Temour Chkhetiani est un poète géorgien contemporain, il est aussi traducteur et compositeur de problèmes d’échecs. Il est né en 1955 à Telavi, belle petite ville deGéorgie.
Temour Chkhetiani est l’ auteur de huit recueils poétiques : les poèmes présentés sont extraits du plus récent intitulé „La hauteur de l’ herbe ». Ses poèmes sont traduits et publiés en français, en anglais, en allemand, en suédois, en russe. On peut le lire dans des anthologies ou dans différentes revues.
Temour Chkhetiani a traduit en géorgien des poèmes de Guillaume Apollinaire, d’ Arthur Rimbaud, de Michel Houellebecq, de Rainer Maria Rilke, de Marina Tsvetaeva etc.
Poète réflexif. Il a un mode de vie un peu marginal et il habite seul dans un petit village d’ où il voit le monde. Maintenant que les performances poétiques sont à la mode, Temour Chkhetiani tient une scène large ouverte : sa cour, devant la maison ou dans sa chambre, sans spectateurs.
Il écrit autant des longs poèmes que de très brefs, des poèmes conventionnels et des vers libre… On signalera surtout ses haïkus, qui naissent dans le silence de sa chambre et dans sa solitude : il est évident que la tradition orientale—chinoise et japonaise est bien connue du poète.
უადრესატოდ, Poetry, Diogene Publishing, 2010, 70 pages.
La poésie de Temour Chkhetiani n’ est pas une poésie facile, il faut la lire et la relire pour peu à peu, ressentir ce que le poète veut exprimer et ce qu’ il pense. Parfois le vocabulaire est très simple, mais quand il saisit un lieu et un moment précis, les mots prennent tout leur sens. Temour Chkhetiani sait faire du moment le plus banal un véritable poème, sous ses apparences triviales, il peut révéler autant des sensations très fortes que des événements exceptionnels.
Cette poésie est caractéristique postmoderne se tressant à des passages intertextuels, offre au lecteur un monde poétique original.
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Hauteur d’herbe, extraits
Traduit du géorgien par Ketevan Kokozashvili
LA CABANE
Nous nous sommes cachés de la pluie dans une cabane.
Avant cela, nous marchions ensemble dans la forêt;
Nous regardions, écoutions tout avec joie.
Regardions les arbres et les fleurs,
écoutions le chant des oiseaux et le bruissement des feuilles,
nous étions si heureux de l’air frais, de l’eau claire et l’un de l’autre…
Nous nous sommes cachés de la pluie dans une cabane.
La pluie nous a suivis pas à pas et nous a mouillés,
Mais elle est restée à la porte
Et n’est pas entrée
Avec nous
Où notre rire battait
Contre les murs.
Puis nous nous essuyions
les cheveux, les yeux, les visages avec une seule serviettes.
Il pleuvait encore et la pluie faisait du bruit sur le toit de notre cabane
Et claquait à la porte.
Après cela, la nuit tombait mais nous pouvions toujours nous voir l’un l’autre…
Mais enfin en pleine obscurité
Tes épaules, tes seins, tes hanches éclairaient les ténèbres.
Il faisait frais, mais tes bras étaient chauds
Et tes lèvres étaient brûlantes,
Et dans la cabane le lit étroit en bois
Était large et doux…
Peu à peu, la pluie s’est tue.
La pluie nous a quittés et s’ en est allée.
Et nous nous écoutions nous respirer dans ce silence.
Et nous sentions battre nos cœurs
Et ensuite, peu à peu, il a commencé à s’éclaircir,
A travers une petite fenêtre de notre cabane, la lune baissa les yeux
Et chuchotant elle a partagé avec nous ce secret:
“-Il n’y a rien de mieux ni de plus important
Sur la terre”…
Maintenant nous nous réveillons dans des villes différentes,
Eloignées par des centaines de kilomètres,
Dans deux villes différentes.
.
Nous nous réveillons au même moment, mais seuls:
Nous ouvrons les yeux sans joie.
Nous levons nos têtes d’un oreiller sans joie,
nous nous levons sans joie.
Et nous nous habillons.
Dans le même temps mais loin l’un de l’autre
Nous ouvrons nos fenêtres dans des villes différentes.
C’est une journée ensoleillée dans les deux.
Nous regardons par la fenêtre
Et voyons de différentes images
Dans deux villes éloignées par des centaines de kilomètres,
Nous voyons différentes choses,
Mais nous pensons à la même chose,
Nous nous sentons les mêmes,
Et nous nous rappelons les mêmes choses :
Nous nous sommes cachés de la pluie dans une cabane.
∗∗∗
UNE IMAGE D’ UN JOUR
En attendant quelqu’ un ou quelque chose
Nous étions assis, deux poètes, devant le théâtre, sur les marches de l’escalier,
Nous causions et fumions.
