Marie-Paule Farina, Sade et ses femmes, correspondance et journal

Par |2020-02-26T10:45:18+01:00 26 février 2020|Catégories : Marie-Paule Farina|

Tout le monde con­naît le Mar­quis de Sade. Tout le monde ? Non. Tout le monde con­naît la répu­ta­tion et le nom lié à cette répu­ta­tion. Qui l’a lu, et qui a lu ses livres les plus licen­cieux en est sûre­ment resté, (s’il ne s’est intéressé aus­si  à l’homme avant l’écrivain), à ce qu’on lui  a reproché et ce pour quoi il a été con­damné, après avoir lais­sé une grande œuvre — aujour­d’hui en Pléi­ade — son lib­erti­nage et la per­ver­sité de ses écrits.

Sade est-il celui qu’on croit ? Pour avoir si sou­vent exposé des femmes soumis­es et humil­iées dans ses romans, il passe pour l’homme le plus misog­y­ne de la lit­téra­ture française.

Ceux qui, comme Marie-Paule Fari­na sont allés un peu plus loin que la lec­ture de la licence, savent que sous l’é­pais­seur de la fange dans laque­lle on a noyé ce per­son­nage car c’é­tait bien un per­son­nage romanesque, on peut décou­vrir à tra­vers ses notes, jour­naux et surtout cor­re­spon­dances qu’il était bien autre chose qu’un per­vers, un vio­leur, un assas­sin, bref un être dan­gereux  et peut-être même tout le con­traire de cela.

Marie-Paule Fari­na, pro­fesseur de philoso­phie et essay­iste s’est intéressée à l’homme, avec ten­dresse, et a mis un point d’hon­neur à réha­biliter un indi­vidu qui fut sans doute bien de son époque – le XVI­I­Ie siè­cle n’est-il pas un siè­cle lib­ertin, licen­cieux –  comme beau­coup d’autres mais il était lui,  sans fard, pour tout dire, inapte à la dis­sim­u­la­tion ; peut-être même était-ce là son prin­ci­pal défaut. Ne rien cacher, tout dire, se mon­tr­er au naturel, tel qu’en lui-même, un homme qui aime le sexe et ne s’en cache pas.

Marie-Paule Fari­na, SADE et s
es femmes, Cor­re­spon­dance et 
jour­nal
, Edi­tions François 
Bourin, 2016.

Mais avant cela, il a été un bel enfant blond aux yeux bleus, doux et charmeur, char­mant et ten­dre, entouré, beau­coup et beau­coup aimé des femmes nom­breuses qui s’oc­cu­paient de lui, très tôt.

A tra­vers cette cor­re­spon­dance organ­isée suiv­ant le déroulé d’une vie au tiers passée en prison, nous suiv­ons le par­cours d’un homme d’abord vic­time de lui-même, de sa naïveté, sa can­deur bon enfant, ses étour­deries (il par­lait trop, dis­ait tout) ses bêtis­es et ses nom­breuses frasques sex­uelles, ses amours pas­sion­nées et pas­sion­nelles (Melle de Lau­ris, La Colet, Chiara…) , le grand amour qu’il por­ta à ses femmes, la légale et la maîtresse, toutes deux sœurs, l’une, Renée-Pélagie,  laide et l’autre, Anne-Prospère, très belle, une pas­sion qui fit écrire à cette dernière bien imprudem­ment :  « Je jure à Mr le Mar­quis de Sade, mon amant, de n’être jamais qu’à lui », et fini­ra au cou­vent ;  et sa meilleure amie Mil­li Rous­set et encore tant d’autres, puis enfin la dernière, Constance.

Il fut surtout vic­time d’une abom­inable belle-mère insti­ga­trice de tous ses procès et d’un acharne­ment du sort qui a fait que, sou­vent, les femmes qu’il aimait tant, se sont retournées con­tre lui.

 

Por­trait sup­posé de Dona­tien Alphonse François 
de Sade, par Charles van Loo, vers 1770.

L’au­teur de cet essai des­sine le por­trait d’un homme qui fut plus vic­time que bour­reau,  plus ten­dre que sadique et vic­time  décidé­ment inno­cente ou comme il le dis­ait lui-même, s’il est vrai­ment coupable de ce dont on l’ac­cuse, dans ce cas, il ne paie pas assez, s’il est inno­cent, c’est bien trop cher payé.

Inso­lent et enfan­tin, pétil­lant de gai­eté, les femmes le recherchent. Son château de Saumane où il a passé son enfance n’a rien à voir avec celui des 120 journées de Sodome, c’est plutôt « le rêve d’un château orig­inel » médié­val et provençal, celui de la Lau­re de Pétrar­que qu’il lit inlass­able­ment depuis sa prison.

« Je suis comme un enfant, je lis tout le jour et la nuit je songe » écrit-il à sa femme.

