Je cherche la langue des arbres
Je cherche une langue d’arbre qui parle
une langue pour mon arbre roi des arbres
mon arbre chevelu aux lucides racines de banjo
mon Benjiño de molle écorce attentive
au cœur de tête de lionceau
Pour grimper au tronc pur du Benjiño
Je lave ma langue
Écroulant les pierres des anciens mots
Trempent mes lèvres à la lave des mots naissants
par tonnerres femelles et tonnelles d’orages
j’arrache à la serpe la peau chèvre des phrases
aux grelots qui se trompent en ricanant
À coups de hoquets de volcan
Je convoque la mémoire chaire d’une cerise qui fut mordue par son noyau
À coups de hoquets de volcan
Je convoque de félines prises pour avancer haut
prises de canines fières vêtues du plus beau sang
Au chant bisaigüe de la première dent que surgit l’animale fièvre
mes lèvres se trempent à la bave
des mots vagissant
L’eau louve des lunes tétées
à pleurs de reflets de brume troublée
gargarisant l’eau pâle des mers raclant la gorge des dunes
nourri à la manne des pétales feux coupés
Rugisse le tonnerre léchant ses échos mugissants
Mûrissent les bras pousses d’épaules aléatoires
les bras des arbres dans le tremblé du noir
Pour grimper au tronc pur du Benjiño
Je plonge bourgeons de mots au sein du son claironnant
Au son du fruit de banjo je plonge forêts de mots
errant mes mots enfants de mots
que je rondis
des mains
OUTRE-TERRE
Écoute ma voix singulière qui te chante dans l’ombre
Ce chant constellé de l’éclatement des comètes chantantes,
Je te chante ce chant d’ombre d’une voix nouvelle
Avec la vieille voix de la jeunesse des mondes.
(Léopold Sédar Senghor)
« Sur une terre claire
Sur terre lourde Tentaculée noire
Autant chaire boueuse autant chaire nue
Terre-cri à peine crue »
« Nos pas se sont posés
Foulant d’anciens membres noueux nos pas se sont posés
Je me rappelle, encore je retiens
— Et comment et combien ? »
« Et nos traces
Nos traces fusains de douceur parcourant un dos immense
Un dos immense poussant dorsales de dromadaires
Nos traces nos traces j’en ai très pleine souvenance ont infusé les vasques
Les vasques de vastes ouvertures d’Ailleurs
— Et comment et combien ? »
« Et nos pieds — combien — nos pieds ont buté un vent épais venté trop doux et très puissant
qui semblait traverser le Crin membru de ta Jument-mère,
Doigtant un sol fifré de petites bouches renversées, nos pieds — combien combien — ont
tambouriné tambouriné mais mollement le Ventre plein d’une terre diésée
Augmentée de Turgescences noires et l’ont baisée,
Baisée ô comment ô combien avec ferveur sais-tu,
Sais-tu il faut nous croire tu ne sauras jamais comment ni combien. »
HOMME DE L’HOMME
Homme de l’homme
Voyageur voix sans âge à toute heure silence et voix d’homme
Homme de toute lune qui veille, homme des Temps sans durée homme aux joues de dunes vides d’un repos qui flotte sans compter,
Voyageur aux Soleils qui dorment au Sud
Au Nord
Homme de l’homme
Poursuiveur de pensées égarées, homme de l’homme au regard de nuit dans l’œil de la chouette,
Voyageur qui se lève à l’Est et se relève à l’Ouest, arracheur de tempêtes fossoyeur de sources trop pures, Ami
De toutes eaux salées
Homme de l’homme, homme de toute lune qui veille…
Habitant du sabot mouvant de nos dés, homme de la défloration d’instants buveur de drames invécus et d’amour ciguës, bras
Levé dans la course,
Bouche mordant les mots sœurs des Langues
Homme de l’homme voix d’errance et voie d’homme
Homme des Temps sans durée, homme aux joues de dunes vides d’un repos qui flotte sans compter,
Voyageur aux soleils nourris du Nord qui dorment au Sud, homme aux paroles de lunes auriculaires qui se relèvent à l’Est et marchent
Pourfendant le Sourire de l’Ouest
Homme de l’homme, homme de toute lune qui veille…
Homme de toute présence
Voyageur-sans-borne, Sang d’homme à l’esprit de Nudité, vaste navire qui porte l’âme cicatrisée et sans coutume
Homme de toute
Absence
Homme sans traces
Remous de voix sans nom passage par lui-même
Déserté
Homme lucide par toi s’entrouvre la lumière élidée,
Boussole
Aux mille doigts tremblants qui te guide dans ses filles ébréchées…
Hôte de nulle part Étranger à toute idée d’étrangeté
Toi qui sais
Homme seul et soustrait aux hommes, homme Multiple et Somme de l’homme
Homme de l’homme Voyageur voix sans âge à toute heure silence et voix d’homme,
Homme de l’homme
Homme seul et soustrait aux hommes, homme Multiple et Somme de l’homme,
Toi qui sais,
Tu te drapes et te loves,
Trempant à la magie des lais inouïs que tisse
Une Mélopée de chamelles.
