Introduction à l’œuvre de Lee Maracle

Par |2020-01-13T21:01:27+01:00 5 janvier 2020|Catégories : Essais & Chroniques, Lee Maracle|

Née à Van­cou­ver, en Colom­bie Bri­tan­nique, Lee Mar­a­cle est mem­bre de la Nation Sto:Lo. Elle enseigne au Cen­tre des Études indigènes à l’université de Toron­to, où elle sert de con­seil­lère pour les étu­di­ants abo­rig­in­aux et où elle est direc­trice des cul­tures tra­di­tionelles pour l’École de Théâtre Indigène.

Elle est con­sid­érée comme l’une des pre­mières voix de la poésie indigène au Cana­da. En 2009, l’université Saint Thomas de Mia­mi en Floride lui accor­da un Doc­tor­at Hon­o­raire de Let­tres et Sci­ences Humaines. En 2019, elle fut final­iste pour le Prix Neustadt (appelé famil­ière­ment “Le Petit Nobel”) décerné par la revue World Lit­er­a­ture Today. Elle reçut le Prix J.T. Stew­ard “Voic­es of Change” et un Prix du Livre Améri­cain de la Fon­da­tion “Avant Colomb” en 2000.

Ses oeu­vres com­pren­nent plusieurs romans et recueils de nou­velles, dont First Wives Club: Coast Sal­ish Style (2010), Will’s Gar­denet Daugh­ters are For­ev­er (2002), Raven­song (1993), Sun­dogs (1992), et Sojourner’s Truth and Oth­er Sto­ries (1990). En par­al­lèle, elle écriv­it des oeu­vres engagées témoignant de la con­di­tion des femmes, dont deux livres: I am Woman: A Native Per­spec­tive on Soci­ol­o­gy and Fem­i­nism (1996), et Bob­bie Lee, Indi­an Rebel (1990). Son intérêt pour les langues et la com­mu­ni­ca­tion inter­cul­turelle dic­ta une de ses pre­mières pub­li­ca­tions, Telling It: Women and Lan­guage Across Cul­tures (1990), qu’elle écriv­it avec Mar­latt War­land. Elle a une atti­tude cri­tique envers le traite­ment des pop­u­la­tions indigènes par les Cana­di­ens. Elle dénonce la vio­lence con­tre les femmes indi­ennes du Cana­da, qui dis­parais­sent ou sont tuées env­i­ron qua­tre fois plus que leurs con­soeurs blanches.

Lee Mar­a­cle, Columpa Bobb et Tania Carter, Hope mat­ters, CBC Books, 2019.

Ses oeu­vres poé­tiques com­pren­nent les vol­ume Bent Box (2000) et Talk­ing to the Dias­po­ra (2015) ain­si que de nom­breuses pub­li­ca­tions en revues. Elle fig­ure dans plus d’une douzaine d’anthologies d’Amérique du Nord. Son roman Le Chant de cor­beau, qui traite de l’épidémie de grippe asi­a­tique à Van­cou­ver dans les années 1950 et de la nég­li­gence sys­té­ma­tique de la com­mu­nauté médi­cale des Blancs à l’égard des com­mu­nautés indi­ennes, a été pub­lié en français en 2019.

Pour Lee Mar­a­cle, la poésie est une oeu­vre col­lec­tive. Elle apprit de son grand-père l’importance du son et du rythme. À son tour, elle écrit des poèmes avec ses deux filles, Columpa Bobb, par ailleurs pro­duc­trice de films, et Tania Carter, qui est égale­ment pein­tre. D’écrire, dans la tra­di­tion amérin­di­enne, veut dire de con­tribuer à la vie de la com­mu­nauté. C’est ce que représente le dernier vol­ume pub­lié par la poète et ses filles, Hope Mat­ters (2019). Les poèmes très divers de ce vol­ume par­lent du voy­age des peo­ples indigènes – aus­si appelés les Pre­mières Nations, depuis l’arrivée des colons anglais jusqu’à la réc­on­cil­i­a­tion au-delà de l’arrachement et la dis­son­nance cul­turels qu’ont vécu des pop­u­la­tions entières pris­es entre tra­di­tion et adaptation.