Certes sa vie intime ne fut pas des plus sages et il ne niait pas aimer le sexe et la lux­u­re. Il tenait un jour­nal de ses mas­tur­ba­tions et des pra­tiques des pros­ti­tuées qu’il aimait regarder « en dis­ci­ple des Ency­clopédistes de Diderot, ama­teurs de « curiosités » ». Aujour­d’hui on en rirait… quoique les censeurs ne sont-ils pas tou­jours à nos portes, prompts à nous empêch­er d’en rire ? 

[…]Oui je suis lib­ertin, je l’avoue ; j’ai conçu tout ce qu’on peut con­cevoir dans ce genre-là, mais je n’ai sûre­ment pas fait tout ce que j’ai conçu et ne le ferai sûre­ment jamais. Je suis un lib­ertin mais je ne suis pas un crim­inel ni un meur­tri­er «  […] Je suis lib­ertin, mais j’ai sauvé un déser­teur de la mort, aban­don­né par tout son rég­i­ment et pas son colonel. Je suis un lib­ertin, mais aux yeux de toute ma famille, à Evry, j’ai au péril de ma vie, sauvé un enfant qui allait être écrasé sous les roues d’une char­rette emportée par des chevaux, et cela en m’y pré­cip­i­tant moi-même. Je suis un lib­ertin, mais je n’ai jamais com­pro­mis  la san­té de ma femme. Je n’ai point eu toutes les autres branch­es du lib­erti­nage sou­vent si fatales à la for­tune des enfants : les ai-je ruinés par le jeu ou par d’autres dépens­es qui aient pu les priv­er ou même entamer un jour leur héritage ? Ai-je mal géré mes biens, … ai-je en un mot, annon­cé dans ma jeunesse un cœur capa­ble des noirceurs dont on le sup­pose aujourd’hui ? … 

 

Il demeure un enfant quand, empris­on­né, il demande à ses femmes (la sienne et Mil­li qui lui écrivent régulière­ment) de le faire rire, de lui racon­ter des fari­boles et rajoute-t-il : « que suis-je ici sinon un enfant » » « il faut avoir de dix à quinze ans pour être ici. Moi, tel que vous me voyez, je n’ai que onze ans ; aus­si je m’en trou­ve fort bien »

 « Dès Vin­cennes, [c’est à dire, dès sa pre­mière déten­tion, ndlr], et quoi qu’il en coûte, Sade veut être cet enfant résolu qui rit et dit « j’aime » quand on le déshon­ore ou lui donne les verges… et cer­tains sont encore assez aveu­gles aujour­d’hui pour le pren­dre au mot et ne pas voir ses larmes. », pré­cise Marie-Paule Farina.

Avec les let­tres de Mil­li, Sade s’a­muse en effet comme un enfant quand elle lui con­te des fari­boles ou lui donne des cours de provençal. « Vous avez fait de moi un rossig­nol. Il faut que je chante ou que je meure ». Quelle phrase magnifique !

 

Au fil des cor­re­spon­dances, ten­dres, touchantes, mal­heureuses, colériques, drôles avec ou sans retenue, tou­jours sous le joug de la cen­sure et mar­quées par la présence en fil­igrane des censeurs aux­quels par­fois les uns et les autres s’adressent, le style de Sade va se lâch­er, s’a­gac­er. Sa femme lui en fait reproche car ses facéties lui font retarder selon elle, un peu plus sa sor­tie, étant don­né que c’est prin­ci­pale­ment à cause de son sup­posé com­porte­ment dépravé qu’on l’a emprisonné.

Ces mêmes censeurs dont la bêtise va jusqu’à lui refuser  Les Con­fes­sions de Rousseau et laiss­er pass­er Lucrèce et  les dia­logues de Voltaire. « Partez de là, messieurs, et ayez le bon sens de com­pren­dre, en m’en­voy­ant le livre que je vous demande, que Rousseau peut-être un auteur dan­gereux pour de lourds big­ots de votre espèce, et qu’il devient un excel­lent livre pour moi. »

Au fil des mois, des années, l’emprisonnement sen­sé le soign­er de sa per­ver­sion n’au­ra fait qu’ag­graver son cas, libérant de plus en plus son mal­heur et sa révolte con­tre ces hypocrisies, cette injus­tice dont il est vic­time quand des hommes bien pire que lui se cachent pour des turpi­tudes plus graves.

Par big­o­terie, par jalousie, par méchanceté ou même cru­auté, Madame la Prési­dente l’a fait empris­on­né dès le début sur de faux pré­textes  liés à ses activ­ités sex­uelles (pros­ti­tuées).