À CORPS FOU
À la cime
À la terre
je rêve ou délire
grand corps en expansion
émergeant de lourdes profondeurs
je rêve à la terre à la cime délire grand corps
se déroulant croissant pain de lune aux deux soleils…
Fiers de leur nuit encore
toutes vignes à l’envers
les ballons mongols de mes lutins gorgés d’encre
se chargent pour mieux
crever au creux de leur cuve barbouillée
— les gribouillis giclent toujours plus denses
pour les brouillis futurs…
sous le lointain
de leur danse
parachevée
ce corps
que je sens se met seul
à sentir
à la pompe
du venin vermeil
mon cœur vient
de s’irradier chaud
je suis corolle qui l’intime expose
qui l’inouï explore qui le soumis des sens explose
Le vin en mes veines
le vin le vin enfin et seuls d’eux-mêmes
ensemble mes cheveux de lierre insensibles
— longtemps pierre blanche et froide
de celle morte
trop bas
tombée —
s’antre-réveillent par envie pressante
d’être vignes
Plus de ferrements à mes narines
je suis corps-traversée respirant
corps-poreux à tenir loin des braises
Je suis moi-même le feu
les ferments sont mes parfums
je m’inspire
Et Sombre Le Rouge me fait
Cité-Lumière
au dos des yeux
Lors sur mes bras
l’oiseau-lyre me comble
la partition
édentée d’un jour
sur deux raturé
Les caresses qui s’écrivent à doux de plumes
les promesses déjà vérités
au dedans réalité plus juste
que le regard porté !
Et par le vieil Aride imbibé
d’une prime-dernière avidité
Sombre Le Rouge me fait
perfuser à la joie
mon moi-épouvantail
débobiné :
Corps changeant la taille de l’ouverture des portes
galvanisé mon moi sans-épouvante
revient confiance
écarquillée
Je-vin goûté prend goût à soi
Grande ourse pleine se pourlèche
Je-vin cratère puis globe de terre tour-
‑noyant qui ulule à la folle je suis
Je-vin de toutes marées et des sous-marins de l’espace
je gobe l’outre comme goéland
— trinquent mes globules de gobelets
rouges de gobelets blancs
Je-vin sur les traces-fossiles des roux sillons
passant toutes frontières
sans trépasser corps étendu qui foule
mers fracassées sur plaquettes planches courbes
Sans ailes Carpe-Reine sans bouée
Je jongle les astres me joue des cartes
nage à perte mon air
ourle mes Côtes à bord d’eau noire
trône sur les Bourgs cogne les châteaux
au simple vouloir
Mère de ma Terre qui se crée mer au ciel ajouré
Je suis lune-soleil qui danse ma corolle venin des sens
Grande ourse-moi à sauts de carpe clignotant dans la nuit
de la nuit avortée
Je suis la vigne qui tue le lierre acore
Ténor l’oiseau-lyre suis sa rude caresse
fécondée par l’écho formidable de sa caresse-pluie
Je suis du sang de l’étincelante épée arrachée au flanc du dolmen
charbon de verre sur la soif infinie de la roche
corps fou en expansion je suis
l’innombrable accord
de wagons barbus-feu
dans l’irrémédiable célérité de ma mine
Et par Sombre Le Rouge
L’aveugle devin
de ma Cité-Lumière
JE SUIS
Devin qui est