Le thème de la réc­on­cil­i­a­tion est cen­tral à l’oeuvre de Lee Mar­a­cle qui n’en cache pas les dif­fi­cultés: colère con­tre l’envahisseur, frus­tra­tions devant l’ignorance destruc­trice des colons blancs, douleur de la perte de l’identité tra­di­tion­nelle, reven­di­ca­tion très dévelop­pée du droit à la parole, volon­té de per­sévér­er dans la pro­tec­tion de valeurs indigènes essen­tielles, sol­i­dar­ité avec les pop­u­la­tions opprimées telles les Palestiniens.

La nature est très présente dans son oeu­vre. Sym­bole d’innocence pri­male et de beauté, ses couleurs, sons, lumières, et paysages n’ont aucun secret pour la poète qui leur con­sacre ses plus beaux vers. La com­mu­nauté indi­gene est égale­ment très présente dans ses poèmes qui font de l’amour mater­nel un pôle essen­tiel de la pro­fondeur palimpses­tique et his­torique de chaque événe­ment de la vie/poésie. Car dans l’oeuvre de Lee Mar­a­cle, la vie est la poésie et la poésie est la vie.

Les poèmes ci-dessous sont traduits pour la pre­mière fois en français. Ils vien­nent de Bent Box et de Talk­ing to the Dias­po­ra. Nous tenons à remerci­er vive­ment Lee Mar­a­cle et ses édi­teurs pour leur gra­cieuse per­mis­sion de les repro­duire ici.

Tra­duc­tion de Alice-Cather­ine Carls

 

Du vol­ume Bent Box (2000)

Les rues

Je con­nais ces rues.
Enfouies sous elles sont d’anciens chemins, des
sen­tiers sûrs qui menaient mes grand-mères du berceau à la tombe,
les guidaient du vil­lage ances­tral à leurs jardins.

Je con­nais ces rues.
Cha­cune ame­na des nou­veaux venus, des habi­tudes nouvelles,
des cou­tumes insond­ables qui trans­for­mèrent nos vies et
effacèrent les pais­i­bles sen­tiers Anishnawbekwe.

Je me sou­viens de mon A’holt qui évi­tait les humains
en courant d’un vil­lage à l’autre sous le cou­vert de la nuit.
Des deux saoûlards qui l’accostèrent, puant le whiskey
l’écartelant, sourds à ses protestations.

Je me sou­viens de leur couteau fen­dant sa jupe, elle
les doigts en sang, le sai­sis­sant pour se faire justice
les lais­sant ago­nis­er dans la nuit pen­dant qu’elle détalait
sur le dernier sen­tier sûr.

Je me sou­viens de l’histoire que racon­tait maman, elle esquiv­ait les voitures
sous le cou­vert de la nuit, se cachant, se hâtant, se précipitant,
essayant d’arriver chez elle avant que l’invasion
ne prenne racine en son for intérieur.

Je me sou­viens de ces rues, de ma jeune vigueur,
moi, dans la plus belle sai­son de ma vie, sautant
dans un fos­sé, insultée par son eau putride, atten­dant cachée
que le moteur du véhicule aggresseur s’éloigne dans la nuit – en silence.

Silen­cieux. Dans le vacarme des arrivants, nous dev­in­mes étrange­ment silencieux,
pen­dant que, bizarre, les tripes de Cheryl Joe étaient jetées dans ces
rues. Rose­marie Rop­er arrachée de son suaire pierreux.
La fin de son voy­age au bout de la nuit sur ces nou­velles rues
ne provo­qua aucune indig­na­tion – aucun bruit.

Dans la rue, le calme du noir est de mau­vais augure.
Le silence ne pro­tège pas. Privés de voix, nous trem­blons sous le talon
de l’assaillant. Privés de voix, nous trem­blons sous la menace.
La nuit n’est plus un temps de réflec­tion, elle devient une insulte.

Nous avons hérité cette nuit il y a longtemps. Une promesse de
Grand-mère Lune y était attachée. La promesse de rêves
doux et mer­veilleux. La promesse d’un amour sûr et durable.
Cette nuit, cette nuit, est soudée à ces rues, au silence, à la violence.

Nuit esclave dont un silence de mort tue les rêves et
détru­it douceur, émer­veille­ment, et promesse de fraternité.
Grand-mère Lune: sise au-dessus de ces rues tu es for­cée d’assister
à la nou­velle nuit qui s’y est invitée.

