Ces textes ont été dif­fusés en 2019–2020 dans l’émission « La pierre à encre », ani­mée par Christophe Jubi­en, sur Radio Grand Ciel.

 

Le genre haïku a l’avantage d’ouvrir un espace lit­téraire au sein duquel le monde, l’être humain et la langue se retrou­vent dans un rap­port équili­bré, cha­cun ne prenant que sa place, furtive, limitée.

Le genre a tra­ver­sé les fron­tières du Japon, où il était né, au début du 20° siè­cle pour occu­per le vaste espace inter­cul­turel de la planète. C’est sa moder­nité, il se partage et réu­nit. Il aigu­ise l’attention. N’allez pas croire que sa forme fixe min­i­male : 5–7‑5 syl­labes, un mot de sai­son, une césure, soit d’un autre temps et mène à la facil­ité, au con­traire. Elle est un défi et un force.

Dans ces lignes, vous trou­verez quelques élé­ments qui col­orent la pra­tique fran­coph­o­ne du genre, arrivé en France vers 1903, dans toute son activ­ité aujourd’hui.

 

1. Retour au haïku, France, années 80

Trois poètes s’engagent dans l’écriture du haïku au cours des années 1980.

Patrick Blanche, né en 1950, s’approche du haïku en lisant « Jour­nal des yeux », de Gary Snider, poète de la beat gen­er­a­tion à San Fran­cis­co. Blanche pub­lie ses pre­miers haïkus en 1980, dans la revue P.A.F, réal­isée par Mau­rice Coy­aud. En voici quelques uns :

 

Une fois de plus l’hiver

me trou­ve sans compagne

mais la mon­tagne a des val­lées profondes

 

 

Sur la route enneigée

Les pattes des moineaux semblent

encore sautiller

 

Après la pluie,

Le chant des oiseaux

Sem­ble plus clair

 

 

Blanche vit dans la Drôme, a tra­vail­lé comme saison­nier ; sa fig­ure sem­ble proche du poète ermite. À une époque, il a fondé avec deux col­lègues drô­mois une école : « La voix.e du cra­paud ». Il est inter­venu à l’université, il a traduit des haïkus japon­ais avec Mako­to Kemmoku. Et il a pub­lié, entre autres, un livre de poèmes bilingues, au Japon : « Si léger le saule », dont voici un extrait :

Des années d’errance

ne demeure pas grand-chose

Le goût de la pluie

Pre­mières cerises

On les vole au bord des routes

comme des gamins

 

Sim­ple fait d’hiver

Couché sur des vieux cartons

un clochard : mort

 

Comme tous les midi

la nana au tatouage

s’en vient boire son coup

Alain Kervern, brestois, est né au Viet­nam en 1945. Il a étudié et enseigné le japon­ais et affirme que les non-japon­ais ne peu­vent com­pren­dre et écrire des haïkus. Mais, il se trou­vera emporté par cette vague du haïku dans les pays occi­den­taux et pub­lie lui aus­si des poèmes courts. Dans « Les portes du monde », aux édi­tions Folle avoine (1992) :

Les lam­padaires s’allument

A voix basse

La marée monte

Il monte il monte

L’orage

Par les cages d’escaliers

Volée d’étoiles

Longue­ment vibre

L’horizon

Bais­er

De la pre­mière abeille

Douleur au ralenti

Il désherbe une mémoire

                    ∗

A la pointe du ciel

L’estafilade

D’une mou­ette

Il désherbe une mémoire

Plus longue que sa vie

Le buveur de silence

 

                    ∗

Ren­dre au vent

Sa jeunesse

La fureur des chardons

Dia­logues, 5 ques­tions à Alain Ker­ven, 2009. 

Kervern a traduit aux édi­tions Folle avoine un almanach de sai­son, saïji­ki en japonais.

Jean Antoni­ni, moi-même chers amis, né en 1946, décou­vre le haïku japon­ais dans l’anthologie de Mau­rice Coy­aud : Four­mis sans ombre, édi­tions Phébus (1978). Je pub­lie un pre­mier recueil aux édi­tions Aube, région lyon­naise, en 1982 : Riens des villes et des champs.

Pre­mier fauchage

la rouille de l’année

dis­paraît dans l’herbe

           ∗

Petit géra­ni­um rouge

mon trem­plin matinal

en ce monde

L’univers est un grand mystère

dit-il en regardant

un car­ré de poireaux

                   ∗

C’est l’automne

les bal­ayeurs

ont du travail

Ce goût pour le haïku m’amènera à voy­ager et ren­con­tr­er de nom­breux poètes, dont l’un, Max Ver­hart, hol­landais, m’a pub­lié le recueil « Hé ! géra­ni­um blanc », en trois langues.

Le géra­ni­um blanc

juste cinq pétales éclos

sur la fenêtre

                    ∗

Trois tiges vertes, les yeux

glis­sent, mon­tent, se posent, s’éparpillent

sur les pétales blancs

                    ∗

Je cale les pétales

des tach­es blanch­es sur le ciel bleu

J’enfile mes deux yeux

La fleur blanche

elle en silence, je bégaye

la fleur blanche

                     ∗

Et si la fleur meurt

vais-je mourir aus­si, moi ?

Ensem­ble sous la terre

                    ∗

N’oublie pas fleur nous

le monde s’évapore fleur nous

rester bien serrés

                  ∗

Rem­plir sa vie   whoops

des brassées de géranium

de la terre au ciel

2. L’intérêt pour une esthétique autre

 

Au tour­nant des années 2000, avec le développe­ment des réseaux numériques et des mes­sageries, la pra­tique du haïku va soudain ren­con­tr­er des amateur.es très divers. Touché.es par la forme courte qui s’échange facile­ment, ou par la puis­sante brièveté du poème japon­ais, ou encore par son exo­tisme et son esthé­tique sin­gulière, cha­cun, cha­cune va se lancer dans l’écriture du haïku en dévelop­pant des moti­va­tions différentes.

