Jean-Luc Maxence bonjour, merci d’accepter cet entretien pour Recours au Poème. Vous êtes poète, vous êtes éditeur de poésie, dirigeant, avec Danny-Marc Le Nouvel Athanor, vous êtes écrivain et vous dirigez également la revue Les cahiers du sens. Pouvez-vous nous raconter votre histoire poétique ? Comment le poème a pris la place qu’il occupe dans votre vie.
Mon histoire poétique est celle d’un parcours en ligne brisée, qui, cependant, depuis plusieurs décennies, va vers une même direction d’ensemble : dire l’indicible, quêter l’invisible et chercher au fil de ma marche de vie, le sens du monde (dans l’athanor du conscient et de l’inconscient). Tout a commencé à l’âge de dix ans quand j’ai perdu mon père (le philosophe Jean-Pierre Maxence) et que j’ai écrit un poème d’enfant pour exprimer douleur et manque et révolte. Le journal “Les Écoutes” a publié ce poème et mon aventure en domaine d’écriture a pu commencer. La poésie est devenu au fil du temps, et de ses rencontres humaines, mon mode d’expression privilégié non point pour me montrer à autrui mais pour mieux “me voir” comme disait volontiers mon vieux camarade Luc Bérimont. Scribe trop oublié.
Votre observatoire de revuiste et d’éditeur vous place dans une situation idéale pour parler de la situation poétique actuelle. Au 19e siècle, un homme qui se déclarait poète pouvait être admiré par la société et désiré par les femmes. Aujourd’hui, on a davantage l’impression que se réclamer de la poésie agit comme un répulsif puissant. Ce changement d’image est-il réel ? A‑t-il été orchestré par les temps modernes ? Que traduit-il de la situation politique réelle ?
Je n’irai pas jusqu’à dire comme vous que la poésie agit comme un répulsif puissant, mais presque ! Je ne suis même pas certain non plus que le changement de l’image du poète soit définitif. Pour l’appréhender il faut sans doute penser en terme d’évolution permanente, le passé comme toujours servant de loupe de compréhension du présent et d’intuition du futur. Le poète est demeuré “la mauvaise conscience de son temps” et c’est tant mieux pour son temps ! La poésie me semble souvent la secrète musique de l’âme, la clef derrière l’apparence des choses et des Hommes, un long processus d’individuation semblable souvent à ce qu’entendait par là un Carl-Gustav Jung par exemple. Trop d’ ”ismes” en poésie ont souvent étouffé la spontanéité et l’élan créatif véritable. En ce début de siècle, avec internet, les réseaux sociaux (le sont-ils toujours “sociaux ?), Twitter and so on, tout semble avoir été bouleversé, les transmetteurs de la poésie (Gutenberg, notamment), ne sont plus exclusivement les mêmes qu’au siècle dernier. C’est un saut vertigineux, passionnant, dans l’inconnu. Les idéologies se heurtent, la suffisance des idéologues a tué les “voyants” (hommes en avance habités de prescience ) et les “libérés” du dedans. La poésie ne se cherche plus, elle redevient audible et efficace, une certaine poésie scrutant la psychologie des profondeurs et la part religieuse de l’humanité.
Votre revue, Les cahiers du Sens, a publié la grande majorité des paroles poétiques qui comptent dans notre époque. Si vous deviez faire une synthèse, ou donner une image de la poésie contemporaine, à quoi ressemblerait-elle ?
La poésie de ce début de siècle ressemble à une immense tapisserie brûlante, belle et contradictoire, captant dans ses doigts d’araignée inconsciente tout le drame humain éternel dans sa diversité. Mon ouvrage “Au tournant du siècle” (à paraître en mars 2014 chez Seghers) est un essai désespéré cherchant à jeter un regard critique sur tout cela !
Question difficile et délicate, que je pose régulièrement aux poètes qui acceptent ces conversations avec moi : quel est le rôle du poème aujourd’hui dans le monde ?
Le poème, aujourd’hui, est un pain de dynamite jeté dans les dortoirs des contents d’eux-mêmes. Le rôle du poème est d’ouvrir toutes les questions métaphysiques les plus inattendues, de les afficher partout, et d’exiger ainsi une amélioration générale des conditions de vie de l’humanité.
Question subséquente, encore plus ardue, mais cela devrait être aisé pour un homme qui a nommé sa revue Les Cahiers du Sens, et ses éditions Le Nouvel Athanor : comment qualifieriez-vous votre propre œuvre poétique dans l’émergence de la poésie contemporaine ?
Quand j’avais vingt ans à peine, j’avais établi le plan d’un journal de poésie que j’avais baptisé “L’anarchiste chrétien” ! De l’anarchiste, il est resté mon besoin de tout bousculer pour combattre l’opacité des vitres des fenêtres qui sont les leurres des familles humaines. Du chrétien, il m’est resté le besoin absolu de prier, je ne sais trop qui, hélas, et le souvenir d’une parole de l’Évangile affirmant que le Christ n’est pas venu apporter la Paix, mais l’Épée. Mon œuvre poétique, si œuvre il y a, se souhaite aussi éloignée de l’humilité des moutons à genoux devant des certitudes dogmatiques que des hédonistes ennuyeux comme des déserts sans nomades.
