Peter Semolic, Barve et autres poèmes

Par |2019-11-05T17:05:51+01:00 6 novembre 2019|Catégories : Essais & Chroniques, Peter Semolic|

traduits de l’anglais par Marc Delouze, avec la col­lab­o­ra­tion de Patri­cia Nichols

Barve

 

Tvo­je oči so modre, mod­ra je tvo­ja barva.

Na večer rumeni cve­tovi forzi­ci­je in polna

luna nad bližn­ji­mi nama blo­ki – sto­ri­la si

korak in jaz, čeprav še rjav, hodim ob tebi,

nenado­ma nič več opoteka­je, tvoj korak

je dolg dvain­trideset let in diši kot oranža.

Nisem pričako­val, niti v san­jah – to noč sva

si delila v njih bel kruh in si potem priklicala,

nič več v san­jah, na obraz velike rdeče

cve­tove. Kat­era bar­va ti je najljubša?

Kateri pevec? Kat­era pev­ka? Polet­na žalost

je za nama in črni glas Lane del Rey ni več znak,

ampak samo še pesem kot vsa­ka druga.

Svet­lo zele­na tra­va, tem­no zele­na v mesečini,

ti, ki še ne ver­jameš vase, jaz, ki sem ver­jel vate

od hipa, ko si prišla z rož­mari­nom in meto,

ver­jamem v naju. Bar­va tvo­jih oči se spreminja

s svet­lobo, ponoči sije­jo z last­no – zvezdi,

ki ju ne zasti­ra več noben oblak temne snovi.

 

 

 

 

 

 

 

Couleurs

 

Tes yeux sont bleus, le bleu est ta couleur.
A l’approche du soir, les fleurs jaunes du for­syth­ia et une pleine
lune au-dessus du pâté de maisons voisin – tu as fait un
pas et moi, quoique tou­jours ter­reux, je marche à tes côtés,
soudain plus du tout titubant, ton pas
a trente-deux ans et sent l’orange.
Même en rêve je ne pou­vais l’espérer – ce soir nous
avons partagé le pain blanc et ensuite provoqué,
ce n’était plus en rêve, l’apparition
de grandes fleurs rouges. Quelle est la couleur que tu préfères ?
Quel chanteur ? Quelle chanteuse ? La tristesse de l’été
est der­rière nous et la voix som­bre de Lana del Rey  n’est plus un indice,
mais rien qu’une chan­son comme les autres.
L’herbe vert pâle, vert fon­cé sous la lune,
toi qui n’a pas encore con­fi­ance en toi, moi qui ai cru en toi
dès l’instant où tu es apparue avec du romarin et de la menthe,
crois en nous. La couleur de tes yeux change
avec la lumière, la nuit ils bril­lent par eux-mêmes – deux étoiles,
qu’aucun nuage som­bre ne recou­vre plus désormais.

 

 

 

D’un poète sans domi­cile à son amoureuse

 

Je nous bâti­rai une mai­son de mots.
Les noms seront les briques
les verbes les volets
Nous ornerons les rebords 
des fenêtres d’adjectifs
en guise de fleurs.
Dans un silence total nous nous allongerons 
sous la canopée de notre amour.
Total silence.
Notre mai­son sera si belle, si délicate
nulle infla­tion de mots
ne la menacera.
Et si nous parlons,
ce ne sera que pour nom­mer les choses
vis­i­bles à l’œil nu.
Car le moin­dre verbe pourrait
en bous­culer les fondations,
ou bien l’abattre.

C’est pourquoi, chut, mon amour
chut, pour que notre maison
con­naisse de radieux lendemains. 

