mon corps invis­i­ble cette rue n’existe pas il serait bien d’avoir de la com­pag­nie pour de grandes con­ver­sa­tions en regar­dant les démons au tra­vers des fenêtres appelez ça un jour rêver de som­meil je suis avec le nom caché des bais­ers et des mor­sures inspi­rant-expi­rant  don­nez-moi une fois de plus que je sente encore la douleur comme de la neige –cou­vre-moi cou­vre-moi – pro­fondé­ment enfoui dans l’air mort un zéro dans le tis­su du temps lui-même j’aurais voulu vous ramen­er à l’entrée de la rue j’aurais voulu vous ramen­er au moment où tout a commencé

 

Extrait de la série Drones, octo­bre 2018.

La ballade de Desert Eagle

  1. Swing pied droit dans l’écran de la téloche ça bave bleu partout la mire en giclées plein la tête du blue et un et deux et vlan Sui­cide joue juke­box babe ouch peux plus les voir les trop de signes d’objets d’images démolis­sons même les ruines et bang jean chemise bretelles jaune blanche rouges tenue du dimanche encore un coup last time dess­iné gros fort et à la bière you’d bet­ter work bitch
  1. Aspiré par la machine recraché de nuit au désert ouesterne comme j’en rêvais petit j’entends les têtes par­lantes et les ser­pents à sss­son­nettes chanter salut cow-boy qu’est-ce que tu mattes sur ton cheval dans le bleu de la nuit améri­caine comme l’éclair sur mes pom­pes vernies dans le sable tu gliss­es de l’autre bord de la colline et c’est indo­lore et c’est moi dans quelques heures la puis­sance d’un cheval à l’arrêt

Inter­lude — Saupoudré de gris un geste de la main la besace et l’ennemi qui guette ça tangue dans la mai­son en mou­ve­ment j’entends encore les trompes du désert je chante et ça répond en chœur lève un bras et l’autre l’assaillant de baiss­er la garde et me pren­dre con­tre lui fin de la guerre d’Espagne en élec­tro­funk à suiv­re l’avilissement con­tinu avers et revers d’un monde de bruit et de fureur William sors de ton trou

  1. La fille à la Cadil­lac en plein soleil bien­tôt ici votre pavil­lon avec piscine quadrichromie qua­tre par trois à l’américaine y a quoi dans ton cof­fre je descends la bute le soleil comme une râpe sur l’échine le skaï du volant va me clo­quer les paumes ça pue à l’arrière on a tous quelque chose à cacher je pra­tique l’anesthésie sen­si­ble l’opérateur ver­bal cogne sous le capot brûlant je ne regarde plus pour voir
  1. Cater­pil­lar à fond les bal­lons en plein milieu d’un grand rien jaune je l’ai appelé une fois deux fois et à chaque fois bridge impos­si­ble fonce droit dans la faille et fume fume lit­tle loader ça me rap­pelle une chan­son de Franck­ie l’esquimau souf­fle sur le sable et c’est la tem­pête pourquoi ne pas manger la neige canari et la che­nille déroule ses accords élec­triques à toute berzingue et racle et plonge dans le désert en feu et sonne la sirène et tout foutu en l’air le parc d’attraction mon­di­al aucun exer­ci­ce de soumis­sion et les vapeurs du diesel dans les yeux

Inter­lude – sous le désert un salon dans la mer et une sirène qui embrasse les dormeurs on change de dimen­sion tout allongé plus rien d’un car­ré une poche sans oxygène tout flu­ide le chant des baleines pour oreiller aucun signe extérieur de rébel­lion je suis le sou­venir d’un rêve ce nageur énig­ma­tique et sa poupée gon­flable misère

  1. enfin enfin presque le métro trans­glob­al et creuse et fore et perce et sape une Joconde de pro­fil on dirait ma copine Alice un rat dans le moteur avec ses airs de bal­ler­ine c’est une grosse basse qui avance sous le crâne passe-moi la clé et le mam­bo encore et encore ta musique de frous­sard et chante avec les sept nains de la mine oh joie du travail
  1. c’est piscine on est tous là avec nos gueules de déter­rés Alice William Franck Yma Sumac atten­tion sol glis­sant ne pas courir man­qué l’éclipse qu’avons nous appris de notre roman d’aventures tech­ni­col­or akéti­botip­tip­bom­bodirabam­bum main­tenant toute l’essence dans le sang et la sagesse et la trahi­son des images dans des vapeurs de fuel non à la tor­peur et à la mort oui à la couleur

 

Extrait de la série Drones, Juil­let 2018.