Allons d’abord au plus sim­ple : le goût pour l’esthétique japon­aise telle qu’on peut la lire dans les recueils de Philippe Bréham.

Silence de l’aube

Et de la neige qui tombe

Sur la neige

(Ce poème obtint le 1° prix d’un con­cours de haïku organ­isé par un quo­ti­di­en japonais)

 

                    ∗

Au-dessus des pins

Flotte une lune brumeuse

Thé dans la véranda

Dans le repos du soir

Je n’entendis plus rien

Excep­té la montagne

 

 

                     ∗

Devant le Fuji

Un pho­tographe en extase

dépose l’appareil

L’auteur écrit en pré­face de Pins et Cyprès sous la lune, éd. Spir­i­tu­al­ité Art Nature : « L’acte poé­tique, c’est ten­dre vers l’expression d’une réal­ité tran­scendée… c’est aus­si aller au-delà de son ego vers l’intériorité pro­fonde de chaque être. » Bréham recherche, à tra­vers le haïku, une nou­velle forme de spiritualité.

Il en va tout autrement de Robert Dav­ezies (1923–2007), prêtre, mil­i­tant du com­bat anti­colo­nial, mem­bre du réseau Jean­son durant la guerre d’Algérie. Le haïku l’amène à décrire des scènes cam­pag­nardes avec empathie.

Cris des martinets

qui font des entailles

dans un matin de juillet.

                    ∗

Petits pois coulant

de la vieille main

de Marie au fond d’un bol.

                    ∗

Chem­i­nant au bord du ciel

sur sa bicyclette

le fac­teur rural.

Vous ne cueillerez

jamais que des figues

sur votre figuier.

                    ∗

Elle flotte, immaculée,

la culotte de gendarme

au ciel étendue

                    ∗

Il neige. Au jardin

le vieil arbre mort

se cou­vre de fleurs.

Il tonne. Un navet

dans la main, une servante

fait le signe de croix.

Dans ces poèmes (tirés de L’eau & le vin, éd. Maspero), nul exo­tisme si ce n’est celui d’une vie cam­pag­narde française.

Mar­cel Pelti­er, lui, fut pro­fesseur de math­é­ma­tiques durant 38 ans en Bel­gique. Il com­mence à écrire des poèmes autour de l’année 2000. Par la suite, il cherche une for­mule poé­tique plus resser­rée que le 5–7‑5 : un poème de 7 mots maximum.

 

Cré­pus­cule

Les choses se cachent

sans un bruit.

                    ∗

Con­ver­sa­tion prolongée

fond de bouteille

                    ∗

Les éoli­ennes

voilées par la brume

 

Trem­ble­ments,

ses lèvres rêvent.

                    ∗

Le jardin

recueille leurs voix,

Passereaux

                    ∗

Près de la banque

des pis­senl­its.

La con­ci­sion des poèmes de Mar­cel Pelti­er, tirés de Au creux du silence, éd. du Cygne, veut laiss­er le champ libre à l’imagination du lecteur.

Avec Pierre Cour­taud (1951–2011), l’écriture du haïku rejoint celle de la poésie française con­tem­po­raine, dans ses aspects frag­men­taire, instan­ta­né, effacé.

Faux mar­bre et cuir or

c’est écrire

sur un petit car­net made in Shangaï

                   ∗

Sur le vent déjà ―

plus rien à dire

 

 

                    ∗

Les hail­lons de la langue

et tout ce qui s’y cache

Aile non plus que feuille

Quel vent

les pousse à se ressembler ?

                    ∗

L’instant de l’éveil

dans son désordre

lumineux

 

                    ∗

Et blanche brume plutôt que fleur

là-bas-au-fond-du-champ-près-des-toits

boucli­er se lève

Ces poèmes sont tirés de 33 Haïkaï des sites et autres mod­èles, éd. La main courante.

 

3. Le goût de la fondation

 

Dans l’histoire du haïku fran­coph­o­ne depuis 1903, il y a eu des regroupe­ments de poètes pour écrire (kukaï), des numéros de revue, des arti­cles, des livres, mais la pre­mière asso­ci­a­tion (type loi 1901) date d’octobre 2003. Elle est fondée par les D : Dominique Chipot et Danyel Py (« Les D sont jetés » est le titre de l’éditorial du numéro 1 de la revue GONG). Hen­ri Chevi­g­nard par­ticipe à cette fon­da­tion, plus par­ti­c­ulière­ment sem­ble-t-il, par sa col­lab­o­ra­tion à la revue de la nou­velle asso­ci­a­tion : revue fran­coph­o­ne de haïku. Les deux D se réjouis­sent que 50 per­son­nes aient répon­du à leur appel asso­ci­atif, des belges, des cana­di­ens et des français. C’est un moment his­torique, ren­du pos­si­ble par la struc­ture même du haïku : une forme poé­tique fixe que cha­cun, cha­cune partage et qui rassem­ble donc ses pratiquant.es.