Maçonnerie, Psychanalyse, Alchimie, Christianisme, Poésie : avez-vous réussi la synthèse de toutes ces lignes de force qui, pour beaucoup, semblent contradictoires ?
Ce qui réunit, de façon consciente ou non dans la tête des protagonistes, les démarches de la psychanalyse, de la maçonnerie, de l’alchimie, de la quête chrétienne, c’est la soif insatiable d’une certaine conjonction des opposés. Je m’efforce d’être une synthèse et non point un syncrétisme comme me disait souvent ma vieille amie Marie-Madeleine Davy dont je ne me suis jamais consolé !
Recours au Poème considère que le retrait de la poésie est une illusion. La preuve, notre lectorat ne cesse de croître de façon exponentielle, alors qu’aucun quotidien national n’accorde le moindre intérêt à la poésie, que les libraires constatent du coup un désintérêt commercial pour la poésie. La poésie contient visiblement quelque chose de dangereux, que les pouvoirs successifs récents tentent de neutraliser. On a fait du poète un imbécile amoureux des fleurs et des oiseaux. Recours au Poème travaille au rétablissement de la poésie à la place qui est la sienne : au cœur de l’homme, au centre de l’action. Qu’est-ce que votre expérience de Jungien aurait à dire sur ce sujet ?
Oui, je vous rejoins et vous le savez en toute conscience. J’aime la beauté mystérieuse des fleurs et des oiseaux, mais je m’en fous tout autant, d’une certaine manière. C’est l’océan du dedans de l’homme qui me fascine et d’où je tire ma poésie personnelle. Poète d’inspiration jungienne ? Je rêve d’être un jour reconnu comme tel. Alors, je n’aurai peut-être pas donné ma vie pour quelques prunes “écologiques” !
Pouvez-vous nous parler de vos admirations poétiques, de vos influences et de vos poèmes compagnons ?
J’aime d’admiration, pêle-mêle, Claudel et Aragon, pour l’universalité des grandes orgues qu’ils portent sans cesse dans les poumons quand ils laissent derrière eux leurs certitudes d’école. J’apprécie Pierre-Jean Jouve pour les infinies et subtiles nuances mystiques de son œuvre, Jean Grosjean pour les insinuations divines que lui inspire la moindre brise. Je lis encore Franck Venaille pour ses révoltes désespérées, et André Laude aussi. Je me souviens avec passion de Ghislaine Amon (Raphaële George) pour sa furie féminine et révoltée, jamais “fabricotée”. Je reste fidèle à presque tous les poètes que j’ai édité au moins deux fois (plus d’une centaine !) parce que, comme l’écrit Jouve quelque part, “ils combattent aux frontières de l’intimité et de l’avenir”. Quant à mes poèmes amis de la mémoire et de ma destinée, ce sont ceux qui me mettent la conscience à vif, en quelque sorte, qui m’aident à prendre conscience du refoulé en moi. Ceux qui disent la fragilité de l’Homme. Et la grandeur de la transcendance. “Les Pâques à New-York” de Blaise Cendrars. “Garder le mort” de Jean-Louis Giovannoni. L’ensemble du recueil !
Vous avez consacré une très belle étude au poète magnifique Jean Grosjean. Il me semble que Grosjean a composé une œuvre poétique absolument iconoclaste, dans une discrétion absolue. Le nihilisme spectaculaire a tenté de faire croire qu’il fallait être tapageur et vulgaire pour être rebelle, signe d’élection du poète d’excellence misant sur un avant-gardisme par définition inexistant. Comment voyez-vous ce jeu de dupe, d’une part, et où placeriez-vous la dimension iconoclaste de la parole de Grosjean ?
Garder sans relâche une “dimension iconoclaste dans une discrétion absolue” comme a su le faire Jean Grosjean durant toute sa vie (j’ai beaucoup aimé écrire “son” Poète d’aujourd’hui” chez Seghers) me semble exceptionnel dans la poésie contemporaine française de ces dernières années. Être rebelle sans être gueulard, révolutionnaire sans code révolutionnaire, classique sans le vouloir parfois, moderne sans y penser, à la mode sans le faire exprès, inventeur comme en passant, rassembleur sans sermon, voici mes utopies, mes obsessions, ce qui fait ma seconde nature.
Vous avez dirigé une anthologie de la poésie mystique, ainsi qu’une anthologie de la prière contemporaine. Est-ce là un acte de provocation salvatrice de votre part ?
J’ai en effet dirigé une anthologie de poésie mystique parue aux Presses de la Renaissance, en 1999, une anthologie de prières d’aujourd’hui chez le même éditeur, au début de ce siècle, “L’Athanor des poètes, 1991–2011”, avec mon épouse Danny-Marc, sous la marque du Nouvel Athanor. “Rassembler ce qui est épars” s’avère pour moi un réflexe vital, autant dire une thérapeutique ! Je rêve, sur ce plan, d’être un successeur de Jean Rousselot, de Serge Brindeau, de Bernard Delvaille, de Robert Sabatier, d’Alain Bosquet même, en moins catégorique toutefois. Le public jugera. Le public et le temps également.
Merci Jean-Luc Maxence
Propos recueillis par Gwen Garnier-Duguy
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