First burning attraction

intérieur nuit de l’hôpital lumière clig­no­tante du néon — .S.O.R.T.I.E. —  je compte les cli­quetis de l’ampoule couché 80 bpm c’est l’issue de sec­ours mon lit et son alèse de plas­tique légère moi­teur du corps qui colle aux draps quelque chose sort du noir c’est ma dernière pho­togra­phie pâle mon corps sur le lit blanc des siè­cles de sur­ex­po­si­tion très loin une petite son­ner­ie — comme une alarme — depuis un très pro­fond som­meil et une note tenue — presque une voix — une lanterne rouge flotte dans l’air noir — sus­pendue et en mou­ve­ment à peine — va et vient de la couleur sur la rétine quelqu’un frappe à la porte mais loin les bruits du monde comme tamisés  – peu à peu — d’autres corolles rouges sor­tent du noir et avan­cent sur le chemin je les vois depuis mon lit mais ce chemin n’existe pas dans ma cham­bre ce sont des enfants — des fil­lettes — les coups sur la vit­re — la porte – insis­tent de la vais­selle brisée et fourchettes et couteaux et cuil­lères qui tombent sur le sol de car­relage — cas­cade de métal — un homme me par­le à l’oreille c’est une plainte il est si loin — comme un astro­naute — dans la nuit du ciel les fil­lettes avan­cent encore toutes blanch­es et sans vis­age — juste un ovale plus som­bre — les lanternes à la main un champ de coqueli­cots en mou­ve­ment dans la nuit une marche — si lente — si silen­cieuse — j’entends le réfec­toire – au rez-de-chaussée — qui entre­choque – brise — un tor­rent de cou­verts en inox l’autre me par­le encore c’est – à peine — un mes­sage de Jim Low­ell je n’entends que sa peur qui grince et racle comme un vais­seau à la dérive dans les galax­ies 160 bpm plus de vingt lanternes rouges main­tenant je n’arrive pas à faire le point un grand flou sonore une masse informe de res­pi­ra­tions et les images mobiles avan­cent les fan­tômes d’enfants et deux

sur le bord grimpés

sur un mur

sous le poteau télégraphique

deux ombres qui me désig­nent du doigt

halos écar­lates pro­gressent depuis le fond du noir les petites princess­es-sor­cières s’approchent du lit lanternes à la main dans ma tête je clig­note main­tenant et peu à peu effrité mon corps de sable grain à grain se défait une absolue sécher­esse — un désert sur le lit — Jim à l’intérieur de mon oreille — une plainte — on dirait qu’il pleure la note ne faib­lit pas et tourne et ron­fle et gon­fle et envahit l’image une pre­mière attrac­tion brûlante c’est un cortège funèbre qui passe à côté de moi c’est une roue qui frotte glisse le long du lit fil­lettes sans regard — le vent dans leurs cheveux — le vent dans ma cham­bre de malade très en-dessous — sous l’hôpital — sous les sous-sols — la note vibre et cir­cu­laire c’est le son des guir­lan­des rouges — le son d’Apollo — qui dérive et flotte mon lit sur les épaules des petites mortes c’est un cri qui ne peut pas — inar­tic­u­la­tion de la douleur —  leurs pieds ne touchent pas le sol — ont-elles des pieds — je ne peux pas aller plus loin reste une note qui s’éteint dans le brasi­er des sons

 

Extrait de la série Drones.

Présentation de l’auteur

Philippe Labaune

Philippe Labaune est né en 1959 à Paris, il vit et tra­vaille à Lyon.

Auteur tardif et met­teur en scène pré­coce, il a fréquen­té pour ses créa­tions nom­bre de poètes : Rilke, Pes­soa, Col­lobert, Zürn, Gleize, Pri­gent, Dubost …

Il met en scène égale­ment les textes de la jeune généra­tion d’écrivains dra­maturges : Roche, Mougel, Gallet.

Passeur de langues, il a fab­riqué pen­dant 25 ans des spec­ta­cles comme autant de poèmes théâ­traux. Il y défend un « théâtre de poésie » qui ferait la part belle à la per­cep­tion sen­si­ble et inconsciente.

L’écriture émerge aujourd’hui comme une riv­ière souter­raine qui atteindrait le jour après tant d’années de tra­vail invisible.

Il pub­lie aujourd’hui ses pre­miers textes nour­ris prob­a­ble­ment, par cap­il­lar­ité, de l’univers des auteurs dont il a pris à bras le corps la langue sur les plateaux de théâtre.

Ses textes sont pub­liés dans les revues en ligne ou papi­er : L’Ampoule, Impromp­tus,  Lichen, Trac­tion bra­bant, Nio­ques, Sitaud­is, le cafard héré­tique, Dis­so­nances, Fpm, Ouste, Paysages écrits, Orna­ta, Infu­sion, Le cap­i­tal des mots, L’atelier de l’agneau, Edi­tions de l’aigrette.

Son pre­mier recueil, Oeils, paraitra en 2019 aux édi­tions Gros textes.

Bib­li­ogra­phie (sup­primer si inutile)

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