On est dans le réel, le concret. La vie, la vraie vie, intime à l’intérieur des foules. On n’en sait pas plus, à dire vrai, sur le décor de ces mots, on n’en sait que le corps, non, même pas, l’esprit, voilà…
Aucun détail, pas la moindre fioriture ; on pourrait se trouver en bas de chez soi, hier comme demain, mais on en est loin, très loin, sans s’en douter, d’ailleurs, on est en l’ailleurs d’un autre, et cet autre pourrait bien être soi, puisqu’on est dans la quotidienneté sans fard d’une existence qui résiste, bien malgré elle, à la lourdeur du sans, l’absence du tant – comme nous le sommes tous, plus ou moins. On pourrait presque tous être cet homme (qui pourrait être une femme ! ), passant outre sa honte de devoir accomplir un travail sans raison, sans but… Y trouvant malgré tout un espoir, une sorte d’espoir… Mettons un rêve.
MAINTENANT DANS SON SOMMEIL
Oubliant la honte, il est allé
travailler dans un restaurant.Tard le soir
dès le départ du dernier client,
on lui mettait une assiette et il mangeait.Maintenant dans son sommeil,
il ne rêve plus de nourriture
mais une femme sans cesse vient vers lui.
Chrìstos Làskaris, Chambre pour une personne,
traduction Michel Volkovitch, éditions Le Miel
des Anges, 84 pages, 8€.
La honte ? Mais pourquoi la honte ? La honte de faire ce qu’on s’était promis de ne pas faire ? Comme courir après la nécessaire alimentation du ventre : survivre ? Il n’y a pas de honte à cela, en théorie… En théorie, oui, seulement… Personne ne nous jugera, personne ne nous condamnera, de nourrir son corps – on ne sert qu’à cela, dans le fond… Pourtant, tutoyer le sol quand on espérait embrasser le ciel, forcement, pose un problème, de soi à soi… Où est la hauteur quand on ne voit que le bas, le bitume, le raclement du vide, la solitude, la pire des solitudes, celle qui est comblée de ses fantômes ?
AUTOROUTE
Bitume et solitude mêlés,
notre autoroute
roule en silence, traversant
des étendues désertes.La nuit tombe,
et le silence augmente.
Ici ou là, une station service,
lumière pâle, solitaire.
Et face à ses spectres, ses démons, son silence, on ne peut que se taire, et donc ne pas s’écouter. Il faudrait, pourtant, parler, dire, clamer haut et fort l’extrême nécessité d’être soi, soi parmi les autres, les autres en soi… Il le faudrait, oui, mais… La parole, souvent, presque toujours, n’est qu’une logorrhée sans fin, un assemblage de galimatias vomi par un ego ou boursoufflé ou malade de ne pas être lui-même, réellement – peut-on réellement être soi-même ?… Ou bien est-on un brin amer, fièvre de mauvaise foi germant dans la maladie de la lucidité ?… Ou en veut-on aux autres, à l’autre, celui ou celle qui peut, sans problème, croit-on, dire, tout ce qu’il faut dire, ce qu’il faudrait dire ?
À UN AMI POÈTE
Apparemment tu n’as rien à dire
puisque tu passes ta vie à parler.
Mais on le dit, ce qu’il faut dire… On en exprime du moins l’essentiel, de ce vide entre les mots, ce silence dans la parole, cette existence dans la vie ; on est et on a soi en tous et tous en soi, cette universalité absolue du manque que rien ne comblera jamais, pas même le poème… Quoique…
VARIATIONS SUR MA TERREUR
Je n’ai jamais écrit de poèmes.
Ce que vous lisez là
c’est la terreur dans mon âme.Thème et variations.
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