Très proche du ver­tige ce sen­ti­ment qui nous prend à la lec­ture du recueil de la québé­coise Clau­dine Bertrand, ver­tige sus­citée par l’avancée rapi­de, sur­prenante d’une écri­t­ure puis­sam­ment incar­née ‑peut être parce que « la peau recueille le sens/comme la vit­re la buée »- agile comme un petit ani­mal ten­dre et farouche.
 

C’est très loin de son pays que le poète écrit sa ren­con­tre avec une terre dont le cœur bat à l’unisson de ses habi­tants [1] :
 

J’entre dans les couleurs
pliées repliées sur la saison
et trou­ve mon bonheur
en cette terre d’alliance
 

et comme
 

Par­tir loin
c’est sou­vent partir
à la recherche d’un soi
ou de son envers
la poésie
 

d’emblée les mots sont là, Clau­dine Bertrand les saisit à bras le corps et elle le dit.
 

Des mots en maraude
s’attroupent s’empilent
se veu­lent poème
 

Elles les con­naît bien les mots et n’en est pas dupe. Elle sait qu’ils peu­vent « offrir du jour/manger du ciel » mais que par­fois les « mots con­tre nature/on les met en terre/pour faire venir l’aigreur ».
 

Pour un mot qu’on dit
autrement tout change
 

Le poème trou­ve sa chair
dans cette différence
 

À la ques­tion « Qu’est-ce qu’écrire ? » elle répond par cette belle for­mule : « c’est une langue qui pousse plus avant/son devenir vers le jour ».
 

Dans cette avancée des glisse­ments s’opèrent.
 

Des feuilles trempées 
de lumière
ne sont plus les mêmes
 

Une chevelure en déroute
ne voulait pas rentrer
le soir ses couleurs
 

Jusqu’à ce « champ couleur de lunes » qui « respire un corps de femme ».
 

Le corps se mêle au végé­tal et inverse­ment. Désir de se fon­dre plus pro­fond et de s’offrir.
Don du féminin qui court comme un onde sen­suelle et fraîche tout au long du recueil, « sans gêne et sans retenue » avec « mots images/et pointe de malice ».
 

Dia­logue char­nel avec les lieux tra­ver­sés comme à la hâte mais dont les images ont pénétré jusqu’au cœur. C’est tout un her­bier de sen­teurs, de couleurs qu’elle déploie puis, glanées ça et là, des morceaux de vies aux odeurs de terre, de tilleul et de genévri­er, dont elle restitue la richesse avec la générosité de celle qui a trou­vé des lieux de connivence.
 

Leçon de chose sans tableau noir ni apoth­icaire mais au-delà des potions aux ver­tus bien­faisantes con­coc­tées depuis l’origine, d’étranges pra­tiques sont à l’œuvre « pour faire reculer les ombres ».
 

Au musée de Mariette
têtes de mort et vierges en dérision
tri­co­tent un culte païen

 

Les blancs que l’on perçoit par­fois à la fin de cer­taines séquences offrent au lecteur une direc­tion à pren­dre… ou à laiss­er. Ce sont autant de soupirs qui se posent sur la par­ti­tion et comme une légère brise, dépla­cent le sujet hors du livre, l’offrant au lecteur-poète pour qu’il en fasse à son tour son miel … ou pas.
 

et si ça ne marche pas « pour provo­quer les rêves » on peut tou­jours essayer
de « boire une infu­sion de clefs de noix ».

 

 

[1] C’est le Ver­cors, au cœur de la région Rhône-Alpes, qui a inspiré Clau­dine Bertrand le temps d’un été.

 

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Geneviève Liautard

Poète, elle est l’auteur de qua­tre recueils de poésie, a par­ticipé à des ouvrages col­lec­tifs, aime col­la­bor­er avec des plas­ti­ciens, des musi­ciens. Depuis une ving­taine d’années, nom­breuses paru­tions en revues. Trois recueils ont vu le jour sous la sig­na­ture de Mal­ib­ert, fruit d’un tra­vail à six mains.

Dernières paru­tions : Le champ d’écume- La Bar­tavelle ; Deme­terre- L’Harmattan  (Mal­ib­ert) ; Blanc, Noir, Silenceavec le cal­ligraphe et plas­ti­cien Bernard Van­malle (Livre d’artiste) ; La bien­v­enue du Rouge-queue- Édi­tions Encres Vives ; Baby Blues– Édi­tions du Petit Véhicule avec le pho­tographe Patrick Aubert.

Tra­duc­trice, elle entre­prend en 2013 la co-tra­duc­tion de l’œuvre de Jane Hir­sh­field, écrivain, poète et essay­iste améri­caine.  Sélec­tion de poèmes dans les revues Phoenix, Les Car­nets d’Eucharis, NUNC, Terre à Ciel, Soleil et Cen­dres. Novem­bre 2018 : Come, Thief/Viens, Voleur- Edi­tions Phloème.