Auteur-Compositeur-Interprète, Jacques Bertin s’est toujours tenu en marge des milieux officiels, depuis ses débuts en 1966. Bertin écrit des poèmes. Certains sont faits pour être mis en musique ; d’autres, non. Il est l’un de nos plus grands poètes lyriques ; le chef de file des auteurs de sa génération, qui s’étaient fixés pour but de développer le je créateur sans gommer l’homme dans l’artiste. Nous lui devons une bonne vingtaine d’albums, de nombreux poèmes et une quantité non négligeable de chefs‑d’œuvre. Parmi les grands classiques du chant bertinien, citons entre autres : « Trois bouquets », « A Besançon », « Ambassade du Chili », « Les biefs », « Carnet », « Domaine de joie », « Paroisse », la Merveille, selon nous, « Les grands poètes », « Je voudrais une fête étrange et très calme », « La lampe du tableau de bord », « Retour à Chalonnes » ou « Le Rêveur ». Après Plain-chant, pleine page (Arléa, 1992), qui a rassemblé les poèmes et chansons de Jacques Bertin, de 1968 à 1992 ; Les Traces des combats donne accès aux chansons et poèmes de 1993 à 2010, à l’exception des poèmes de Blessé seulement (qui a paru en 2005 aux éd. l’Escampette) ; soit les textes des sept derniers albums (de La Blessure sous la mer, 1993, à Comme un pays, 2010), suivis par quatre grands ensembles de poèmes inédits. Une fois encore, Jacques Bertin nous démontre que chez lui, qu’il soit destiné à l’écrit ou à être chanté, le texte est poésie par essence et glisse comme un ongle sur la souffrance longue du temps. Il y a chez Bertin cette fracture existentielle, cette révolte inassouvie, cette plaie qui saigne dans sa vie comme dans ses mots, mots qui serrent de près comme la grêle. Un humanisme de combat proche de René Guy Cadou et de Luc Bérimont. Loin de l’état d’âme factice, que nous retrouvons chez tant de mirlitons, le lyrisme exigeant de Bertin rejoint l’être dans ses tréfonds : Traversez cette eau plongez‑y votre corps – Sur l’autre rive sont les arbres les mots dont vous avez besoin… — Sur l’autre rive le temps vous donne ses mains. Il éclate, tire à bout portant, sans la moindre complaisance : Moi je me suis rogné les ailes au mur. Le poème de Bertin est fait d’un alliage émotionnel qui n’a rien à craindre du temps. Il est un appel continu à l’insurrection : Il reste peu de temps pour sauver le monde et vous sauver – Il reste peu de temps pour vous investir de la sainte colère – Je vous vois comme un animal aux jambes cassées – Les yeux fous qui cherche à se lever qui cherche une aide – Dans le ciel vide autour de lui qui tourne et dans sa tête emballée. On chercherait, en vain, le mot ou la virgule en trop. Tout comme Plain-chant, pleine page, Les Traces des combats, est un grand livre de poésie ; un isthme qui, séparant la mer des solitudes, rassemble les hommes. La chose n’est pas si courante.
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