Par­lons des fon­da­teurs. Dominique Chipot, qui va rem­plir la fonc­tion de prési­dent de l’AFH pen­dant 3 ans, puis fonder une autre asso­ci­a­tion de haïku et con­tribuer à la tra­duc­tion en français de haïkus japon­ais essen­tiels (l’intégrale des hokkus de Bashô, notam­ment) est sans nul doute le fer­ment act­if de cette fon­da­tion. Il a décou­vert le haïku dans le roman « Oreilles d’herbe », de Sose­ki, et « il a choisi d’être dans ses haïkus un ‘passeur de sens’ en évo­quant le banal sans être banal », écrit-il sur son site « Le temps d’un instant ». Voici quelques poèmes tirés de L’ignorance du mer­le (2011) et La bous­sole dans son vol garde le nord (2016) :

le mer­le recueille

des pétales de glycine ―

je peins le salon

                    ∗

matin de printemps

et pour­tant mon cœur me dit

que l’automne est là

Revue Gong numéro 26.

 

lui ser­rant la main

je com­prends que son travail

n’était pas facile

                     ∗

dans ce vol de corbeaux

mati­nal

je lis l’aventure

 

cer­tains ont des avenues

lui

c’est une impasse

                    ∗

n’écris pas de poèmes

laisse la lumière dessiner

ton car­net de voyage

 

                    ∗

Pas­sant

dans la rue des grands hommes

passés

 

Daniel Py indique dans GONG n° 1 qu’il a décou­vert le haïku au hasard de ses lec­tures sur les philoso­phies ori­en­tales, à l’adolescence. En 2002, il organ­ise HCSC – Haïku-Con­cours-Sen­ryu-Con­cours -, un groupe de dis­cus­sion sur Inter­net qui per­met, dit-il, de nouer des con­tacts chaleureux. Par la suite, il sera, durant plusieurs années, l’animateur du Kukaï de Paris et pub­liera plusieurs tra­duc­tions de l’anglais de textes cri­tiques sur le haïku, ten­dance plutôt zen.

Voici quelques haïkus tirés de  « HAIKU » (2001) et « Galets sur la langue » (2004).

Une goutte de pluie

rebon­dit et pose 8 pattes

sur la table

                    ∗

Nuit d’août ―

partageant la moiteur

avec les mous­tiques assoiffés

Asso­ci­a­tion fran­coph­o­ne de Haïku.

                  ∗

Les arbres laissent

tomber à leur pied

leur robe de feuilles

                    ∗

sur l’emplacement

du WTC, l’ombre

de tours voisines

 

le miroir

ne fait pas un pli ―

vis­age ridé

                    ∗

elle regarde un livre

je lis dans son décolleté

l’unique ligne

                    ∗

mou­ettes

por­tant l’histoire du vent

dans leurs ailes…

 

On peut lire Daniel Py sur son blog : http://haicourtoujours.wordpress.com/

Hen­ri Chevi­g­nard écrivait dans le numéro 1 de GONG : « Gong ! Très sim­ple­ment, c’est un impact, suivi d’une réson­nance. Mais on saura aus­si y décel­er une image fugi­tive, imprimée sur la rétine ; un cri, que pro­longe un écho ; une pas­sante en allée, n’offrant plus que son par­fum ; une cica­trice, témoignant d’une anci­enne blessure… »

À ma con­nais­sance, il n’a pas pub­lié de recueil de haïkus, mais on peut lire ses ter­cets dans la revue GONG et dans les antholo­gies « Dix vues du haïku » et « Zestes d’orange » :

À l’aube

la pro­fondeur des labours

Un reste de rêve

                    ∗

Bol de thé

posé sur le parquet

Sen­tir ses cheveux

                   ∗

Cohue du métro ―

sur ce man­teau bleu marine

un cheveu blanc

Mon calepin vert

rem­placé par un bleu

Pre­mier gel

                  ∗

Hall de gare

les tra­jec­toires des voyageurs

autour du mendiant

                    ∗

Un ciel d’encre

redes­sine la colline

Les champs labourés

                    ∗

Train d’hiver

péné­trant dans un tunnel

odeur de mandarine

4. Le goût de la transmission — ateliers

 

La forme courte du haïku en a fait une forme poé­tique pro­pre à être échangée et trans­mise. Ces échanges et ces trans­mis­sions ont pris deux formes : les ate­liers d’écriture et les kukaïs. Abor­dons d’abord les ate­liers d’écriture et trois poètes de haïku qui se sont illus­trés depuis plus d’une dizaine d’années dans l’animation d’ateliers, sou­vent en direc­tion des jeunes gens, dans les écoles ou les médiathèques.

Par­lons d’abord de Jeanne Painchaud, poète cana­di­enne qui vit à Mon­tréal et qui a pub­lié en 2015 le livre « Découper le silence – Regard amoureux sur le haïku ». Elle écrit que, « pour partager son ent­hou­si­asme pour le poème, elle a com­mencé à ani­mer des ate­liers d’initiation en 1997 ». « Quand je fran­chis la porte d’un ate­lier, mon objec­tif est tou­jours le même, dit-elle : met­tre le feu à la classe ». Et elle cite le haïku d’un jeune garçon de 13 ans assez turbulent :

 

print­emps

les plus belles fleurs

por­tent des mini-jupes

 

Voici quelques haïkus de Jeanne Painchaud, tirés de « Le ciel si pâle », édi­tions de La Lune bleue.

le ciel si pâle ce matin

douter même

de l’existence des étoiles

                     ∗

lune pleine

poches vides

des soirs comme ça

                    ∗

ces branch­es d’érables nues

autant de mains

ten­dues vers le ciel

                    ∗

il veut pass­er la nuit

avec moi

le papil­lon de nuit

Jeanne Painchaud, Découper le silence, regard amoureux sur le Haïku, édi­tions Somme toute, 2015.

                    ∗

regarder les nuages

les sen­tir gliss­er profondément

en soi

 

dans le tour­bil­lon du soir

zigzaguent deux moustiques

pre­mier baiser

 

Jeanne Painchaud a égale­ment médi­atisé le haïku dans des dis­posi­tifs artis­tiques : pochoirs sur les trot­toirs ou lanternes japon­ais­es en médiathèque.