 

1 Marezige, 1991

 

Mes­sage

 

Un jour la Terre
ne sera plus peu­plée que de paysans.
Ils con­duiront des char­rettes tirées par des chevaux
et se nour­riront de céréales. 
Les bêtes paîtront tran­quille­ment le long des routes blanches
Ou bien se coucheront en plein midi à l’ombre des peupliers
en ruminant.
Le soir, les vil­la­geois s’assiéront
autour d’un artiste à la blanche chevelure
con­fis dans la méditation.
A tra­vers d’insondables distances
iI trans­met­tra à leur esprit des images
plus belles que les plus belles des poésies.
Ceci n’est pas une utopie.
Les jeunes gens se vêtiront
de blanc, comme des kimonos.
Ils s’assiéront  dans le champ
et moi, sor­tant d’une grange voisine,
tout engour­di encore d’amour
je les saluerai de la main
Quand ils mourront,
ils mour­ront aus­si paisiblement
que feuille ou fleur.

 

Marezige, 27 mai 1991

 

En lisant Octavio Paz

Ce soir, je nav­igue sur tous mes fleuves, porté par le flux des mots, je nav­igue comme je par­le, je par­le comme je navigue…

…fleuves, scin­til­lants comme le rire d’un enfant, stac­ca­to des rapi­des, chutes bru­tales dans les cas­cades, folles gout­telettes au pied des chutes, per­les d’eau, dans cha­cune un soleil, enfin l’écume, les bulles d’air m’engloutissant tel un immense jacuzzi…

…le fleuve, grand dieu brun, me porte comme branche engour­die jusqu’au faîte de l’été, le bour­don­nement des insectes, je nav­igue comme je par­le, je par­le comme je nav­igue, je vois : le ciel bleu où nagent nuages et pois­sons, des crabes cachés en haut des arbres, dans une verte explo­sion de joie de vivre une brassée d’alevins s’envolent comme des cailles effrayées…

…je vois : le vis­age par­fait de Nar­cisse, de lourds blocs de maçon­ner­ie Flo­ren­tine, arch­es de ponts tra­ver­sées par la poésie de l’éphémère (Apol­li­naire) et par les vers d’une épopée, je lis…

…je me vois au rythme des saisons, et mon amoureuse, triste comme un saule, penchée sur moi, une riv­ière, nav­iguant dans l’hiver, dans la cité de la Tour Unique du grand Gibet et de la Roue

…je suis un fleuve, accueil­lant dis­traite­ment un amour mal­heureux, un grand poète, et je ne suis pas triste souil­lé de sang, je ne suis pas heureux quand la glace s’efface, quand je plane dans le ciel ni digue ni bar­rage ne me retient…

…le fleuve, som­bre divinité par-delà le marécage, feuil­lage enchevêtré, divinité insen­si­ble et envasée, ma bouche a un nom pour toi – Ama­zone, il te nomme Nil, Mis­sis­sipi, mes yeux éri­gent de secrètes cités à tes côtés (Eldo­ra­do), je te trans­forme en Okinawa…

…deux ado­les­cents, beaux comme Hyacinthe, trem­blant dans l’aube humide, te regar­dent, per­dus en eux-mêmes, te regar­dent, beaux comme Hyacinthe, et toi, tu ne leur jettes pas même un regard…  

Ce soir je nav­igue sur tous mes fleuves, étoiles, étoiles au plus pro­fond de moi, ce soir je nav­igue en moi, je nav­igue comme je par­le, je par­le comme je nav­igue, je nav­igue mul­ti­plié en d’infinis courants, je suis un courant sur lequel j’affute un couteau, une fille sauvage fait en hâte l’amour sur la grève, en moi se puri­fie, mon amoureuse m’investit et me dit la Riv­ière Kol­pa et me dit la Riv­ière Roka­va et me dit tu froidis et dévoile le chemin et me dit, tu es de glace, de glace, de glace…

Je par­le et suis par­lé, je nav­igue et suis nav­igué, je suis réel et je suis illu­sion, je suis l’eau qui me sub­merge, je suis un nageur tra­ver­sant les courants inces­sants, le fleuve au flot lent s’en va vers la mer, je suis la mer qui est le fleuve de tous les fleuves, je suis le ciel qui est la mer de toutes les mers…

Ljubl­jana, été 1998

∗∗∗

 

Dans le jardin d’un pub du coin je lis Octavio Paz, deux hérons gris volti­gent de ci de là comme de légers cerfs-volants sous un ciel translu­cide de fin du jour…

