Bestiaire
Enfin, je l’ai vu,
Là, au recul du temps,
Ni fille ni garçon.
Sous de vieux jours,
Sous de vieux pleurs,
Dans une niche creusée,
Il était là,
Rond de chagrin,
Ni fille ni garçon.
La paix le couvrait mieux que l’oubli.
Repoussant le tombereau des heures,
Mon regard essuya le chagrin.
Eut-il froid ?
Eut-il peur ?
L’enfant s’éveilla.
Dépliant ses membres,
Il consentit à être,
Ni fille ni garçon.
L’enfant avait :
Tête d’oiseau,
Yeux de loup
Qui, sans paupière,
Brillaient glauques.
À son front bossué perçait l’avenir.
Des larmiers de vin baignaient sa face,
Déposant à ses joues de douces humeurs.
Il secoua la tête.
Ploya le marbre de son col.
Ouvrit son bec sur un silence.
Pendant qu’il riait en carpe,
De sa bouche
Des bêtes tombèrent,
Mates sur son poil,
À sa poitrine et son ventre.
Je regardais l’enfant.
Mes yeux s’usaient à son visage.
Alors, il se leva.
De son corps, pleurèrent carabes et lucanes.
Une salamandre claviculaire chuta.
Un couple de serpents se coula,
L’un à sa gorge l’autre à ses reins,
Son flanc de loutre luisait huilé de blanc.
Une humanité incongrue
Par jeu ornait son buste ;
Deux mains y soupiraient d’aise.
Dans la fourrure qui le vêtait,
Les vermisseaux de ses doigts se tordaient.
Paumes ouvertes,
Il m’invita.
J’entrai dans son rêve,
Lui connaissait tout du mien.
Par mon âme,
Il s’envola.
….
Sous la veilleuse des persiennes,
Rayé de lune,
L’enfant dort.
Plus loin que le jour n’a su le faire,
Le sommeil l’emporte.
Près de lui, tête à tête,
Il a gardé l’album étrange.
Je suis la chambre.
Je suis le lit.
L’enfant dort.
Il est ma nuit.
Enfin,
Sur le seuil,
Ils sont venus
Fauves buvant à nos berges.
Brousse
Passe la pluie,
Sèche le temps
Les branches ploient
Sous l’eau des fruits.
L’été s’y noie.
Le chaume crisse
Plus rien de vert.
De blanc et de rouge
Le pré, tendu,
Chiffonne ses reliefs.
Près des corps gris de soif,
L’herbe tète un semblant d’ombre.
L’été croît,
L’eau s’y cache.
Sous les branches
La soif.
Feu de brousse :
Le verger blanc d’odeurs.
La lumière tremble
L’enfant la trouble.
Mirage d’été,
Je tremble sur l’air.
Loin des corps gris de soif,
Dans l’été troublé
Le pré s’invente.
Aux pas des géants
La brousse se grise.
L’herbe tète le vent.
Bouteille
Fétu barque sur mer d’été,
Craque en paille
L’herbe têtue.
Ciel carrelé,
La terrasse sue.
L’été tombe en masse.
Sous l’auvent,
Il y a le temps :
Son grain immobile.
Il y a l’été :
Son cri blanc.
L’enfant insulaire
Façonne le cri,
Trace au blanc,
Du jaune, du bleu.
Ombre de verre,
Fillette parmi ses sœurs,
Les déjà vides,
Les presque bues,
Elle attend.
Là sur la cire de l’été,
Près des guêpes ivres,
Elle attend,
Glacée d’hier,
Et s’embue.
Petite à ma main,
Pleine à demi,
Col d’écume
Sentant l’amer,
Je l’ai choisie.
De demi pleine la voilà vide.
Guêpe, je dérive.
Au naufrage,
Suis navire.
Enfant blond,
Moussu d’or,
Robinson est mon île.
Sous l’œil glauque des culs,
L’été à dessin s’embouteille :
Haillon blanc en habit verre.
Petite à ma main,
Je l’ai choisie.
Sur l’été, je la jette.
Baignol & Farjon
La pluie pose ses leurres.
Mouches au vivier des lumières.
Bris-ciel
Chaque goutte
Lucides à ma main,
Usent le réel
Polissent mes yeux.
De l’arc
La couleur
La lumière
Mord
Au blanc
Voleur d’espace,
Les crayons maraudent.
Brouillon
Soleil en sueur
Et l’heure écrite
Tire la langue
Brou d’encre
Sur blanc marbre
La feuille a du caractère.
Aux lignages,
Se pêche en gros :
La mer à outrance,
Un fretin de lettres.
La plume gratte,
Chalut.
La plume bave,
Filets.
Mots dérivant,
La page
Drosse au bleu,
Brouillonne
Ses pleins.
Délit d’encre
L’heure crisse
Suante :
Brou solaire
Sur peau d’enfance