Par­donne-moi de ne pas être venue plus tôt libér­er tes yeux,
re-créer les images du monde enfoui,
élever ma voix pour résister
à la désacra­tion de ton éternité.

 

 

Lee Mar­a­cle, Bent box, They­tus books, 2000, 168 pages, 27,57 €.

∗∗∗∗∗∗

 

Ma boite de lettres

 (le 23 décem­bre 1959)

 

Je n’avais que six ans quand on me força à prendre
la boite de let­tres bestiales.

L’amitié man­qua dès le début.
Nous nous en voulions.

Elles se bous­cu­laient en dessins
fous, insen­sés, ridicules.

Défi­antes, elles sautaient autour de moi
n’importe com­ment et en rond.

Elles me val­urent des ennuis, ces malignes
petites crapules.

Elles me détes­taient. Pré­tendaient que je
ne les com­pre­nais pas.

Je sautais dans la boite, les attrappais
et les clouais au sol.

Cela rata, elle se bat­taient bien.
Elles étaient vingt-six et moi, une seule.

(Ajouté en 1991 après avoir retrou­vé ce pre­mier poème que ma mère avait gardé).

Avec dili­gence et persistance
je devins leur amie

Il me fal­lut des années
pour les assagir.

 

 

Lee Mar­a­cle lisant un extrait de Hope Mat­ters à la soirée de lance­ment de Book*hug Press, print­emps 2019.

 

 

Les fram­bois­es

Mille petites épines me
                   piquent la peau
la canicule fait cloquer
                   mon dos noir.

Une mul­ti­tude de baies rouges
                           saut­ent et passent
                                               devant moi.

            Les orties
la boue mati­nale, les moustiques
                                                  les taons…

Un seau lourd pèse à mon cou
bras lev­és, yeux plissés.

Tout compte fait, j’aime mieux cueil­lir des framboises
que de végéter devant ma machine à écrire.

 

 

Maman

un chaud écho de voix
passe sur les pieds endoloris
et les doigts gelés

une loufo­querie
une volée de sons rythmés
j’écoute maman
rire dans la cabane aux crabes.

vingt-neuf ans plus tard
pas­sant sur un dos endolori
et des doigts gelés

une loufo­querie
envoie un écho de sons rythmés
mes enfants écoutent maman
rire dans les framboisiers.

 

(Maman: jadis je me cachais der­rière la cabane aux crabes pour t’écouter, toi et les femmes 
qui tra­vail­laient avec toi, par­ler et rire, au rythme réguli­er du marte­lage des crabes. Je riais tout 
douce­ment pour que tu ne sach­es pas que j’étais  là. Je voulais enten­dre les his­toires, le rire, je ne 
voulais pas être renvoyée.

Je ne par­lais pas encore. Quand je sus par­ler, mes sen­ti­ments et mes pen­sées étaient pris­on­nières de 
la dureté de la vie. La voix et les mots m’étaient étrangers; je voulais com­pren­dre pourquoi.)

 

 

Lee Mar­a­cle lisant un extrait de Con­ver­sa­tions with Cana­di­ans à la soirée lit­téraire de Book*hug Press, automne 2017.

 

Columpa

 

De ses yeux écartés
couleur de bois brûlé
bril­lants comme le soleil
dans un champ sat­uré de pluie
mon enfant aux yeux rêveurs
regarde le monde.

Un flot infi­ni de gens
basanés
tra­verse son monde.

                             Des grands, des géants
           au com­porte­ment autoritaire
                                    et décisif,
          au coeur chaleureux et au rire profond.

Ses yeux regar­dent au-delà des gens qui
rapetisssent au fur et à mesure que son univers grandit.

Des mil­liers de détails
com­posent le tableau de la dame rêveuse
des détails qui se gravent
fer­me­ment dans son esprit.

L’humour éclaire sa vie
comme les rayons de lune
cal­ment la peur du noir.

Venu du fond de son corps, le rire
la sec­oue, envoy­ant des vagues de plaisir
à ceux qui l’entourent …

                        Rayons de soleil et de lune
                        dansez autour d’elle. 

                        Embrassz les sommets
                        Caressez les arbres.