S’adres­sant aux censeurs il dit : 

 

Vous avez imag­iné faire mer­veille, je le pari­erais, en me réduisant à une absti­nence atroce sur le « péché de la chair ». Eh bien, vous vous êtes trompés : vous avez échauf­fé ma tête, vous m’avez fait for­mer des fan­tômes qu’il fau­dra que je réalise, ça com­mençait à se pass­er, et cela sera à recom­mencer de plus belle. Quand on fait trop bouil­lir le pot, vous savez bien qu’il faut qu’il verse. Si j’avais eu Mon­sieur le 6 (n° de sa cel­lule), je m’y serais pris bien dif­férem­ment, car au lieu de l’en­fer­mer avec des anthro­pophages, je l’au­rais clô­turé avec des filles ; je lui en aurais fourni un si bon nom­bre que le dia­ble m’emporte si, depuis sept ans qu’il est là, l’huile de la lampe n’é­tait pas consumée ! 

 

À cha­cune de ses pre­mières sor­ties de prison sa belle-mère trou­vera un pré­texte pour le faire de nou­veau empris­on­né, voulant le sépar­er de sa famille à laque­lle il aurait pu nuire. À chaque fois il per­dra beau­coup de ses livres, de ses man­u­scrits, de ses biens et de ses amis.

L’ac­cu­mu­la­tion de malchance se pour­suiv­ra et il écrit ain­si à son avo­cat : « la journée du dix  m’a tout enlevé par­ents, amis, famille, pro­tec­tions, sec­ours, trois heures ont tout ravi autour de moi, je suis seul ».

Plus tard, avec la Révo­lu­tion, le château sera pil­lé, il se retrou­vera ensuite dans un grand dénue­ment et ce sera dans cette péri­ode que, pour­tant, il pub­liera ses plus grands textes.

Même si on entend peu la Prési­dente, sa belle-mère dans ces pages de Cor­re­spon­dance, elle est omniprésente, car c’est elle l’in­sti­ga­trice de tout son mal­heur et elle vam­pirise cha­cune des pages de cet ensem­ble, elle plane sur la vie de cet homme qui jamais n’a eu de véri­ta­bles mau­vais­es pen­sées à son encon­tre et était tout à sa merci.

Très jeune, il avait appris à faire con­fi­ance aux femmes qui l’ont cajolé, entouré, aimé plus que de rai­son. Il en est devenu le jou­et bien plus que le con­traire. Ses écrits ne sont que libéra­tion d’une souf­france et quelle meilleure vengeance pour les femmes que cette vie dévouée à l’écri­t­ure dénonçant l’ig­no­minie de cer­tains hommes.

« Femmes, lisez de toute urgence, un homme ten­dre qui fait, le sourire aux lèvres, l’apolo­gie du vice, ça libère dans un éclat de rire des hommes noirs qui, le couteau à la main font l’apolo­gie de la ver­tu. » nous dit Marie-Paule Fari­na en conclusion.

 

*****

 

Ces jolies per­son­nes, me dit Zamé, en me mon­trant les trois amies de la famille, vont vous faire croire que j’aime le sexe ; vous ne vous tromperez pas, je l’aime beau­coup, non comme vous l’en­ten­dez peut-être. Les lois de mon pays per­me­t­tent le divorce et, cepen­dant, con­tin­ua-t-il en prenant la main de Zoraï, je n’ai jamais eu que cette bonne amie et n’en aurait sûre­ment point d’autre. Mais je suis vieux, les jeunes femmes me font plaisir à voir, ce sexe a tant de qualités !

Sade, Aline et Val­cour, La Pléïade, t.1, p. 616 (cité par MP Fari­na dans son ouvrage)

Présentation de l’auteur

Marie-Paule Farina

Marie-Paule Fari­na est pro­fesseur de philoso­phie. Elle a pub­lié en 2012 un essai graphique chez Max Milo Com­pren­dre Sade, et a par­ticipé au film de Mar­lies Demeu­lan­dre Sade, mon­stre des Lumières. 

 

© Crédits pho­tos (sup­primer si inutile)

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Marie-Josée Desvignes

Col­la­bore à LEGS EDITION.

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  • Final­iste du prix Val de Seine 2002, Edit­in­ter (3e place pour Onzains de l’enfance)

  • Sou­tien du CNL, jan­vi­er 2003, bourse d’encouragement pour l’écriture poétique

  • Poésie Pre­mière, Gros textes, Frich­es, Encres vagabon­des, Fil­igranes, L’Echappée Belle, Frag­ments d’amour, ARPA (de 2003 à 2010), Lieux d’être, Décharge, Recours au poème, Terre à ciel, Paysages écrits… Jour­nal de mes paysages 2, Lesmot­splus­grand­sque­nous, Tra­ver­sées, Le cap­i­tal des mots, Ardem­ment Rési­dence auteur, Nunc, Imag­ine et poésia (revue inter­na­tionale), La piscine, Tiers Livre., Legs et Lit­téra­ture (dont un spé­cial Marie Vieux-Chau­vet), Revue Intanqu’ïllités (Ed Zul­ma), Ecrits du Nord

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