Isabel Asún­so­lo, quant à elle, a com­mencé l’animation d’ateliers d’écriture de haïku comme éditrice de la mai­son qu’elle a fondée, avec Eric Hel­lal : les édi­tions L’iroli. Elle a pub­lié plusieurs antholo­gies thé­ma­tiques de haïku et des guides pour l’écriture, comme « Le haïku en herbe » (L’iroli, 2012), et aux édi­tions leduc : « Mes pre­miers haïkus pour bien grandir » et « La magie du haïku à partager avec vos par­ents ». Au cours de ses ani­ma­tions, Isabel Asún­so­lo insiste par­ti­c­ulière­ment sur le fait d’observer les choses autour de soi durant des prom­e­nades d’écriture (ginko) et sur le fait de choisir le mot juste : un oiseau ? quel oiseau ? une pie, une alou­ette, un éper­vi­er, un moineau ? Elle habite à Beau­vais et trans­mets l’écriture du haïku aux jeunes sco­laires de la région des Hauts de France et d’ailleurs. Quelques uns de ses poèmes (Les car­nets qui rêvent n°6) :

je mets une fleur

d’amandier dans sa paume

elle ouvre la bouche

                    ∗

novem­bre

le couteau heurte le vide

de la meringue

                    ∗

 

Isabel Asun­so­lo, Le haïku en herbe, L’Iroli édi­tions, 2012, 160 pages, 15€.

après son départ

je mets à griller au four

deux beaux poivrons rouges

                    ∗

nuit de neige

au réveil mon dernier fils

me dépasse !

 

alerte orange

le rouge-gorge finit

mon Paris-Brest

                 ∗

dimanche de Rameaux

la chat­te Geisha mâchonne

le petit buis

 

Dans l’animation d’ateliers, Thier­ry Cazals est un maître planteur. « Il suf­fit par­fois d’une graine plan­tée dans le silence pour que le monde se remette à sourire. » dit-il. Et son expéri­ence d’animation, il la partage dans un livre qui vient de paraître à la mai­son cot­cot­cot édi­tions : « Des haïkus plein les poches ». « Ne cherchez pas de vagues idées dans votre tête, dit-il, partez de sen­sa­tions vécues pré­cisé­ment. Un haïku est une invi­ta­tion à sor­tir de notre bulle et repren­dre con­tact avec la vie en direct. » Il cite ce poème :

 

Je marche

sur des feuilles rouges

un dan­ger agréable

                   de Cédric, Col­lège, Clamart

 

Thier­ry Cazals incite les jeunes aspi­rants à pren­dre un nom de plume, comme ceux des poètes japon­ais : Bashô, c’est bananier ; Buson, Vil­lage de navets ; Issa, Une tasse de thé ; Ranset­su, Tem­pête de neige ; Chiget­su, Lune sage.  Une façon de s’écarter de sa vie, de soi-même, pour mieux regarder.

Voici quelques poèmes de Thier­ry Cazals, tirés de «La volière vide », aux édi­tions L’iroli :

 

je ne sonne pas, ne frappe pas

cette porte

c’est elle que je suis venu voir

                ∗

les arbres par­mi les maisons
et soudain
les maisons par­mi les arbres

                    ∗

le long de la voie ferrée

igno­rant les horaires

les cerisiers fleurissent

                    ∗

nuit d’insomnie

un à un les bourgeons

se défrois­sent

 

un homme

hap­pé par le brouillard

rarement l’inverse

 

 

                    ∗

cher­chant à qua­tre pattes

une aigu­ille sous l’armoire

long jour d’été

                    ∗

long hiv­er

je taille mon cray­on pour mieux

ne rien écrire

                    ∗

après le pas­sage de la fanfare

je relis mes haïkus

avec sus­pi­cion

5. Le goût de la rencontre : kukaï

 

C’est en 2006, au Fes­ti­val de haïku organ­isé à Paris par l’AFH, que le poète See­gan Mabesoone nous a expliqué com­ment se trans­met­tait la pra­tique du haïku au Japon dans les ren­con­tres (kukaï) de poètes sous la direc­tion d’un poète expéri­men­té. Par la suite s’est créé le kukaï de Paris, avec Daniel Py, et le kukaï de Lyon, avec moi-même.

Dans une ren­con­tre clas­sique, cha­cun apporte 3 poèmes, les poèmes sont copiés sur dif­férents papiers pour devenir anonymes et cha­cun lit l’ensemble des poèmes et retient les trois qui lui plaisent le plus. Au cours des lec­tures, on échange sur le poème, son intérêt, ses images,  etc. Et l’auteur est appelé à se dévoil­er et à évo­quer l’écriture du texte. Puis, on relit les haïkus choi­sis et le nom­bre de voix obtenus. Le kukaï peut aus­si se rap­procher de l’atelier d’écriture et on tra­vaille le mot de sai­son ou la césure, ou autre chose. C’est un moment très convivial.

Aujourd’hui, il existe plusieurs dizaines de kukaïs en France, en Bel­gique, au Cana­da fran­coph­o­ne, qui se réu­nis­sent régulière­ment et font con­naître leurs activ­ités sur des sites ou des blogs. Par­lons du kukaï de la ville de Québec, au Québec, puis de celui de Lyon, que je con­nais bien.