                        Ne quit­tez jamais le coeur
                        de ma Columpa aux yeux rêveurs
                        et au vis­age de lune.

 

 

 

∗∗∗∗∗∗

 

Du vol­ume Talk­ing to the Dias­po­ra (2015)

Les cartes

Les cartes sont des ordres de marche vers des lieux anciens connus.
Les cartes con­jurent des sou­venirs de butin, pil­lage et innocence.
Les cartes sont des voy­ages vers des illu­sions que per­son­ne n’a perdues.
Les cartes sont des re-vis­ites cri­tiques, des visions de répéti­tions inédites.
Les cartes diri­gent les inten­tions, attirent l’attention, et révè­lent un prédécesseur.
Les cartes dis­persent le réfléchir et trompent le bien-être.
Les cartes aplatis­sent sur­faces, temps, dis­tance, et hauteur,
réduisent les illu­sions essen­tielles à des rubans d’encre et de couleurs.
Les cartes sont prétentieuses,
visant à con­naître le lieu de toute chose, quelle arrogance,
pré­ten­dant avoir un pou­voir dont elles sont démunies.
Les cartes ont des limites.
Les cartes sont tou­jours datées.
Les cartes ne mènent jamais à l’inexploré.
Les cartes font cul­buter notre atten­tion d’être en endroit,
de temps méta­physique en rues, routes, et horloges.
Les cartes escamo­tent notre éventuelle réponse à la profondeur.

 

 

 

L’haleine

 

L’haleine glisse sur les cordes vocales
des per­les de vérité frétil­lent dans les mensonges
elles fre­donnent dans les replis des cordes
réper­cu­tent la bravade pour cacher la douleur

s’ensuit une empoignade
l’haleine souffle
                      peine
bat l’air
bouche des trous dans les espaces
                                                       du vide
dégrafe les rangs de perles
                          pris­on­niers des profondeurs

l’haleine pousse
                         de toutes ses forces
force la voix à s’ouvrir
dégage les tox­ines, suintement
épais et léthargique

h          a          l           e          i           n          e
doux air
h          a          l           e          i           n          e
per­les de vent
pier­res d’espoir

 

 

 

Lee Mar­a­cle, Talk­ing to the Dias­po­ra, Arbeit­er Ring Pub­lish­ing, 2015, 128 pages, 14, 95 €.

Le zéphir

 

La danse du zéphir sur l’herbe
bat une mesure constante
que n’affadit pas la répétition

Le lev­ant déracine la croyance
re-cherche le monde de l’herbe
entre­tient une promesse essouflée

L’herbe suc­combe à l’aquilon
Les arbres se ren­dent, sève immo­bil­isée par le froid
nar­guant la venue de l’hiver

Exalté, l’auster se hâte
d’attirer l’eau, petits miracles
s’élevant des fleuves rêveurs

 

 

Lee Mar­a­cle par­le de la peur lors du fes­ti­val inter­na­tion­al lit­téraire de la fon­da­tion Blue Metrop­o­lis en 2018.

 

 

Le bois

le bois cède
à l’injonction des lames
de la tronçon­neuse, la coupe
dimin­ue la légèreté de son être
les autres enfants de la terre ont une mémoire
cette mémoire men­ace la sérénité
volent les copeaux de bois
la sculpture
chas­se les envols
trop d’instructions
font des trous dans les coeurs des enfants
je les efface, me rem­plis de tas d’absurdité

 

 

Les flûtes attisent les chants de feu

 

Les flûtes attisent les flammes de nos chants de feu
sur les char­bons brûlants le son brode
des jets de feu qui allè­gent le fardeau
porté par les femmes
Dans ces jets gazouil­lent des oiseaux sacrés
des flûtes jouent un imag­i­naire chant de grâce
dont les notes ont une déli­catesse impossible
Le son par­le d’un oreiller bor­dé de feu
qui adoucit l’atterrissage
à la fin de chaque étape de ce long voyage

 

 

Les fils

 

cer­tains fils sont des cor­beaux métamorphiques
qui de leurs ailes emplumées taquinent des rêves noirs,
les trans­for­mant en con­cepts de fer forgé qui vont
bercer leur voy­age à tra­vers le temps sur des ailes
dont la tâche est de porter les mes­sages d’instants
inter­calés entre passé, présent, et futur,
en espérant que ceux qui ont les pieds ancrés dans le
présent ver­ront le mag­nifique film mul­ti­col­ore qui les
con­duira vers l’espace entre des mon­des en collision.