Nous causions et regardions
Les voitures, traversant la place devant le théâtre;
Nous regardions aussi les bâtiments:
La maison, l’ école musicale et la banque.
Nous suivions du regard les pigeons, qui
De temps en temps s’ envolaient de la place,
S’ envolaient et se dispersaient.
Nous causions et regardions
La haute muraille d’ un vieux palais,
Très mystérieuse et si patiente
Dans toute cette ville, petite et jolie.
Nous étions assis, deux poètes, devant le théatre, sur les marches de l’ escalier
Non loin de nous, à gauche,
Un chien de couleur et de race inconnue
Dormait.
∗∗∗
UN PETIT PONT
Pas vers moi,
Mais en passant sur moi — vers un autre !..
Combien de fois on a passé,
On a passé justement sur ma poitrine
Et la voix de mon cœur s’est perdue
Dans le bruissement sourd de mes pas.
Moi, je reste immobile et sans mot dire
Et sur ma douleur
Pas de baume
Ou la caresse de la main soigneuse de quelqu’un,
Mais seulement une feuille morte,
Comme le mot usé — ADIEU.
∗∗∗
LA CHAISE
1.
J’ai quatre pieds,
J’ai bien sûr le siège
Et encore le dossier
Et me tenant ainsi
Dans les chambres
Sur mes quatre pieds
Près des tables,
Près des murs,
Près des lits,
Je défends des règles déterminées pour moi.
Je n’ai pas d’âme.
Je ne peux pas courir librement
Dans les forêts de nuit,
Je ne suis pas assis triste
Derrière les barreaux
Je ne suis pas laissée devant les maisons
Dans l’ ombre.
J’ai quatre pieds,
J’ai bien sûr le siège
Et encore le dossier
Et me tenant ainsi
Dans les chambres
Sur mes quatre pieds
Près des tables,
Près des murs,
Près des lits,
Je défends des règles déterminées pour moi.
2.
On s’assied sur moi,
On s’adosse à moi,
On me fait bruire
Et comme je ne peux pas
Dire quelque chose
Je supporte sans mot dire leur lourdeur
Et leur légèreté.
Je n’ai pas d’âme
Mon cœur ne bat pas comme les leurs
Je ne peux pas me réjouir
Ou avoir mal
Et je dois compter
Avec un silence habituel
Les minutes monotones et tranquilles
De ma vie
Mais de temps en temps
On vient ainsi :
On touche mon corps las
Avec leurs velours tendre,
On me caresse,
Mais seulement afin que
Je ne dessine pas
La carte grise de la poussière
A leurs larges culs
Et à leurs larges dos.
J’ai quatre pieds,
J’ai bien sûr le siège
Et encore le dossier
Et me tenant ainsi
Dans les chambres
Sur mes quatre pieds
Près des tables,
Près des murs,
Près des lits,
Je défends des règles déterminées pour moi.
Je n’ai pas d’âme.
Je n’ai qu’un seul ami
Au monde -
Le livre renversé
∗∗∗
MANHATTAN DANS LA COUR
À Irakli Tskhvediani
Il est très facile d’appeler Manhattan
Ici, dans un village oublié de ce pays perdu,
Voilà dans cette cour,
Quand la fin de l’automne
Est si pleine de soleil et si chaude.
Emporte la chaise dans la cour, assieds-toi,
Ouvre la revue et lis,
Lis les poèmes de quelque Hans Promwell,
Oui, Promwell, il était aussi Cromwell,
Mais il écrivait autrement
Et maintenant nous ne nous intéressons pas vraiment à lui.
Lis les poèmes de Promwell
Et tu sentiras comment le grand et bruyant Manhattan
Entre dans ta cour silencieuse
Et comment tu passes toi aussi et te perds
Dans l’agitation et dans la solitude de Manhattan.
Oui, tu comprendras
Quelle petite distance est
De ta maison sale
Aux splendeurs de Manhattan ;
Et comme librement se place
L’agitation, l’effort,
La déception de là-bas
Et la solitude si énorme
Dans ta petite cour devant la maison…
” Il est ennuyeux l’automne à Manhattan,
Quand tu n’aimes personne”.
Pas seulement à Manhattan…
Mais ici il y a du soleil et il fait chaud
Et l’ennui a disparu momentanément
Et avant qu’il revienne
Je me promène souriant dans mon Manhattan.
C’est l’automne -
Le soleil brille et il fait chaud…
Hans, qu’est-ce qui se passe là-bas ?
Quel temps fait-il à Manhattan ? …
Présentation de l’auteur
- Un poète géorgien : Temour Chkhetiani - 5 janvier 2020
- Avec Juan Gelman - 10 mai 2014