Le 5 sep­tem­bre 2017, nous racon­te Geneviève Rey dans la revue GONG n°61, pour la ren­trée du Kukaï de Québec, le groupe a réal­isé un ginko (balade-haïku) au cimetière-jardin de Mount Her­mon avec un groupe de dessi­na­teurs. Voici quelques uns des haïkus écrits, un par participant.es.

sur la pierre

un trait entre deux nombres

le temps d’une vie

                    Bernard Duchesne

                    ∗

sous l’orme géant

devant la croix de granit

une jeune femme

                  André Vézina

                    ∗

bruisse­ment de feuilles

les arbres centenaires

défient la mort

                    Solange Bouin

                    ∗

sol­dat de 18

à côté d’Anne de 39

amour éter­nel

                    Don­na McEwen

                    ∗

sous le grand pin

un ange de pierre

veille une stèle vierge

                    René Moisan

trois croix

côte à côte

la blancheur des lettres

                    Diane Prévost

                      ∗

les grands pins

témoins stoïques

de tous ces chagrins.

                   Mar­i­anne Kugler

                    ∗

une sim­ple pierre

dans le gazon

elle avait vingt-sept ans

                    Geneviève Rey

                    ∗

sur le banc

bou­quet de fleurs fraîches

mer­ci à la vie

                    Jean Deronzier

 

Et main­tenant, une séance clas­sique du Kukaï de Lyon, le 9 mai 2019, ani­mée par Patrick Chomi­er :  Le thème — « Pour sor­tir de la fas­ci­na­tion de la vue, nous choi­sis­sons d’écrire deux haïkus non visuels. »

les bras tendus

à petits pas chercher la porte

dans la nuit

                    Chris­t­ian Lher­bier (4 voix)

                    ∗

craque­ments d’os

au pied de mon lit

souris ou oiseaux ?

                  Béa­trice Aupetit-Vavin (3 voix)

                     ∗

Tin­te­ment

de la petite cuillère

sur le bol

                    Jacques Bec­ca­ria (2 voix)

                   ∗

Mois de mai

l’odeur du gazon coupé

Soli­tude

                    Jacques Bec­ca­ria (1 voix)

frois­sée dans ma main

une feuille de menthe

odeur de vacances

                    Béa­trice Aupetit-Vavin (3 voix)

                      ∗

dans l’ombre chaude

dort le gros chat paisible

par­fum de roses

                    Mar­tine Mari (2 voix)

                    ∗

A cinq heures

l’alarme incendie

Riz cramé

                    Danyel Borner (2 voix)

                    ∗

elle m’annonce

la mort de son père

les cris du bébé

                    Patrick Chomi­er (1 voix)

 6. Regards de femmes

 

Les qua­tre poètes con­sid­érés comme des maîtres de haïku au Japon sont qua­tre hommes : Bashô, Buson, Issa et Shi­ki. Pas une femme poète dans cette hiérar­chie établie au pays du soleil lev­ant. Et pour­tant, dès le début du 18° siè­cle, une femme poète, Chiyo-ni, a réal­isé une belle œuvre de haïkaï. Ses poèmes ont été traduits en français chez Moundaren et chez Pip­pa. Dans leur présen­ta­tion de la poète, Grace Keiko et Monique Ler­oux Ser­res écrivent : « Chiyo-ni écrit sans chercher à copi­er les hommes et assume sa part fémi­nine. » Cela aurait pu être un motif pour lui faire une place par­mi les maîtres de haïku japon­ais. Mais la place sociale lais­sée aux femmes japon­ais­es, encore aujourd’hui, ne le per­met peut-être pas. Citons un de ses hokkus traduit par Keiko et Ler­oux Serres :

otoko nara   hito yo nete min   hana no yama

si j’étais un homme

dans la mon­tagne en fleurs

je passerai la nuit

Dans l’espace fran­coph­o­ne, par con­tre, les antholo­gies de haïkus écrits par des femmes n’ont pas man­qué depuis les années 2000. Com­mençons par men­tion­ner « Du rouge aux lèvres », une antholo­gie de haïjins japon­ais­es réal­isée par Mako­to Kemmoku et Dominique Chipot, aux édi­tions La table ronde, en 2008. On y lira une quar­an­taine de poètes japon­ais­es, depuis l’époque de Bashô jusqu’à aujourd’hui.

Mais les antholo­gies de poètes fran­coph­o­nes ont pris leur part. La pre­mière est réal­isée par l’auteure québé­coise Jan­ick Bel­leau, pub­liée par l’Association fran­coph­o­ne de haïku et les édi­tions Adage en 2009 : « Regards de femmes ». En pré­face, Bel­leau évoque le mot « gynku » pour un haïku de femme. Et, elle décrit les thèmes abor­dés : la nature, bien sûr, le Je, l’amitié et l’amour, les rela­tions mère-fille, le quo­ti­di­en, le corps à soi, l’humour, la société, l’environnement. Elle se pose la ques­tion d’une écri­t­ure androgyne.

ma vieille amie

des étin­celles dans les yeux

mal­gré les rides

                    Louise Vachon

                    ∗

au chevet de ma mère

je retrou­ve mes gestes

de maman inquiète

                    Amel Ham­di Smaoui

                   ∗

retour du marché

les bras pleins de légumes

et de pen­sées pour l’hiver

                    Nicole Olivier

la gas­tro de la petite

toute la famille y passe ―

lune de février

                    dorothy howard

                    ∗

cinquante et un ans

il pho­togra­phie toujours

ma nudité

                    Dominique Champollion

 

 

 

Un an plus tard, 2010, c’est l’éditrice isabel Asún­so­lo qui pub­lie aux édi­tions L’iroli « La lune dans les cheveux », 88 femmes plus un. Chaque auteure est présen­tée par un poème avec sa tra­duc­tion en espagnol.

ton cœur

j’en ressens les secousses

sur mon ven­tre rond

                     Céline Larouche

 

elle berce sa poupée

sur sa poitrine naissante

la petite fille

                    Hélène Bouchard

dans le musée

elle admire les statuettes

aux seins pendants

                   Miche­line Beaudr

 

