Les dis­so­nances pren­nent « feux » ! Décidé­ment ce numéro de la revue risque de s’enflammer et de finir brûlé comme dans Fahren­heit 451! On con­naît l’originalité durable de cette revue. Choisir des poèmes pour leur qual­ité d’expression et non pour la gloire du nom de l’auteur/autrice (dont le nom est masqué aux sélec­tion­neurs). Une extrav­a­gance à l’heure où les auteurs ou édi­teurs con­nus sont une pré-pub­lic­ité, donc méri­tent a pri­ori une consécration.

« Écrire est une pul­sion », décrète Alexan­dre Gloaguen à la page 38 de la revue Dis­so­nances. Je suis prête à le croire. Je l’ai tou­jours pra­tiqué. Ma « pul­sion » m’incite aujourd’hui à m’interroger philosophique­ment : « Peut-on dis­son­er dans la dis­so­nance ? ». Un peu comme si je demandais : peut-on man­quer de manque ? ou pire : quel est le néant du néant ? Dis­son­er dans la dis­so­nance impose-t-il d’imposer l’harmonie… Être en accord avec le dis­so­nant impose-t-il d’entrer dans le flux débridé d’une anar­chie délicieuse ?

Le dossier Feux m’incite à une prom­e­nade à tra­vers les prénoms (puis les noms) des artistes-auteurs-autri­ces qui y ont col­laboré : deux Aline (Robin et Fer­nan­dez) et deux Math­ieu (Le Mor­van et Marc) et deux Benoit (Bau­d­i­nat et Camus) et deux Louis (Zerathe et Haën­t­jens), une seule Per­le ou Miel. Une telle forêt de syl­labes qui se croisent à Mauges-sur-Loire (domi­cil­i­a­tion de la revue) me fascine sans porter à con­séquence, même si j’ai déjà planché sur cette revue pour RAP en 2017.

DISSONANCES, Feux, n°38, Revue pluridis­ci­plinaire à
but non objec­tif, Eté 2020, 48 pages, 5€,

Les mots qui dis­ent l’incendie (con­tre-feux, pyro­mane du busi­ness, brûlante ques­tion, flammes d’encre, etc.) dans l’édito de Côme Fredaigue sont naturelle­ment plus impérat­ifs que les mots « inon­da­tion, aéra­tion », etc… Com­ment échap­per aux mots por­tant en eux des flammes ! Oui, mais quelles flam­mèch­es, réelles ou fig­urées ? En vérité, cha­cun se con­sume selon son pro­pre feu dans ce Dis­so­nance là,  tout comme jadis  rég­nait le « à cha­cun ses besoins2 ou selon son tra­vail ». Aujourd’hui, c’est à cha­cun selon ses désirs brûlants dans notre monde  à la carte.

Le feu est d’abord le feu réel, tout en flammes et en brais­es. Ain­si Lionel Lath­uille estime « qu’il n’y a pas d’autre pos­si­bil­ité pour obtenir la chaleur que de met­tre le feu à l’habitation ». « Mécon­naît la nuit celui qui retire ses mains du feu » (…) « Mécon­naît la vie celui qui retire son pied du feu » dit ce poète qui « emboîte le pas au feu qui nous tra­verse ». Pour un autre romanci­er Thier­ry Covo­lo, une autre mai­son brûlant pen­dant la nuit.  Le « pré­ten­tieux » manoir Hunter « con­stru­it pour les autres » « qui con­fère respectabil­ité et pou­voir ». Le pro­prié­taire « car­bon­isé » est iden­ti­fié grâce à ses plom­bages. A la fin de cette nou­velle à l’américaine, la nar­ra­trice allume une cig­a­rette ! Il se peut qu’une voiture flambe en une « nuit Cheyenne » de Benoit Camus. Il se peut qu’une forêt flambe en Ama­zonie, « on éteint le feu qui arrache les poumons de la terre », pré­cise Stephanie Quérité. Ce feu réel peut être celui – ter­ri­ble — de la bombe atom­ique : ain­si le seul jour­nal­iste à Nagasa­ki, (cad William Leonard Lau­rence) est évo­qué par Joseph Fab­ro. Il « marche toute la vie avec le feu et son men­songe,  (…) comme un can­cer dans le ven­tre, comme un incendie à l’arrière de la pupille ».

Le feu peut être celui de l’amour.  Ain­si Christophe Esnault qui décrit d’abord « une ado­les­cence sans flamme (sans amour) sans vie ». Plus tard, il retrou­vera autrement cette ado­les­cence man­quée : « C’est avec la peau et les bais­ers que l’on fait les feux les plus hauts ». Le feu de l’amour peut se tran­scrire en une ver­sion per­sane. Ain­si Clé­ment Rossi évoque cette amoureuse qui l’enlace « si fort » qu’il sen­ti­ra « des mois après le dessin de ses mains » sur ses omo­plates et « le relief de ses omo­plates »   sur ses pro­pres mains. Et pour­tant, « Lou va arriv­er et j’ai déjà hâte qu’elle reparte pour… rêver ». Voilà qui nous trans­porte chez le poète Qays-Mad­joun et Ley­la, con­te où la Ley­la rêvée est plus impor­tante que la femme réelle. L’amour d’une femme est-il plus impor­tant que celle qui le sus­cite ? Cepen­dant l’amour peut être un hymne de Miel Pagès à Médée, ce « vol­can par­mi les étourneaux », cette « petite-fille du soleil » : « Il m’a sem­blé qu’elle pou­vait être belle si des flammes lui léchaient le fente ».

Et il peut aus­si être celui du lan­gage, lorsqu’il est cet adjec­tif sig­nalant  les décès : « Feux les exé­cutés » par Benoit Dau­d­i­nat. Dans la liste des hommes exé­cutés au Texas, l’un Troy Clark qui écrivait des poèmes, a noyé une femme dans sa baig­noire et dis­po­sait d’une arme à feu (22 col­ib­ris) ; l’autre Jef­frey est meur­tri­er révolté d’un agent de police : « tous ces bouf­fons de flics, assas­sins de gamins innocents ».

Et puis j’ai une fer­veur pour les  énig­ma­tiques  les « en-allées » de Cather­ine Bedari­da « éloignées / du feu des vol­cans /  les en-allées marchent pieds nus ». Sont-elles des mortes ?  Des brais­es ?  Des étoiles ou des laves ? Qu’importe d’ailleurs puisqu’elles s’en sont allées… sans dis­paraître de sa mémoire. Au matin, elle se lavent « dans un reflet de ciel », « elles marchent / hébergées par le vent le ciel l’horizon ». Je les rêve.

Notes

(1) 451 degrés, tem­péra­ture où le papi­er s’enflamme ver­sion Faren­heit, soit 232,8  degrés en ver­sion celsius.

(2) Louis Blanc 1839, puis Marx 1875.

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Jane Hervé

Jour­nal­iste aux Nou­velles Lit­téraires, auteure de La femme de lune (édi­tions Gal­li­mard), Née du chaos, et Le soleil ivre  (édi­tions du Guet­teur). Co-auteure de  La femme tatouée et de Neige d’amour avec le pein­tre Michel Jul­liard et co-auteure de pièces de théâtre : La légende de Guritha, femme viking et de Guritha, le retour avec Danièle Saint-Bois. janeherve@free.fr — voir aus­si : http://leguedelange.over-blog.com/