…l’incessant rugisse­ment de la Ljubl­jan­i­ca sur les rails, le corps lumineux du fleuve, et dans tout cela le grand soleil couchant…

…de sous mes pieds je ramasse un cail­lou gros comme un poing d’enfant et le jette dans l’eau par-dessus la barrière…

…ne me lis pas comme un réc­it, lis-moi comme les ondes con­cen­triques de l’eau…

Fuzine, 16 août 19998

∗∗∗

 

Procla­ma­tion

 

Le soleil se lève sur la mer. Où qu’on aille
le soleil se lève tou­jours sur la mer. C’est pourquoi
je le proclame : la mer est le lieu de nais­sance du soleil.
Cela change fon­da­men­tale­ment notre vision du monde,
toute la struc­ture de l’univers. Désormais
les astro­nautes ne sont plus des astro­nautes, mais des plongeurs
plongeant par­mi les étoiles. Les étoiles de la mer
et les étoiles du ciel ne sont que des étoiles,
il n’y a plus d’écart entre l’amour et
l’amour idéal. Nous sommes tous des amoureux 
comblés. Bar­b­otant dans les hauts fonds, brisant
les roches à la recherche d’antiques coquil­lages au creux des noires cavités. 

 

Présentation de l’auteur

Peter Semolic

Peter Semolič se je rodil v Ljubl­jani leta 1967, študi­ral je splošno jezikoslov­je in soci­ologi­jo kul­ture na Uni­verzi v Ljubl­jani. Do zdaj je objav­il tri­na­jst samosto­jnih pes­nišk­ih zbirk: Tamar­iša (1991), Bizan­tinske rože (1994), Hiša iz besed (1996), Kro­gi na vodi (2000), Vprašan­ja o poti (2001), Meja (2002), Bar­jan­s­ki ogn­ji (2004), Pros­tor zate (2006), Vožn­ja okrog son­ca (2008), Rim­s­ka ces­ta (2009), Pes­mi in pis­ma (2009), Noč sre­di dne­va (2012, Dru­ga obala (2015) in Obis­ki / Vis­ite (2016). Za svo­je delo je pre­jel več nagrad, med nji­mi Jenko­vo nagra­do in Nagra­do Prešer­nove­ga skla­da, leta 1998 je pre­jel tudi med­nar­o­d­no nagra­do Kristal Vilenice. Peter Semolič piše tudi drame, lit­er­aturo za otroke, ese­je in pre­va­ja iz angleščine, fran­coščine, srbščine in hrvaščine. Je sous­tanovitelj in soured­nik prve spletne revi­je za poez­i­jo v Sloveni­ji Poiesis (http://www.poiesis.si/).

Peter Semolič, born in Ljubl­jana in 1967, stud­ied Gen­er­al Lin­guis­tics and Cul­tur­al Stud­ies at the Uni­ver­si­ty of Ljubl­jana. He is the author of four­teen books of poet­ry: Tamarisk (1991), The Ros­es of Byzan­tium (1994), House Made of Words (1996), Cir­cles Upon the Water (2000), Ques­tions About the Path (2001), Bor­der (2002) The Bog Fires (2004), A place for You (2006), The Jour­ney Around the Sun (2008), The Milky Way (2009), Poems and Let­ters (2009), Night in the Mid­dle of the Day (2012, The Oth­er Shore (2015) and Vis­its / Vis­ite (bilin­gual Sloven­ian Ital­ian book, 2016). He has received many prizes for his work, includ­ing the two most emi­nent awards in Slove­nia, Jenko’s Poet­ry Prize and the Prešeren Prize (the Nation­al Award for Lit­er­a­ture and Arts). In 1998 he also won the Vileni­ca Crys­tal Award. Peter Semolič also writes plays, children’s lit­er­a­ture, essays and trans­lates from Eng­lish, French, Ser­bian and Croa­t­ian. He is co-founder and co-edi­­tor of first Sloven­ian online poet­ry mag­a­zine Poiesis (http://www.poiesis.si/). 

 

Bib­li­ogra­phie (sup­primer si inutile)

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