En 2018, Danièle Duteil reprend le flam­beau avec 127 femmes sous le titre « Secrets de femmes », aux édi­tions pip­pa. Duteil écrit en pré­face : « … les femmes brû­lent d’exister aus­si en dehors de la vie domes­tique, si exquis leur foy­er soit-il. »

Kobayashi Issa (Le goût des Hïakus).

lueur du jour
rêvant de maternité
je nour­ris les poules

Geneviève Fil­lion

pho­tos de famille
sur le vis­age des femmes
le même sourire

Sophie Copinne

 

Retour de la neige
Mes règles à jamais
disparues

Monique Ler­oux Serres

 

 

Il faut encore citer « Sens dessus dessous », en 2018, où Choupie Moysan, Chan­tal Couliou et Régine Bobée pub­lient le désir et les fan­tasmes féminins (assez proches des mas­culins) dans la col­lec­tion Envol­ume dirigée par Igor Quézel-Perron.

Pouce levé
robe col­lée à la peau
l’auto s’arrête

 

Balade à vélo
seule dans le bois touffu
― rêver du loup

Nacre de ses dents
sa bouche entrouverte
Ah… ! m’y faufiler
A la prochaine fois.

 

7. Les revues francophones

 

La plus anci­enne, par­mi les con­tem­po­raines, est la revue papi­er GONG. Son pre­mier numéro (cou­ver­ture jaune, 32 pages, paru­tion trimestrielle) fut lancé en octo­bre 2003 par Dominique chipot (directeur d la pub­li­ca­tion jusqu’en 2006), Daniel Py et Hen­ri Chevi­g­nard. C’était le début de l’association française, puis fran­coph­o­ne de haïku. « Les dés sont jetés. L’aventure com­mence. » écrivaient les deux D. Et Hen­ri Chevi­g­nard, page 9 : « Gong ! Très sim­ple­ment, c’est un impact, suivi d’une réson­nance. » Le son, qui se propage plus lente­ment que la lumière dans l’air était priv­ilégié dans le titre de la revue. Aujourd’hui, la revue en est à son numéro 67 (cou­ver­ture orange, 72 pages), j’en suis le rédac­teur en chef depuis 2007, avec le comité de rédac­tion : isabel Asun­so­lo, Danyel Borner, Geneviève Fil­lion, Sab­ri­na Lesueur, Eléonore Nick­o­lay et Klaus-Dieter Wirth. Abon­nez-vous ! Abon­nez-vous ! Voici quelques haïkus du n°1 et du n° 67 :

 

 

soleil mati­nal ―
quelques cor­beaux se partagent
les champs moissonnés

Hen­ri Chevignard

 

l’étudiant en flûte
de ses volutes repeint
chaque matin les murs

Daniel Py

 

Cré­pus­cule
Odeur enivrante
Du seringat par la fenêtre

Leslie Riard

 

 

déclin de l’été
les four­mis sur la glycine
soignent les pucerons

Dominique Chipot

 

blancs et légers
j’irais bien nager
dans les nuages

Béa­trice Aupetit-Vavin

 

mars éteint
et ral­lume la lumière
― giboulées

Mireille Péret

 

 

Vous pou­vez lire tous les numéros de GONG sur www.association-francophone-de-haiku.com.

En 2007, la revue numérique 5–7‑5, revue fran­coph­o­ne de haïku, est créée par Serge Tomé, sur son site web dédié au haïku depuis 1999 : Temp­sLi­bres. Cette revue, qui sur­git à la fin de la revue papi­er cana­di­enne Haïkaï, paraî­tra trimestrielle­ment de l’hiver 2007 à la fin 2010. Serge Tomé indique que chaque numéro sera col­oré par un poète par­ti­c­uli­er. Meriem Fres­son tien­dra une rubrique haïbun régulière jusqu’à la fin ; et Daniel Py, une rubrique « zen con­tem­po­rain et haïku urbain » épisodique. Damien Gabriels dirige le n°2, de nom­breux inter­venants se sont mobil­isés. Cette aven­ture promet­teuse dur­era peu de temps. Meriem Fres­son y fera un tra­vail impor­tant pour le haïbun fran­coph­o­ne, qui se pour­suiv­ra dans « L’écho de l’étroit chemin », la revue de l’Association Fran­coph­o­ne des Auteurs de Haïbun, créée et dirigée par Danièle Duteil, fon­da­trice tou­jours active de l’AFAH. Les numéros de 5–7‑5 peu­vent être con­sultés sur 575.tempslibres.org. Quelques haïkus du numéro 2 :

 

après l’averse
odeur de tisane
sous les tilleuls

Moni­ka Thomas-Petit

 

 

dans le brouillard
même ma voix
disparaît

Philippe Quin­ta

 

 

la four­mi
emportée par la goutte d’eau
fin de l’été

Miche­line Beaudry

 

 

Ploc ! la revue du haïku est ouverte par Dominique Chipot en 2008. C’est la revue numérique de l’association pour la pro­mo­tion du haïku, APH. Chaque numéro est réal­isé par un poète dif­férent : Olivi­er Wal­ter, Fran­cis Tugayé, Sam Can­narozzi, Chris­t­ian Fau­re, Damien Gabriels, Hélène Phung. La paru­tion, de 8 à 10 numéros par an au début, est à présent de 2 numéros par an. On peut y lire des haïkus et sen­ryûs, des arti­cles, des haïbuns, des notes de lec­ture. Voici quelques haïkus du n° 78, févri­er 2020, réal­isé par Hélène Phung :

 

soirée sans nuages
le bruisse­ment des feuilles mortes
portées par le vent

Maria Tire­nes­cu

 

 

sur la neige fraîche
chut !
l’ombre d’un nuage

Annie Chas­s­ing

 

 

eaux trans­par­entes
entre les herbes la grenouille
somnole

Abder­rahim Ben­saïd-Sidi Kacem

 

 

Vous pou­vez lire tous les numéros de cette revue sur www.100pour100haiku.fr

Sig­nalons, pour ter­min­er, la revue numérique dédiée au haïbun que l’on peut lire à association-francophone-haibun.com.