cer­tains fils sont des loups vision­naires qui arpen­tent leurs
mar­quages d’urine, l’espoir dans les mâchoires,
les dents acérées, les yeux trouant l’espace-rêve
de minu­it juste au-dessus du ter­ri­toire qu’ils
ne partageront jamais avec le monde, mais avant de
réduire l’accès à leur ter­ri­toire ils invi­tent la corneille
qui vole con­tre leur épaule à com­mu­nier, lui lais­sant jeter
un coup d’oeil sur la fin du sen­tier de l’avenir.

cer­tains fils sont des ours qui soignent notre vision du monde avec
les mêmes vieilles images folles qui dansent dans
nos têtes, nous con­va­in­quant que tout est comme il faut
jusqu’à ce que nous imag­in­ions le ciel dans une direc­tion insensée
et pas seule­ment les enfants de la terre jouissant
de la vie. Ce traite­ment nous sauve d’une sauvage
auto-destruc­tion, nous remet sur un chemin où le
début est si facile que nous reprenons espoir.

cer­tains fils sont des cra­pauds vautrés sur des feuilles de lotus,
croas­sant à l’unisson, cri­ant au loup, au cor­beau, à l’ours, pour
l’instant, enquê­tant sur leurs his­toires, questionnant
les voy­ages, exam­i­nant la trans­for­ma­tion, trouvant
dans leurs gorges rauques une jauge pour éval­uer la
rhé­torique des ani­maux ter­restres puis ils décident
de sauter tous ensemble.

 

 

 

Sans titre

 

La lumière de mon arc atteint le précipice,
forme un chemin jusqu’au bout de l’haleine de la terre
Ces extrémités s’attachent à chaque rive
sur ce pont de lumière sur le dos de la tortue
dansent les esprits libres

 

Les filets

Des filets d’images
dont on a râclé toute dimension
m’éludent
Ils flot­tent juste hors de portée
un imper­cep­ti­ble mou­ve­ment de la main
ne peut les récupérer
ni saisir ces tranch­es de rêve
Les morceaux dansent et me hantent
glissants
ils me narguent
Mes minces images râclées soupirent
et me sourient

 

 

Ciels noc­turnes

 

Les ciels noc­turnes passent sur l’Ile de la Tortue
en émet­tant des tons noirs funèbres
en atten­dant que le soleil revi­enne embrass­er la terre
et la baign­er d’une douce lumière jaune givré
Les ciels noc­turnes emplis­sent l’espace entre le corps
chaud de la terre et le monde émer­veil­lé des nations d’étoiles
Viens, ciel noc­turne, viens à moi, aime mon corps étendu
des­sine de chauds rêves noirs sur ma peau offerte

Les ciels noc­turnes m’apportent les souvenirs
d’une femme à la peau brune tournée vers l’est
regar­dant le soleil se lever sur des voiles gonflées
atten­dant les vis­i­teurs du bateau, innocente

Venez à moi, ciels noc­turnes, enveloppez-moi de noir
aimante lune bleue de minu­it à la lumière pâlie
chu­chote des mots ten­dres, apaise mon corps endolori
réchauffe mon coeur dans l’attente de demain

Les ciels noc­turnes vien­nent en retenant leur souf­fle, croquant
les paroles des âmes piégées coincées dans l’enclos
entre le corps de la terre et la fron­tière de son souffle
Âmes piégées atten­dant leur dernier retour chez elles

Les ciels noc­turnes vien­nent partager l’haleine des corps
des corps saig­nants qui cri­ent partout leur sang
Ces esprits désavouent les his­toires des ren­con­tres du
pre­mier type. Silence, ô nuit, laisse-moi me repos­er, silence

Des baïon­nettes miroitent dans mon obscu­rité. Froide lumière
coupante réfléchie dans les mains d’hommes dont
les esprits vides plon­gent des bar­res d’acier dans
les frag­iles corps des femmes venues les accueillir
Ciel noc­turne, viens à moi, aime-moi
Enveloppe-moi, emmène-moi là où
mon coeur pour­ra trou­ver le souf­fle néces­saire pour parler
aux femmes dont le sang tache tou­jours le sol