Buson (Le goût des haïkus).

8. Recherches universitaires

 

Dans les dix dernières années, les chercheurs uni­ver­si­taires s’intéressent au haïku : un pre­mier col­loque, « Le haïku en France, poésie et musique », est organ­isé à Lyon 3, en 2011, par Jérôme Thélot et Lionel Verdier. Il mon­tre que la forme poé­tique japon­aise tra­verse le domaine de la créa­tion en France, par­ti­c­ulière­ment en poésie et en musique.

« Le haïku fut pour beau­coup des poètes de l’après-guerre la chance inespérée d’un réin­ven­tion de la poésie française, la ren­con­tre de cet ailleurs du dis­cours,dans le con­gédiement de la pen­sée rhé­torique et de la pen­sée logique, grâce à quoi par­ler poé­tique­ment fut de nou­veau pos­si­ble, après tout.… Nul doute que s’il y a eu dans la langue française depuis cent vingt ans une décou­verte cap­i­tale, c’est bien celle-ci, — la décou­verte que les poètes ont faite du haïku. » écrit Jérôme Thélot. On perçoit la déter­mi­na­tion de ce chercheur pour expliciter l’intérêt des poètes français pour le haïku japon­ais. Mais, dans ce tra­vail, n’est abor­dé que ce rap­port extérieur au genre poé­tique, un rap­port cri­tique, un rap­port de con­fronta­tion, lim­ité par l’existence de cul­tures dif­férentes, mar­quées par la nation­al­ité dévelop­pée dans chaque pays.

 C’est le cas emblé­ma­tique de Yves Bon­nefoy, qui écrit : « …quelques poètes des XIX° et XX° siè­cle ont cru pos­si­ble de recom­mencer, en français notam­ment, une pra­tique ana­logue à celle du haïku, et même ont estimé y avoir assez réus­si pour s’approprier le mot. Ils regar­dent une fleur, dis­ons une rose, comme ils imag­i­nent que le poète japon­ais con­tem­ple la fleur de cerisier.

Mais quelle dif­férence pour­tant ! Dans le haïku, rien n’est isolable de rien, s’arrêter à quoi que ce soit serait sépar­er cet objet de l’attention, chose ou vie, du reste de ce qui est, dénouer la con­ti­nu­ité de l’environnement naturel, et pour qui le ferait ce serait se couper lui aus­si du tout, per­dre ce bien, ce seul bien, par illu­sion que l’on peut exis­ter par soi. La fleur du cerisi­er, si tôt défaite, c’est l’offre de méditer l’immédiat éparpille­ment, qui se doit d’être heureux, de l’être illu­soire de la personne. »

Muraka­mi Kijo (Le goût des haïkus).

 

Quand d’autres, comme Jean-Jacques Ori­gas, rap­pel­lent la « vul­gate du haïku » pro­posée par Aki­mo­to Fujio (1901–1977) :

  1. Le haïku est un art mineur. Donc, si on ne réus­sit pas à faire de bons haïkus, c’est sans conséquence.
  2. C’est un poème bref. Donc, il ne faut pas faire un effort trop long.
  3. C’est un poème à forme fixe. Il y a tou­jours un cadre. Étant don­né que nous avons dans l’esprit cer­taines impres­sions, cer­tains mots, il fau­dra bien arriv­er à les met­tre dans le cadre 5–7‑5.
  4. Il faut tou­jours tenir compte du rythme des qua­tre saisons.
  5. C’est égale­ment le poème de l’aïsat­su, c’est-à-dire de la « salutation ».
    Bref, ce sont des déf­i­ni­tions tout à fait banales. Pour­tant accep­tons-les, ajoute Ori­gas. Ces déf­i­ni­tions con­stituent un rap­pel. À par­tir d’elles, réfléchissons.

The Haiku poems of Chiyo ni looked at in a new way, Une autre lec­ture des haïkus de Chiyo Ni.

 

Un deux­ième col­loque s’est tenu à Paris 3, en 2019, sous la direc­tion de Muriel Détrie et Dominique Chipot : « Fécon­dité du haïku dans la créa­tion con­tem­po­raine. » Le pre­mier col­loque soulig­nait la par­ti­tion entre « haïku » (genre poé­tique japon­ais) et « France ». Celui-ci entre directe­ment dans l’exploitation de la forme poé­tique d’origine japon­aise, accli­matée par des écrivains ou artistes fran­coph­o­nes pour des raisons qui leur sont propres.

Muriel Détrie, maître de con­férences en lit­téra­ture com­parée, souligne en ouver­ture la « forme sim­ple » du haïku : « Comme toute ‘forme sim­ple’, le haïku au sens où on l’entend aujourd’hui n’est pas une forme lit­téraire bien définie comme l’est le haïku japon­ais qui com­porte des règles ryth­miques (17 mores en 5–7‑5), struc­turelles (deux par­tie dis­tin­guées par un kire­ji ou mot-césure), thé­ma­tiques (emploi d’un kigo ou mot de sai­son) et esthé­tiques (voir les principes sabi, karu­mi, fue­ki et ryûkô, etc. util­isés par Bashô), mais il est d’abord et essen­tielle­ment défi­ni par sa brièveté. La brièveté est ce qui a d’emblée frap­pé les pre­miers com­men­ta­teurs occi­den­taux (de Paul-Louis Cou­choud à Roland Barthes) et ce qui est resté comme la car­ac­téris­tique fon­da­men­tale du haïku.… Dans tous les cas, c’est l’idée de brièveté extrême, de lim­ite du lan­gage, qui est perçue comme con­sti­tu­tive du haïku… »

Roykan, (Le gout des haïkus).

 

A par­tir de cette forme à la brièveté extrême, chaque inter­venant étudie l’usage que chaque artiste ou écrivain fait du haïku. Par exem­ple, Mag­a­li Bossi, doc­tor­ante à l’université de Genève, étudie les « Haïkus de prison » pub­liés par Lutz Bas­mann, un des hétéronymes de l’écrivain Antoine Volo­dine. Dans ce livre, une suc­ces­sion de haïkus écrits par un pris­on­nier a pour tâche de ren­dre compte d’une guerre.

Le pre­mier qui monde dans le wagon
a l’impression fugitive
qu’il est maître de son destin

 

Le deux­ième à entrer
s’installe le plus loin possible
du trou à pisse

 

Le dernier qui monte là-dedans
regarde tou­jours on ne sait pourquoi
der­rière son épaule

 

 

Ici, on voit bien que les haïkus sont devenus des élé­ments de nar­ra­tion, des frag­ments, qui n’ont plus grand chose à voir avec le haïku japon­ais, si ce n’est leur brièveté. D’ailleurs, on peut lire des poèmes tels que :

Le Japon­ais par­le des cerisiers
pour­tant dehors
la neige tombe.

 

 

Et mal­gré tout, un tel tra­vail mon­tre que la forme poé­tique du haïku peut intéress­er bien des écrivains occi­den­taux, pour divers­es raisons, peut-être ici en par­ti­c­uli­er parce que le haïku se situe à la croisée du nar­ratif et du poétique.

∗∗∗

Voici donc un aperçu, non exhaus­tif bien sûr car le domaine est très dynamique, du monde du haïku fran­coph­o­ne. C’est la petite taille du haïku, son équili­bre entre l’humain, le monde et le lan­gage, et son humour qui ont fait le suc­cès de ce genre. Il con­stitue un véri­ta­ble fer­ment poé­tique qui rassem­ble les gens et qui envahit l’espace.

Sur le site de l’Association fran­coph­o­ne de haïku vous pou­vez trou­ver beau­coup de liens pour pren­dre des con­tacts et beau­coup d’éléments péd­a­gogiques pour se lancer dans la pra­tique de ce genre si sou­ple, si proche de la nature et si pro­pre à créer des rassem­ble­ments de poètes.

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Jean Antonini

Jean Antoni­ni né en 1946, vivant à Lyon depuis 1980, s’engage dans l’écriture comme activ­ité de recherche. A enseigné la physique, aime partager l’écriture, ani­me des ate­liers. Il a écrit des textes en com­pag­nie d’amis artistes ou pho­tographes. Cap­tivé par le haïku, a pub­lié plusieurs recueils, et deux livres col­lec­tifs. Coprési­dent de l’Association fran­coph­o­ne de haïku, rédac­teur en chef de la revue GONG. Bib­li­ogra­phie — https://youtu.be/IiG7yJpUeUA Entre­tien avec Georges Chich et Chan­tal Rav­el, Coin­ci­dences poé­tiques, 30-01-2020 — Cent deux haï­gas, avec Roger Groslon, éd. unic­ité, Paris, 2019 (haïku) — D’un champ à l’autre, avec Véronique Dutreix, éd. unic­ité, Paris, 2016 (haïku) — Au creux de nos gorges, avec Hélène Bois­sé, éd AFH, Bar­jols, 2014 (haïku) — Cas­cade du futur, Ban’ya Nat­su­ishi, 100 haïkus traduits du japon­ais avec Keiko Taji­ma, éd. L’Harmattan, Paris, 2014 (haïku) — Chou hibou haïku, Guide de haïku à l’école et ailleurs, Col­lec­tif, direc­tion, ALTER-édi­tions, Lyon, 2011 (haïku) — Hé ! géra­ni­um blanc (français, anglais, hol­landais), ‘t schri­jverke, Pays-bas, 2010 (haïku) — Ternes, trad. en roumain par Teodo­ra Motet, ed. Amurg Sen­ti­men­tal, Bucarest, 2010 (haïku) — Ses mèch­es de cheveux blancs, Jean-Pierre Huguet édi­teur, St Julien Molin Molette, 2009 (prose) — Mon poème favori, dessins de Vic­tor Cani­a­to, tra­duc­tions de Richard Bate­man, Aléas édi­teur, 2007 (haïku) — Ipse flu­vio, dessins de Roger Groslon, Aléas édi­teur, 2006 (prose) — Chemin de temps, avec Roger Groslon, livre d’art autoédité, 2004 (poésie) — Antholo­gie du haïku en France, col­lec­tif, direc­tion, Aléas édi­teur, 2003 (haïku) — Jour­nal de corps, La bar­tavelle édi­teur, Char­lieu, 1998 (prose) — Ternes, La bar­tavelle édi­teur, Char­lieu, 1994 (haïku) — Exer­ci­ces sen­sa­tion­nels, édi­tions Eliane Ver­nay, Genève, 1987 (haïku) — Coup de fusil dans la banane, édi­tions Ver­so, Lyon, 1986 (poésie) — Haïku, édi­tions Le Pavé, Caen, 1986 (haïku) — Rien des villes et des champs, édi­tions Aube, Lyon, 1982 (haïku)