Ciel noc­turne, viens à moi, aime-moi pour que je puisse
éten­dre le tabac – faire face à ces femmes
les enten­dre me dire les céré­monies dont elles ont besoin
pour deman­der aux Nations d’Étoiles de les ramen­er chez elles

Ciel noc­turne, viens à moi, touche l’origine du souffle
Emplis-moi de la voix dont j’ai besoin pour chanter le chant
qui trac­era le sen­tier d’étoiles dont ces femmes ont besoin
pour leur long voy­age vers leur demeure – viens, ciel

Le velours des ciels noc­turnes danse de part en part
dans une beauté de rêve, la céré­monie émerge
libère mon esprit, résoud le dilemne
des femmes à l’esprit piégé qui dansent

Le ciel noc­turne vient, saisit les rayons de lune
les étage entre la nation d’étoiles et la terre
La nuit mur­mure reviens chez toi, enfant – reviens chez toi
quitte cette île de sang, de froid, et de mort

Les ciels noc­turnes don­neront en retour d’amples rêves
d’amour, de vie, d’avenir, ils enlèveront le
résidu spir­i­tu­al de sang et de mort
éveilleront mon corps au soleil, au vent, au chant

 

 

 

Présentation de l’auteur

Lee Maracle

Lee Mar­a­cle est une poète cana­di­enne et auteure Sto: lo. Elle dénonce le traite­ment réservé aux peu­ples autochtones par les cana­di­ens et souligne plus par­ti­c­ulière­ment les prob­lèmes liés aux femmes autochtones.

Poèmes choi­sis

Autres lec­tures

Introduction à l’œuvre de Lee Maracle

Née à Van­cou­ver, en Colom­bie Bri­tan­nique, Lee Mar­a­cle est mem­bre de la Nation Sto:Lo. Elle enseigne au Cen­tre des Études indigènes à l’université de Toron­to, où elle sert de con­seil­lère pour les étudiants […]

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Alice-Catherine Carls

For­mée en Sor­bonne aux let­tres et civil­i­sa­tions alle­mande et polon­aise, tit­u­laire d’un Doc­tor­at d’Histoire des Rela­tions Inter­na­tionales de Paris I, Alice-Cather­ine Carls est actuelle­ment Tom Elam Dis­tin­guished Pro­fes­sor of His­to­ry à l’Université de Ten­nessee à Mar­tin où elle enseigne depuis 1992 l’Histoire mon­di­ale, européenne, et con­tem­po­raine. Elle col­la­bore régulire­ment et/ou fait par­tie du comité de rédac­tion de plusieurs revues et est mem­bre du jury du Céna­cle européen de Poésie, Arts, et Let­tres. Elle partage ses activ­ités entre la recherche his­torique, les tra­duc­tions lit­téraires (du polon­ais et de l’anglais améri­cain en français et du polon­ais et du français en anglais améri­cain), et les arti­cles de cri­tique lit­téraire. Elle a été pub­liée en polon­ais, alle­mand, anglais, et français ; en Hon­grie, Pologne, Alle­magne, Suisse, France, Bel­gique, et aux Etats-Unis.

Ses livres com­por­tent une étude his­torique sur la Ville Libre de Dantzig en 1938–1939, et une his­toire de l’Europe au XXème siè­cle, Europe from War to War, 1914–1918 (Rout­ledge, 2018). Elle col­la­bore régulièr­ere­ment aux revues “World Lit­er­a­ture Today,” “Poésie Pre­mière,” “Le Jour­nal des Poètes,” et « Recours au Poème. » Elle a fait con­naître en français la poésie de nom­breux poètes améri­cains, amérin­di­ens, et polon­ais, dont Stu­art Dybek, Mar­ilou Awiak­ta, Charles Wright, et Ren Pow­ell. Elle a pub­lié plusieurs vol­umes de tra­duc­tions en français (Stephen D. Carls, Józef Wit­tlin, Joan­na Pol­laków­na, Anna Fra­jlich, Jan Kochanows­ki, et Alek­sander Wat), et a intro­duit aux Etats-Unis l’oeuvre de Claude Michel Cluny, Maria Maïlat, Hélène Dori­on, et Marc Alyn.

 

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